Présence coréenne : Unsuk Chin sous les projecteurs

Concerts 16.02.2023

Facéties, humour, non-sens et virtuosité sont autant de facettes qui composent l’univers sonore d’Unsuk Chin. La compositrice est à l’honneur du festival Présences de Radio France (du 7 au 12 février) où une quinzaine de ses œuvres sont à l’affiche.

« Ma musique est le reflet de mes rêves », nous dit Unsuk Chin, compositrice coréenne vivant à Berlin dont l’opéra Alice in Wonderland créé à Munich en 2007 consacre cette attirance pour l’imaginaire de l’enfance et l’univers du merveilleux. Si elle ne délaisse aucun aspect de la composition, de la voix à l’instrument, de l’œuvre soliste au grand orchestre, de la musique concertante aux ressorts de l’électronique qu’elle aborde avec la même exigence, l’idée de la théâtralité, la présence de personnages, incarnés ou non, et le geste qu’elle aime montrer, se retrouvent dans la plupart de ses œuvres.

Jeu de simulacres et mondes décalés

Cosmigimmicks (2012) pour ensemble est un théâtre imaginaire lié à la pantomime qu’interprètent, avec la délicatesse qui convient, les musiciens de l’Ensemble C Barré sous la direction de Sébastien Boin. À l’univers des cordes pincées (harpe, mandoline et guitare) s’associent un piano préparé, des percussions et un violon : avec gestes et sonorités a minima, cette musique de l’éphémère nous enchante. Y associer dans le même concert la manière alerte et le registre humoristique du Basque Mikel Urquiza semble une évidence. Les deux pièces au programme sont extraites de son dernier CD tout récemment sorti chez L’Empreinte digitale. My voice is my password est écrit pour six voix mixtes, celles des Neue Vocalsolisten de Stuttgart qui partagent la scène avec l’Ensemble C Barré. Urquiza y poétise le quotidien, partant de « platitudes verbales » (des clichés de centres d’appel) qu’il met en polyphonie pour concevoir de joyeux madrigaux aussi pétillants que décalés. Les mêmes sources triviales (les textes de son pourriel) dont Urquiza fait son miel engendrent Songs of spams où voix et instruments réunis animent quatre petites saynètes superbement réglées.

Trop peu connu en France, le compositeur pragois Martin Smolka est une âme chercheuse qui n’est pas sans évoquer la personnalité d’un George Crumb. Jonah seven chants, commande de Radio France, convoque trois chanteuses (membres des Neue Vocalsolisten) et l’Ensemble C Barré ajoutant à son instrumentarium le cymbalum. Smolka explore l’univers microtonal des instruments à cordes (cymbalum, mandoline, harpe et guitare) dont les hauteurs de note s’effacent au profit du timbre. L’histoire est tirée de la bible, qui raconte en sept numéros l’aventure de Jonas accueilli dans le ventre de la baleine. La beauté des voix (Johanna Vargas, Suzanne Leitz-Lorey et Truike van der Poel) le dispute au raffinement des couleurs et à l’originalité de la facture. Le geste instrumental et la manière litanique des voix soulignent l’aspect ritualisant d’une musique aussi raffinée que fascinante.

Jeu de double avec l’électronique

Le Studio 104 accueille l’ensemble Next, constitué par les étudiants interprètes du cursus « Ars Diploma » du CNSMD de Paris. La jeune Reika Sato est seule en scène dans Double Bind? (« Double lien? ») qu’Unsuk Chin écrit en 2006-2007 pour la violoniste et compatriote Hae-Sun Kang. La pièce nous ramène au théâtre où le geste prend toute son importance. La violoniste est assise sur une chaise haute entretenant un rapport ambiguë avec son instrument, entre sensualité (caresse du manche) et violence : l’instrument est secoué, frappé, trituré… La partie électronique complice (Jacques Warnier et Rémi le Taillandier aux manettes) prend une part active à ce mimodrame étrange.

« Quand j’écris de la musique électronique, je veux conserver le contrôle absolu de tous les paramètres, travailler à fond avec le son, jusqu’à l’extrême », nous confie Unsuk Chin. Cette exigence s’exerce aussi dans son quatuor à cordes avec électronique Parametastring, une étude sans concession sur le son du quatuor à cordes imbriquant de manière organique sons enregistrés, électronique live et sources instrumentales.

Cette réciprocité s’entend également dans la pièce du jeune coréen Seong-Hwan Lee (encore étudiant au CNSM de Paris dans les classes de Frédéric Durieux et Yan Maresz) qui confie aux instrumentistes des percussions métalliques (plaque et méta-triangles) servant d’interface entre les deux mondes. Écrit pour violon (Aino Akiyama), violoncelle (Nanami Okuda), piano (Albert Kuchinski) et sons fixés, L’oiseau dans le temps II donné en création mondiale fait valoir une grande maîtrise technique et une richesse des composantes sonores au sein d’une écriture où l’électronique modèle l’espace et dessine la dramaturgie.

Au pays des merveilles

À l’auditorium, le concert d’orchestre avec le Philharmonique de Radio France dirigé par le chef néerlandais Antony Hermus, familier de la musique d’Unsuk Chin, clôture le festival avec deux pièces vocales majeures de la compositrice entre lesquelles s’insère la création du Concerto pour violoncelle de Francesco Filidei, I Giardini di Vilnius, co-commande de Radio France. Les rhombes sifflent, les oiseaux pépient et l’air circule dans les rangs de l’orchestre au sein de cette pièce où l’écoute est baladée d’un contexte à l’autre. Au fil de cette forme « à fenêtres », gage d’une hétérogénéité assumée, le parcours labyrinthique, auquel il nous manque le fil d’Ariane, frise parfois la confusion. Le violoncelle (Sonia Wieder-Atherton) peine à y trouver sa place, ajoutant sa propre strate sonore à un environnement peu soucieux de l’accueillir. À force de flâner dans les jardins de Vilnius, on finit par s’y perdre!

D’Unsuk Chin, Le silence des sirènes (« plus dangereux encore que leur chant », selon Kafka!) associe des extraits d’Ulysse de James Joyce (le onzième chapitre Sirens) et de l’Odyssée d’Homère chantés en grec ancien. La pièce de 2014 est écrite pour Barbara Hannigan et ses capacités vocales hors norme, poussées jusqu’à l’extrême, précise la compositrice.

C’est la soprano Faustine de Monès, venue des rangs du public, qui endosse le rôle avec une agilité déconcertante, assumant les tours et détours de cette écriture insolemment virtuose et dûment envoûtante au côté d’un « Philhar » très concentré. Facéties, humour et fantasmagories sont à l’œuvre dans Puzzles and games from Alice in Wonderland, une suite pour soprano et orchestre tirée de l’opéra d’Unsuk Chin dont les huit scènes sont ici réduites à onze miniatures. Entre Folksongs (on pense à Berio) et scènes opératiques, l’écriture regorge de vitalité et de trouvailles orchestrales, exploitant toutes les richesses des timbres convoqués, clavecin, mandoline, accordéon et autres percussions toujours habilement sélectionnées. Soprano aussi agile que lumineuse, l’Australienne Alexandra Oomens rayonne au sein de l’orchestre dans ces pages superbes alliant brillance, virtuosité et minutie du détail.

Triste déconvenue…

Un souci technique avec l’orgue Grenzing de l’Auditorium nous empêche de découvrir la pièce de Théo Mérigeau, Hoquetus animalis. Précisons que la générale du concert prévue la veille n’avait pu avoir lieu en raison du préavis de grève déposé par les deux orchestres de la Maison ronde ce samedi 11 février. Exit également les quatre créations mondiales au programme du concert phare de l’Orchestre National de France, annulé ce même jour et pour les mêmes raisons : le très attendu Mare Marginis pour piano et orchestre de Ramon Lazkano, la nouvelle pièce d’Héloïse Werner pour soprano et violon, la commande de Radio France passée à Thomas Lacôte, Chambres claires pour orchestre et celle d’Unsuk Chin, Alaraph-Ritus des Herzschlags, une pièce dont l’encre est à peine sèche, « traversée d’images ou d’impressions liées à la musique traditionnelle coréennes »… Des décisions qui ont pesé sur le bon déroulement de ce festival, sur le moral des programmateurs comme celui des artistes et profondément déçu la grande majorité des auditeurs.

Michèle Tosi

Photo article © Christophe Abramowitz
Photos concert © Stéphane Loison

Festival Présences, Paris, Radio France, le 12-02-2023
14h30 : Unsuk Chin (née en 1961) : Cosmigimmicks pour petit ensemble ; Mikel Urquiza (né en 1988) : My voice is my passworld pour six voix ; Songs of Spam, pour six voix et petit ensemble ; Martin Smolka (né en 1959) : Jonah, seven chants, pour trois voix de femme et ensemble, d’après Le Livre de Jonas / La Bible (CM). Ensemble C Barré, direction Sébastien Boin.
16h30 : Unsuk Chin (née en 1961) : Double Bind ?, pour violon et électronique ; Parametastring, pour quatuor à cordes et électronique ; Seong-Hwan Lee (né en 1996) : L’oiseau dans le temps pour violon, violoncelle, piano et électronique (CM). Solistes de l’ensemble Next : Reiko Sato et Aino Akiyama, violon ; Senghyun Kim, alto ; Yi Zhou et Albert Kuchinski, violoncelle ; Nanami Okuda et Arzhel Rouxel, piano/claviers ; Jacques Warner et Rémi le Taillandier, réalisation informatique musicale.
19h00 : Unsuk Chin (née en 1961) : Le silence des sirènes, sur un texte de James Joyce et Homère, pour soprano et orchestre (CM de la nouvelle version) ; Puzzles and games from Alice in Wonderland, sur des textes de David Henry Hwang et Unsuk Chin d’après Lewis Carroll ; Francesco Filidei (né en 1973) : Giardini di Vilnius, concerto pour violoncelle. Faustine de Monès, Alexandra Oomens, sopranos ; Sonia Wieder-Atherton, violoncelle ; Orchestre philharmonique de Radio France ; direction Antony Hermus.

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