Les images de la musique

Pochettes vinyles 17.12.2021

À quelques jours des fêtes de fin d’année où une quantité astronomique de vinyles vont s’acheter, retour sur cinq magnifiques pochettes, complètement en dehors des codes et qui laissent place à certaines musiques tout aussi splendides que parfois négligées. »

Un seul chiffre peut montrer à quel point le marché du vinyle est en grande crise ces derniers mois.  160 millions. La capacité mondiale actuelle de production est de 160 millions et la demande est estimée à plus du double, entre 320 à 400 millions selon le producteur et ingénieur du son américain Bobby Owsinski. 

Les délais de fabrication sont de plus en plus intenables et prennent des retards plus que dommageables pour les labels ou artistes indépendants. Plusieurs raisons sont invoquées : l’incendie en février 2020 de la plus grande usine à laque à vinyles d’Apollo Transco en Californie ou encore l’énorme quantité de vinyles produits par la diva de la pop Adèle pour la sortie de son dernier album : on parle de plus de 500 000 vinyles produits. Ce qui a littéralement saturé la production. Et depuis la résurgence grimpante du vinyle pour tous les styles de musiques les majors se voient réserver les chaînes de production par leur grand volume de commande
Le marché du vinyle reste malgré tout florissant avec en France une progression de 10,2% et  plus de 4,5 millions de disques vendus en 2020. 
Ce support séduit désormais au-delà du mélomane friand de « tenir » la musique entre ses mains et nostalgique d’une époque où la musique ne se consommait pas avec une playlist lancée au hasard sur une quelconque plateforme musicale mais se choisissait, se guettait et s’achetait à sa juste valeur. L’amoureux de musique veut pouvoir exposer sa collection chez lui et communiquer à tout visiteur ses goûts en matière de musique. La pochette de vinyle est donc devenue matière à démontrer son originalité, son sens de l’esthétisme pour les musiciens et un nouveau médium pour les artistes. L’impalpabilité de la musique pousse son auditeur à vouloir mettre des images, des mots, un discours sur ce qu’il entend et quoi de mieux qu’une pochette cartonnée de trente centimètres ? On se souvient tous de la pochette du vinyle ou du CD qui nous a fait découvrir notre musicien préféré dans notre jeunesse ou prime enfance? Que serait le Köln Concert sans cette pochette blanche plus qu’épurée où Keith Jarrett apparaît communiant la tête baissée sur son piano? Ou ce coffret consacré à l’œuvre de György Ligeti paru dans le label Wergo sans les dessins de Ligeti lui-même ? 

Graver la musique sur vinyle a t-il encore du sens en 2021 à l’heure où en quelques clics on peut accéder à la plus grande discothèque jamais créée par l’homme pour seulement 10€ par mois?  La façon d’enregistrer les vinyles n’a d’ailleurs plus rien à voir avec l’époque de sa création. Combien de temps encore l’amour de l’objet et la sacralisation du moment d’écoute tiendront tête à la simplicité (morne) d’écoute avec un ordinateur et un casque audio? Les sursauts des supports d’écoute de la musique sont parfois plus surprenants que l’on croit. La cassette revient en force depuis un ou deux ans. 
À quelques jours des fêtes de fin d’année où une quantité astronomique de vinyles vont s’acheter, l’occasion est d’explorer cinq magnifiques pochettes, complètement en dehors des codes et qui laissent place à certaines musiques tout aussi splendides mais malheureusement parfois négligées.

Ce disque de Moondog (sorti en 1969 chez Columbia)est considéré par les connaisseurs comme un de ses meilleurs sinon son chef-d’oeuvre. Ce disque éponyme est une bonne porte d’entrée pour ceux qui veulent découvrir ce musicien au parcours fascinant car interviennent autant des musiciens de jazz que des musiciens classiques issus de l’Orchestre Philharmonique de New-York et interprètent une musique qui n’est ni classique, ni du jazz mais une sorte de chaînon manquant qui ferait un pas de côté vis à vis de ces deux esthétiques. La musique de Moondog est assez inclassable et inimitable. On le découvre de profil habillé comme de toujours tel un prophète avec son immense barbe de mage perdu dans notre XX° siècle. Ce disque fait entendre la première version de son tube absolu : Bird’s Lament dédié à son ami le saxophoniste de légende Charlie Parker. A écouter ici.

Alan Hovhaness And God Created Great WhalesColumbia Masterwoks – 1971 est un disque à la pochette plus que majestueuse qui illustre au pied de la lettre le chef d’œuvre de ce compositeur américain encore sous-estimé en France. Cette œuvre orchestrale dirigée par André Kostelanetz est prévue pour chant de baleine à bosse et orchestre. Hovhaness y intègre des chants de baleines à bosse récupérés par le bio-acousticien Roger Payne, publiés sous le titre Songs of the Humpback Whale chez CRM Records et aux ventes records pour un enregistrement de sons issus de la nature (100 000 exemplaires). Ce disque réunit également quelques mouvements issus de la musique de scène La Tempête de Jean Sibelius, trois des trente-six danses grecques de NikosSkalkottas, le célébrissime Mack The Knife de Kurt Weill et la non moins connue version de la Jota Aragonesa de Mikhaïl Glinka. La belle baleine à bosse est dessinée par le peintre américain Thomas B. Allen. A écouter ici.

Big Ego publié dans le label Giorno Poetry Systems en 1978 est une compilation assez unique de musiciens, poètes, performers, artistes pluridisciplinaires des États-Unis. De gauche à droite sur la pochette : John Giorno (poète et fondateur du label), Meredith Monk, Philip Glass et deux enfants ; de Glass ? Monk ? ou Giorno ? L’enquête est lancée. Ce label est né – selon Giorno – du constat que la poésie avait 75 ans de retard par rapport à la musique ou la peinture d’un point de vue technologies modernes et médias de masse. Telle est l’ambition de ce double disque qui réunit des artistes tels que Laurie Anderson, Robert Ashley, Patti Smith, William S. Burroughs, Bernard Heidsieck et quelques musiciens tels que Philip Glass, Meredith Monk ou Otis Brown. A écouter Laurie Anderson, Three Experiences.

Dominique Lawalrée était un musicien belge disparu en 2019 qui reste encore malheureusement trop intime pour les mélomanes curieux. Ce compositeur aux multiples facettes –  que l’on peut qualifier abusivement de « minimaliste » –  avait une oreille musicale plus qu’ouverte sur les musiques de son temps . Il puisait son inspiration chez des compositeurs tels qu’Erik SatieBrian Eno, Federico Mompou ou encore Morton Feldman et n’avait aucun scrupule à adorer (au point d’en écrire des guides d’écoute) les Beatles ou Led Zeppelin. Dans Vis à vis aux éditions Walrus (fondées par le musicien pour publier sa musique), nous retrouvons notre « gros plein de sons » (l’expression est de lui-même) au piano dans ses œuvres quasiment composées et presque improvisées. Sur la pochette, Dominique Lawalrée dans son premier appartement : une photo simple, bien ancrée dans son époque avec le téléphone et l’horloge accrochée au mur. Et une musique nettement plus moderne que sa tapisserie. A écouter Listen to the quiet voice.

Through The Looking Glass  (1983 – RCA Red Seal) de la compositrice et interprète japonaise Midori Takada fait partie de ces albums mythiques qui ont peu marqué leur génération au début mais qui sont devenus des années plus tard des best-sellers qui fascinent encore aujourd’hui les mélomanes et musiciens et ce pour plusieurs raisons. Premièrement pour sa pochette étrange limite dérangeante illustrée par la mystérieuse artiste Yoko Ochida en forme d’hommage au Douanier Rousseau. Et dans un second temps pour sa musique très particulière et personnelle qui est à la frontière entre la musique minimaliste inspirée des expérimentations africaines d’un Steve Reich et la musique ambient très en vogue à cette époque. Midori Takada est la seule instrumentiste de ce disque et en seulement quatre œuvres, elle nous ouvre les portes d’une musique rythmée, colorée (on y entende l’ocarina, de l’harmonium, des cloches (de vache), bouteille de coca-cola etc. Cette musique est plus riche qu’elle n’y paraît dans une première écoute – ce qui est le propre de l’ambient- car elle recèle de subtiles contrepoints de mélodies aux sonorités inouïes pour son époque qui nécessitent plus qu’une écoute discrète. A écouter Mr Henri Rousseau’s Dream.

François Mardirossian

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