Depuis 2019, David Christoffel propose une émission de radio hebdomadaire où chaque thème musical est débattu en compagnie d’intervenants spécialisés et variés : écrivains, musiciens, musicologues, etc. Métaclassique invente un nouveau modèle de diffusion, à la fois sur le web et sur près de 100 antennes, mais aussi une nouvelle façon de parler de la musique.
Rencontre avec un producteur passionné et investi.
Comment l’émission Metaclassique est-elle née ?
Après beaucoup d’expériences radio très heureuses mais trop tôt interrompues dans plusieurs grandes institutions radiophoniques ou/et musicales, je me suis trop souvent senti coupé dans mon élan pour de mauvaises raisons. Metaclassique est donc née de l’envie indélébile d’instaurer un espace radiophonique indépendant des aléas des politiques d’austérité qui s’abattent sur les radios publiques et les diffuseurs et se traduisent systématiquement par des choix éditoriaux qui confondent la pédagogie avec la trivialité. Depuis trente ans que je fais de la radio, je me suis petit à petit attaché à trouver sur les musiques de recherche, une parole à la fois articulée et nuancée, éclairée et plus approfondie que la vulgarisation condescendante dominante que semble dicter l’implicite contemporain sur la démocratisation de la musique classique. L’ambition était donc d’aller à contre-courant de cet implicite en créant un espace de liberté qui puisse être à la fois transgenre radiophoniquement (pouvant aller de l’entretien à la création radiophonique, en passant par la restitution d’ateliers pédagogiques), transesthétique musicalement (du Moyen-Âge au contemporain) et indisciplinaire éditorialement.
Quelle est son ambition ?
L’ambition est de construire un espace radiophonique humaniste qui ouvre la parole sur la musique en laissant les croisements se faire, en rendant des articulations possibles, sans toujours chercher à les cadrer ou les justifier d’avance. La parole sur la musique me semble à l’étroit quand elle est limitée à la parole des seuls musiciens professionnels. Si j’invite aussi des chercheurs de toutes les disciplines, des chorégraphes, des écoutants, des amateurs…, c’est pour ouvrir des manières de discourir sur et avec la musique, des manières plus ouvertes, moins normatives de faire entendre la musique. Mais je fais attention à ce que l’éclectisme des statuts ne devienne une fin en soi. Il ne s’agit pas seulement de croiser les points de vue comme des expertises statiques, il faut aussi inventer des formes pour que ces rencontres ne se laissent pas rattraper par les urgences auto-promotionnelles. D’où l’importance de varier aussi les dispositifs d’entretien et les configurations de montage des différents numéros.
Comment choisis-tu tes titres d’émissions (je trouve l’idée très bien, tous ces verbes à l’infinitif, très parlante, simple et efficace), cela se passe-t-il a posteriori, après l’enregistrement?
J’ai repris le principe du titrage par verbe que j’avais employé dans Ouvrez la tête (ma thèse sur Satie) (MF éditions, 2018) pour contourner la pompe des noms propres et ce qu’elle impose de culte de la personnalité, de privatisation des fonctions musicales, de surexposition des devants de la scène.
Comment choisis-tu tes intervenants et tes sujets ?
Le choix des invités dépend des sujets et de l’axe dans lequel je construis autour du verbe. Même s’il arrive aussi que le titre soit décidé avec les invités, dont je fais de la rencontre une sorte de pari intuitif. Mais surtout, j’essaye de ne pas systématiser le processus pour avoir des protocoles assez variés. Le fait de titrer par un verbe est à peu près le seul élément de forme intangible. Et je tâche de ne pas laisser s’en installer d’autres pour essayer de renouveler jusqu’aux stratégies d’approche des invités. La récente émission “Revenir” en est un bon exemple. Et pour aller encore plus loin dans la plasticité de la temporalité de construction : en 2021, je vais interviewer vingt-quatre fois le même compositeur tous les quinze jours à une heure différente de la journée, sans prédéterminer la forme que prendra l’émission à l’arrivée.
Comment as-tu trouvé ces 90 diffuseurs ?
Là où les radios associatives m’ont clairement donné l’environnement le plus favorable pour ce projet, c’est qu’en plus d’être animées par des passionnés convaincus de l’utilité sociale de l’éducation populaire par la radio, elles sont – à quelques exceptions – des généralistes. Elles souffrent donc beaucoup moins de la tendance à la cadastralisation des répertoires qu’on trouve dans les radios thématiques (une émission par période ou par formation ou instrument, quand ce n’est une émission autour d’un seul compositeur). Je peux donc justement travailler sur les lignes de fuite qui, partant du classique, tissent des ramifications sur des thèmes que je choisis volontairement tangents pour embrasser des questions non seulement musicales, mais aussi socio-politiques, poétiques, existentielles ou philosophiques. Si j’en arrive aujourd’hui à 99 diffuseurs au point de faire de Metaclassique l’émission la plus partagée par des radios libres, c’est que j’avais une connaissance du tissu radiophonique associatif déjà ancienne (pour avoir longtemps travaillé à Sophia, la banque de programmes de Radio France).
Radio Ritournelles, La tectonique des phrases, avec la chanteuse Valérie Philippin
Comment organises-tu ces face-à-face qui te sont chers en cette période de distanciation spatiale?
Les enregistrements en distanciel me semblent radiophoniquement défaitistes. J’ai l’impression que l’interviewé assigné à résidence, est aussi assigné à compétence, plombé dans son dire, replié sur ce qu’il sait déjà. Les communications dites “distancielles” sont tellement utiles qu’elles menacent les échanges de n’être plus qu’utilitaires. Les outils de visio sont tellement pratiques pour faire des réunions, que j’ai parfois l’impression qu’un esprit de réunion finit par planer sur les conversations à distance. Comme si la régression de la qualité sonore accompagnait une régression de l’exigence du dialogue. Je ne crois pas qu’on puisse tellement dissocier la qualité d’un contenu radiophonique de la qualité de sa fabrication technique. Coincer un rendez-vous en visio dans une journée de confiné, place l’entretien radiophonique dans le fil des échanges utilitaires de la journée. Si je ne me lasse pas de la radio, c’est qu’elle permet des espaces de dialogue qui sortent des échanges rationalisés, des efficacités prédéterminées… C’est pourquoi, dès le premier confinement, je me suis équipé d’une plaque en plexiglass pour permettre de poursuivre des entretiens de visu et de continuer à imaginer des protocoles d’enregistrement originaux, comme dans “Doubler”, par exemple. Mais je souffre de ne pouvoir si facilement aller à l’étranger où j’ai plusieurs projets.
Propos recueillis par Guillaume Kosmicki
Retrouver la critique de Guillaume Kosmicki, Les Annales de Metaclassique, de David Christoffel sur Resmuscia
Et le livre d’Etienne Kippelen, Chansons françaises & musique contemporaine, aux Presses Universitaires