S’envoler avec palipnol

Disques 10.01.2024

Avec Roadtrip, sorti le 17 novembre 2023, palipnol part à la rencontre de sept différents pianos droits au cours de sept journées de voyage, dans des lieux qui comptent pour lui, Tarbes, Pau, Le Porge (près de Bordeaux), Aigrefeuille d’Aunis (près de La Rochelle), Niort, Châtellerault et Tours, sa toute nouvelle ville de résidence. Le disque est un voyage dans le temps, dans ses souvenirs, dans ce qui le constitue. Ces dix-huit morceaux, improvisés ou plus écrits, planants, minimalistes, intimistes, rêveurs et nostalgiques, nous ont emporté.

J’avais rencontré pour Hémisphère son Marin Michelat lors du festival de Malguénac avec le groupe !GeRald!, dont il est clavier, un groupe de rock bien déjanté, saturé, métal, psychédélique, à l’énergie débridée, qui cultive à la fois un art de la rupture et des longues plages transe. Et puis récemment, Marin est revenu vers moi pour me parler de ce dernier projet de piano solo, sous le nom de « palipnol », une anagramme de « papillon ».

Autant le dire sans détour, la musique de Roadtrip, très différente de celle de !GeRald!, m’a littéralement transporté. J’ai écouté le disque en boucle pendant plusieurs jours, sans pouvoir m’en détacher, envahi par une profonde mélancolie, tout en ne pouvant me résoudre à arrêter la lecture. C’est un de ces albums qui a eu, pour moi, le pouvoir de marquer une époque, une transition, un passage de vie. Ça arrive parfois. Pas si souvent en vérité. Est-ce un hasard ? Je me résous parfois à penser qu’il n’y a pas de hasard, et que certaines choses se présentent à nous parce qu’il le faut, dans un moment précis. Je pense aussi que lorsqu’un projet musical a le pouvoir de s’inscrire à ce point dans une fenêtre d’existence, c’est la preuve d’une force et d’une qualité indéniables.

Ces dix-huit morceaux, « qui révèlent la facette contemplative de (la) personnalité » de Marin Michelat, sont nourris d’influences musicales directes ou indirectes qu’il nous énumère, Claude Debussy, Maurice Ravel, Erik Satie, Hania Rani, Nils Frahm, Chilly Gonzales, Tigran Hamasyan ou Olafur Arnalds. Dès « When I was not », joué sur le premier piano de son enfance, un climat de mélancolie et d’extrême lenteur s’instaure. Le thème de ce morceau resurgira ça et là comme un gimmick, dans d’autres pièces du disque. Chacune évoque « autant l’amour du voyage que l’amour de la musique » du pianiste, qui improvise depuis qu’il a dix ans.

Le son, au plus proche des mécaniques des instruments, souvent bruité, est à la fois pur et impur. Il se déploie dans un halo, un voile de réverbération ou d’écho, qui lui donne une couleur ouatée, feutrée, parfois troublée, brouillée, presque irréelle. Ainsi sonne un des morceaux les plus émouvant de l’album, « Camille », dédié à un ami musicien avec lequel le jeune pianiste a souvent improvisé.

Dans « Hollow Night », qui évolue dans une grande tessiture et exploite les silences réverbérés, l’étendue des fréquences de l’instrument est explorée au travers de résonances envoûtantes et théâtrales. Le titre est inspiré du nom d’un jeu vidéo.

Pour ce projet, palipnol était accompagné d’un ingénieur du son et d’un vidéaste, qui a immortalisé ces voyages et ces sessions d’enregistrement dans cinq films d’un quart d’heure qu’on peut consulter sur youtube. C’est jovial, chaotique, potache et plutôt éloigné de la musique du disque.

Si ce Roadtrip, on le voit dans ces films, est l’occasion de rencontres bien humaines, dont le pianiste est friand, ce dernier nous affirme en revanche que « rencontrer un piano est parfois plus fort que de rencontrer un être humain. » Il poursuit : « Pour moi, les pianos ont une âme, je les vois presque comme des êtres vivants. » Au fil des morceaux, on entend aussi les sons extérieurs captés sur l’enregistrement, la rue, les voitures, les oiseaux. C’est le cas tout particulièrement dans « Time slows down », où un oiseau semble répondre naturellement à tous les accords, à toutes les harmonies sous les doigts du pianiste.

palipnol puise tout au long de l’album dans son intimité, dans les concepts qui l’animent au plus profond de lui-même, comme dans « Nostalgie du vide », qui prend source dans son rapport à l’existence, au silence, à l’immatériel, et dans une réflexion sur le taoïsme. Tout un programme en seulement 2’30 : une des caractéristiques du disque est en effet de reposer sur des morceaux courts.

Nous finissons cette chronique par l’évocation de l’improvisation peut-être la plus nostalgique et la plus erratique du disque, « I remember », dont les arpèges en crescendo-decrescendo accompagnent le flottement onirique des pensées, alors que se dessinent parfois des embryons de thèmes. Une invitation à la méditation.

Guillaume Kosmicki

En concert le 17 février 2024 aux Cabanes Urbaines à La Rochelle

Retrouver Palipnol sur  Radio Bro Gwened 

En lien

buy twitter accounts
betoffice