Comme toutes les manifestations programmées en ces temps difficiles de pandémie, le concert Motus s’est donné sans public sur la scène de l’Auditorium du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris le 2 mars dernier, capté puis retransmis sur la page youtube de la compagnie.
Emmené par son directeur Vincent Laubeuf, Motus est une compagnie musicale dédiée aux musiques électroacoustiques dites acousmatiques, celles qui ne s’entendent qu’à travers les haut-parleurs. Pas d’instrumentistes sur scène donc, mais une cinquantaine (ou plus) de haut-parleurs – l’acousmonium Motus -, de taille, de qualité et de couleur différentes, reliés à une console de diffusion. Elle est pilotée par l’interprète-acousmate chargé de donner au son sa dimension spatiale.
L’interprète n’apparait pas sur l’écran durant la diffusion des cinq pièces, la caméra se focalisant sur le support visuel qui accompagne la musique, image statique ou vidéo pour deux d’entre elles.
En revanche, cette même caméra se concentre sur les mains expertes de Vincent Laubeuf durant les quatre Miniatures « electronic live » qui assurent le continuum sonore du concert : “l‘usage de miniatures ayant fonction de transition entre des pièces composées est une idée que je développe depuis un certain nombre d’années. C’est une volonté de faire que le concert soit un seul « geste » du début à la fin, sans véritable arrêt, pour que le spectateur reste concentré, emporté, comme il l’est dans une œuvre longue », nous dit Vincent Laubeuf.
La vidéo nous met en lien direct avec l’ingénierie technologique et le geste de l’improvisateur. Passionnant!
Deux compositrices sont à l’affiche du concert dont les pièces retiennent toute notre attention. Les passagers (2014) d’Émilie Mousset (1) ouvre un espace à l’imaginaire et installe une vibration-émotion très prégnante. La musique est un road-movie peuplé de souffle, de voix et bruits de rouages inquiétants : des essieux qui crissent et des cris de corneilles hostiles, « avec en toile de fond la présence obsédante des camps de la mort », nous dit la compositrice.
Il n’y a pas d’autre côté d’Elsa Biston (2) s’élabore dans un temps long (23′) avec un « tout petit son », une percussion-pulsation irrégulière et omniprésente qu’elle donne à entendre, tout à la fois obsédante et toujours différente. Car c’est l’environnement dans lequel elle est perçue qui change, opérant de brusques mutations qui rythment la grande forme. Travail très fin sur la différence, l’œuvre invite à une expérience d’écoute singulière.
Captives (2020) d’Edgar Nicouleau est une musique de flux traversant des espaces et des matières extrêmement contrastés, du monde oiseau persifflant aux résonances cuivrées sondant des profondeurs abyssales. La musique est doublée d’une image en 3D dont la couleur s’intensifie à mesure. L’avant dernière pièce, Cérémonies (2015), est une réalisation à deux têtes, le compositeur Nicolas Vérin et le cinéaste Robert Cahen. Ils nous font voyager dans les montagnes du Caucase : « Réminiscences de la Géorgie, rencontre entre la tradition et la modernité, poésie de l’instant… », nous disent les notes de programme. Les visages sont captés de près et le rituel funéraire accompagné de polyphonies somptueuses dans l’intensité du son et la beauté des images.
La plupart des concerts Motus intègre à leur programme une œuvre et un compositeur de référence. Hommage ce soir à l’immense Ivo Malec (1925-2019), homme de studio autant que compositeur d’écriture instrumentale, explorateur infatigable d’un monde sonore que lui révèle, dans les années 60, l’enseignement de Pierre Schaeffer, « son seul et unique maître », aimait-il à rappeler. Luminétudes (1968) est une musique d’ objets sonores, montée avec virtuosité, selon les techniques de studio : énergie des figures qui s’inscrivent dans l’espace, matières colorées et silences abrupts qui soulignent la discontinuité du propos. Malec fait exister le son, le donne à voir, comme si la musique se présentait visuellement. Des sons signaux récurrents en dessinent la forme : entre violence et son envers, la tendresse… « Dédié à Pierre Schaeffer », souffle une voix amicale au terme de la pièce.
Michèle Tosi