Un été curieux

Pochettes vinyles 07.07.2023

Ça n’est pas encore le moment des bonnes résolutions de la rentrée de septembre ou du premier jour de l’année. Et tant mieux. C’est le début de l’été – des vacances pour beaucoup – où l’esprit se fait curieux et dilettante. Pas de lectures ou d’écoutes à mettre à profit : juste du plaisir gratuit. On peut enfin se lancer dans ce grand roman que l’on repousse et avoir l’audace d’aller vers des musiques étranges et belles. Un vinyle tous les sept jours :  huit semaines pour fouiner à la recherche d’artistes que le torrent des propositions continues tout au long de l’année nous empêche d’écouter sereinement. Bon été !

Colette RoperPiano Pieces
Sortie une première fois en 1979 sur le label de l’artiste et collectionneur d’art suisse Dieter Roth, cette œuvre répétitive pour piano, envoûtante et mystérieuse vient de ressortir en mars dernier sur le label japonais Art Into Life. On ne sait strictement rien de cette artiste : est-ce un pseudonyme ? existe-t-elle vraiment ? vit-elle encore ? Cet enregistrement est devenu peu à peu culte et il est indéniable qu’un charme étrange plane autour de cette fulgurance minimaliste obscure. Ces quatre pièces rares pour piano forment un tout d’une grande fraîcheur de jeu et d’une sincérité totale – assez rare dans cette esthétique.

Katrina Krimsky 1980
De formation classique, la pianiste américaine Katrina Krimsky s’est fait connaître par des enregistrements remarqués (et toujours de référence) d’œuvres de Samuel Barber et d’Heitor Villa-Lobos. Sa rencontre avec des figures contemporaines telles que Karlheinz Stockhausen, Luc Ferrari et Terry Riley va lui ouvrir les portes vers des esthétiques nouvelles. En 1980, elle donne un concert au légendaire Creative Music Studio à Woodstock et y improvise un long monologue inspiré par un jazz à la Keith Jarrett, un minimalisme propre à La Monte Young et un je-ne-sais-quoi d’hybride classique/contemporaine propre à sa formation académique. Sorti en février 2023 chez Unseen Worlds.

Flaer Preludes
Preludes est le nom du premier album de l’artiste anglais pluridisciplinaire Realf Heygate, né en 1994. Cette confidence sur l’enfance qui sortira en août prochain a été le moyen pour Heygate de se poser artistiquement et d’envisager enfin une nouvelle forme d’expression. S’enregistrant à la fois au piano, au violoncelle et à la guitare et tout ça de façon acoustique cet album sent bon la campagne anglaise et l’introspection naturaliste. Amis des oiseaux anglais, ce disque est pour vous – chez Odda Recordings.

Andrius ArutiunianSeven Common Ways of Disappearing
Voici une musique étrange, perturbante et relativement unique. Andrius Arutiunian, artiste arméno-lituanien s’est inspiré du penseur mystique Georges I. Gurdjieff et de son fameux ennéagramme pour créer une installation sonore – commande du pavillon de l’Arménie, Biennale de Venise 2022 et du festival Rewire de La Haye. L’ennéagramme est, à l’origine, une figure ésotérique ancienne, que Gurdjieff a réintroduit en en Europe au début du siècle passé. Ici, l’ennéagramme est transformé en partition musicale. Divisant le cercle en neuf points, la partition est pour deux musiciens et se trouve ouverte sur la durée, indéfiniment. Disque à retrouver chez Hallow Ground.

Jozef Dumoulin This Body, This Life
Un des plus beaux disques de l’année. On se souvient de son premier album solo au Fender Rhodes sorti en 2014 qui en avait bouleversé plus d’un et qui a fait de Jozef Dumoulin un des grands noms de la scène jazz en Europe. Personne avant lui n’avait osé un album centré autour de cet instrument aussi riche, inouï de sonorités et d’harmonies. Il nous revient en élargissant le choix des instruments : Fender Rhodes (évidemment), piano, synthétiseur, de la batterie et (évidemment) beaucoup de field recording (ses enfants notamment). « Ma méthode a été aussi simple qu’elle a pris du temps : j’ai enregistré un grand nombre d’improvisations au Fender Rhodes et un grand nombre d’improvisations au piano. J’ai fait des présélections pour les deux enregistrements et j’ai ensuite pris le temps de voir quel piano s’adapterait à quel Fender Rhodes. Une fois que j’ai établi un certain nombre de paires compatibles, j’ai considéré que tout était permis pour en faire des morceaux de musique autonomes et fonctionnels. Après tout, je devais réunir l’eau et le feu; c’est du moins l’impression que j’ai eue.» On entend rarement autant de richesses musicales dans un album où tous les styles musicaux se côtoient et nous donnent (enfin) envie d’envoyer paître toutes les étiquettes esthétiques qu’on aime coller aux musiques inclassables. Merci à Carton Records d’ouvrir son catalogue à ces musiques-là.

Miaux Black Space, White Cloud
Originaire de Sarajevo et résidente belge depuis 1989, Miaux a été nourrie de musique psychédélique et de Krautrock par sa famille qui faisait partie du collectif artistique anversois Ercola. Mia Prce – de son vrai nom – a déjà sorti plusieurs albums mais celui-ci (sorti en 2017) devrait revenir sur le devant de la scène tant sa beauté pure et authentique le rend intemporel. On y entend des sons doux de synthétiseurs Casio aux rythmes rock-minimalistes apaisants. On se croirait dans un film de David Lynch où le dépouillement cool et la tristesse souriante sont maîtres. Chez Ultra Eczema.

Svitlana Nianio Lisova Kolekciya
Svitlana Nianio est une figure importante de la scène underground ukrainienne des années 90. Sa musique est un subtil mélange entre la chanson traditionnelle de son pays d’origine et des expérimentations sonores propres à cette époque-là où les synthétiseurs en tout genre étaient les instruments de prédilection. Il y a bien sûr l’influence d’un Terry Riley dans le traitement des claviers mais la voix qui se superpose à ces nappes sonores (certains traitements annoncent parfois un Chassol) n’appartient à nulle autre. Cette musique, à cheval entre deux univers, est « profondément enracinée dans les mythes primitifs, créant un monde de réalisme magique, dans lequel la dimension temporelle et l’autre monde se déplacent et s’imprègnent constamment. » À découvrir en réédition grâce au label Skire.

François de Roubaix Du Jazz à L’Electro 1965-1975
Voici le disque qui a mis en émoi toute la sphère roubaisienne il y a quelques temps. Des nouvelles œuvres d’un des plus grands compositeurs de musique de films ? Non. Malheureusement, non. Juste une compilation sincèrement opportuniste – et pour notre plus grand plaisir de mélomane – de morceaux composés pour des séries télévisées ou encore des publicités. Pas d’immenses découvertes mais simplement le plaisir d’entendre cet artiste qui savait jouer de tout, mimer tous les styles et dont l’inspiration mélodique était sans limite.

François Mardirossian

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