Un regard sur le passé

Pochettes vinyles 29.02.2024

Les amours musicales que l’on conçoit à l’adolescence restent au centre de nos préférences tout au long de notre vie. On peut découvrir à l’âge adulte diverses musiques extraordinaires et fascinantes – elles auront toujours du mal à rivaliser avec celles qui nous ont chamboulées, fait évoluer et construit lors de notre puberté. Et si nous jetions une oreille musicale sur des mélodies enfouies, rares et appartenant à un temps qui n’est plus ou qui n’a jamais été ?

Marco BertoniMy Easy Piano Pieces (A Ridiculous Legacy) – 13
Marco Bertoni est un musicien et producteur italien toujours en activité. Jeune adolescent, il commence sa carrière en 1977 en fondant le groupe de rock avant-gardiste Confusional Quartet (encore actif), puis en travaillant comme arrangeur et producteur pour divers groupes de variétés. Ce disque regroupe des œuvres pour piano composées avant ses 15 ans et abandonnées dans un tiroir durant toute sa vie. On y perçoit l’influence rock, une vision dansante de Satie et un souci de la concision. Ces pépites ont été sauvées de l’oubli et enregistrées l’an passé. À cette occasion, Bertoni déclare : « J’aime l’idée de rassembler mes morceaux pour piano faciles, des morceaux de musique que je fais depuis que je suis enfant. Des morceaux courts et un peu bizarres, qui sont toujours restés quelque part dans ma mémoire. J’aime aussi l’idée de publier quelque chose d’aussi simple, dépouillé et radical à sa manière – qui a le courage de la mélodie et de la tonalité, dans des limbes indéfinissables entre le cabaret et le classique. »

Gia Margaret Romantic PianoJagjaguwar
Le piano est l’instrument de prédilection pour l’intimité nostalgique. Qui ne s’est jamais abandonné à poser ses doigts sur un piano de famille rarement ouvert et a tenté de retrouver une mélodie de son enfance – du temps où apprendre la musique était encore possible ? La compositrice Gia Margaret basée à Chicago nous offre ici un album ambient au piano d’une grande beauté et empli de sincérité. Quelques ambiances nocturnes captées çà-et-là au gré de ses voyages (Washington, Francfort) apportent à ce son de piano nostalgique une touche très romantique (pour être fidèle au titre). Ce disque est un peu sa façon à elle de revenir sur des études musicales avortées qui ne l’ont pas empêchées de tracer sa voie dans la musique.


Hanno Leichtmann Outerlands Discrepant
À Los Angeles, dans une villa fréquentée par l’excentrique Marta Feuchtwanger, le chef d’orchestre Bruno Walther et les compositeurs Ernst Toch et Hanns Eisler, se trouve un orgue très particulier. Construit en 1928 par la Artcraft Organ Company, il est constitué de 34 tuyaux d’orgue, d’un marimba mural et d’un ensemble de cloches tubulaires et de carillons de deux octaves, qui se trouve être aujourd’hui contrôlable à distance par MIDI. Sa riche palette de sons inouïs et pratiquement infinis est très appréciée des musiciens expérimentaux férus d’électroniques. Hanno Leichtmann en est un bon exemple : depuis la fin des années 90 cet artiste berlinois fascine et compose une musique à la croisée des esthétiques d’aujourd’hui. Un univers sonore fait de collages, de nappes sonores minimalistes, de techno brutale et de souvenirs musicaux issus de sa vaste culture. Ce disque rend hommage aux sonorités passées mais jamais dépassées d’un orgue qui eut en son temps son heure de gloire et qui fit les belles heures du cinéma.

Spectra Ex Machina A Sound Anthology Of Occult Phenomena – Vol. 2Sub Rosa
Cette anthologie rassemble des documents rares sur les phénomènes dits occultes, provenant pour la plupart d’archives méconnues voire quasi oubliées. Il existe dans l’Histoire de la musique peu de témoignages musicaux de l’au-delà ; l’exemple le plus connu étant la compositrice et médium anglaise Rosemary Brown qui aurait reçu durant toute sa vie la dictée d’oeuvres directement des compositeurs eux-mêmes : Liszt, Bach, Beethoven, Rachmaninov etc. (à noter qu’ils parlaient tous anglais). Ici Sub Rosa lui rend hommage avec une de ses plus fascinantes « pièces dictées par » : Grubeleï (Méditation) dictée par Franz Liszt, morceau écrit sous l’œil des caméras de la BBC intrigué par Rosemary Brown et ses prétendus pouvoirs occultes. On entendra dans cette compilation le médium américain David Behr rentrer en transe pour délivrer les dernières paroles du King (entendez Elvis Presley bien sûr) ; on y entend de façon dérangeante Robert encore au piano jouer des musiques dans un état de transe et une fois revenu dans notre monde, avoir oublié tout ce qu’il venait de faire. Ce disque est autant une encyclopédie du paranormal musical qu’un disque d’écoute.
On peut y entendre la voix de Chopin à travers les cordes vocales du médium Leslie Flint et, dans les années 50, L’Américain Howard Menger nous partageant au piano des mélodies directement transmises par des êtres venus d’une autre planète, Saturne en l’occurrence..
Voilà un disque fascinant autant que perturbant – que l’on y croit ou non.

Philip Glass SoloOrange Mountain Music
À 87 ans, Philip Glass sort un disque d’introspection musicale. Lui, le compositeur qui porte à lui seul l’étiquette de minimaliste (répétitif pour les Français des années 2000) et dont l’Histoire de la musique n’oubliera jamais l’apport à la musique du siècle passé – à l’instar d’un Pierre Boulez d’ailleurs. Ces deux compositeurs dont la musique est aux antipodes (Boulez le vomissait tandis que Glass l’admirait) ont toutefois un point commun indéniable : ils génèrent les sentiments les plus contrastés des mélomanes et du grand public, ne laissant personne indifférent; soit on les adore, soit on les déteste!
Si vous n’aimez pas Boulez (et que vous en écoutez peu chez vous), vous serez obligé d’admirer ses qualités de chef d’orchestre; d’un autre côté, aimer Glass, c’est clairement un aveu de faiblesse (on reconnait aisément l’importance d’Einstein on the Beach mais on a tendance à  passer rapidement sur le reste de ses oeuvres) et d’ajouter ici la fameuse blague que l’on entend encore : Glass se répète.
Or dans ce disque, la répétition est à son paroxysme.
Il rejoue ses œuvres les plus emblématiques (Metamorphosis, Opening, Mad Rush et Truman Sleeps) déjà enregistrées pour la plupart en 1989 dans son premier album au piano solo, chez lui à New-York, dans son appartement et sur son piano. La fluidité pianistique est absente mais ce qui se joue là, est le testament d’un musicien à sa musique. Une musique qui a fondé un courant esthétique mondial. Philip Glass se parle à lui-même, persiste et signe de ces deux mains, un geste musical qui fait encore couler tant d’encre.

François Mardirossian

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