Malguénac : le festival de toutes les fusions

Concerts 26.08.2023

En cette deuxième soirée au festival de Malguénac, vendredi 18 août, l’intensité monte d’un cran : plus de monde, plus de musiques bruitistes. Nous avons choisi de consacrer cette dernière chronique à Sarāb, un des ensemble les plus célébrés cette année dans le monde du jazz, et à !GeRald!, prodigieux groupe de rock expérimental à l’énergie débridée.

Les morceaux de Sarāb puisent aux sources de la musique orientale, syrienne en particulier, que le groupe déploie dans un écrin baroque, conçu de touches vives et bigarrées, mêlant jazz, techno, funk, rock, etc. Sarāb ne se refuse rien, et sa mosaïque de styles, jouée avec un enthousiasme irrésistible, fait mouche : une alchimie entraînante et contagieuse. Les lignes mélodiques ornées, les maqâmat et les youyous côtoient les battements électroniques effrénés, les lignes de basse groovy ou les riffs metal acérés.
À Malguénac, les musiciens se montrent particulièrement généreux, dansant sur leurs propres morceaux, poussant le public, qui n’avait pas besoin de beaucoup pour s’enflammer, à réagir. Leur concert est un concentré d’énergie et de joie partagée, palpables dans la grande salle Résonnance, qui vibre toute entière à leur musique. Leur programme, très bien structuré, ménage des moments d’intimité, des plages d’extases, puis des montées cathartiques et des décharges d’énergie.

Pourtant, Sarāb, qui veut dire « mirage » en arabe, ne chante pas que des textes joyeux, loin s’en faut. Climène Zarkan évoque la nostalgie de l’exil, les affres de la guerre, les épreuves de la migration. L’avant-dernière chanson est dédiée à Nahel, récente victime d’un tir policier injustifié, à bout portant. La chanteuse franco-syrienne fait parfois appel à d’autres plumes, se nourrissant par exemple des vers de la poétesse Maram al-Masri. Les volutes de sa voix s’entrelacent avec le trombone de Robinson Khoury dans un lyrisme envoûtant, souvent dans un unisson parfait lié à la tradition arabe classique, parfois aussi dans un contrepoint de tradition occidentale, tandis que la basse de Timothée Robert et la batterie de Paul Berne assurent une solide assise rythmique, sur laquelle les claviers de Thibault Gomez et la guitare de Baptiste Ferrandis soufflent tour à tour sonorités éthérées, romantisme passionné, énergie débridée, folie électrique, voire quelques épisodes bruitistes réjouissants. Il y a du kitsch et de la pop chez Sarāb, mais toujours maniés de bon goût, dans un équilibre des saveurs, riche en épices et parfaitement maîtrisé. Un concert inoubliable !

!GeRald! se revendique du rock expérimental. Le groupe est créé en 2018 avec quatre musiciens français et anglais : Marin au clavier, Marvin à la guitare, Thomas à la basse (c’est aujourd’hui Quentin qui tient ce rôle) et Teddie à la batterie. !GeRald! est un groupe de rock, ça envoie, ça sature, ça grince, ça crie, mais pas que… Ça plane beaucoup aussi, et puis ça groove ! Le groupe s’est spécialisé dans les longs morceaux instrumentaux, bien charpentés mais aussi un peu fous, où l’auditeur ne sait jamais ce qui l’attend au détour du chemin.

En concert, la sensation est délectable : les morceaux, d’une richesse considérable, semblent ne plus devoir finir. En effet, ils sont saupoudrés d’effluves de rock psychédélique, de riffs de metal, de piano jazzy ou de synthétiseur extatique, de montées transe, mais aussi de beaucoup de bizarrerie et de loufoquerie, dans la distorsion d’un rock bien pesé.

Le concert est d’une nervosité endiablée, maintenue d’un bout à l’autre. À chaque extrémité de la scène, absolument envoûtants, Marin se jette sur son clavier, tandis que Teddie, animé de secousses et avec un regard enflammé, triture sa batterie dans tous les sens et ménage les cassures rythmiques incessantes, les départs, les reprises. Au centre, ce sont Marvin et Quentin, moins fébriles dans leur gestuelle, mais assurant des textures sonores bruitistes d’une intensité phénoménale. Par ailleurs, la richesse et la densité des effets sur les trois instruments électriques contrastent fortement avec le son sec de la batterie, quasiment acoustique (juste amplifiée) : c’est un effet heureux.

En interview, le groupe m’a confirmé son amour (évident) pour Naked City, mais aussi pour King Crimson, Nirvana, Tool, la noise et tant d’autres références (y compris Debussy, dont certaines harmonies surgissent effectivement au clavier de Marin). On ne ressort pas indemne d’un tel concert, où la musique correspond à l’ère du zapping et plus encore à celle d’internet, cet univers où un simple clic peut amener dans un univers totalement différent, du glauque au sublime, du banal à l’horrible. Une chose est certaine lorsque la dernière note résonne puis s’éteint : le rock, lui, n’est pas mort !

Guillaume Kosmicki

Vous pouvez écouter les interviews de Guillaume Kosmicki sur RBG (Radio Bro Gwened) :
– Sarāb, L’ultime alchimie
– !Gerald!, Le rock n’est pas mort!

Photos © Ysa Gudule

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