Barbara Hannigan Sur tous les fronts

Eclairages 02.05.2021

Soprano, cheffe d’orchestre, directrice artistique et mentor, Barbara Hannigan, native de la Nouvelle-Écosse, est une artiste plurielle mue par un élan et une exigence hors norme. La revue canadienne Circuit qui fête ses trente ans lui consacre son troisième numéro de l’année 2020 dont nous nous faisons l’écho. 

Quand un bon nombre d’interprètes avoue sa crainte si ce n’est son rejet de la musique contemporaine, Babara Hannigan affirme, quant à elle, « avoir peur de la tradition » ! Voilà un sentiment peu commun de la part d’une artiste qui recherche le contact avec les compositeurs vivants auxquels il lui arrive même de passer commande. Elle a aujourd’hui quelques quatre-vingt trois créations à son actif, un bilan de trente années de scène en tant que chanteuse qui l’ont fait connaître et apprécier dans le monde entier : « Quand je chante, dit-elle, c’est une expérience sensuelle totale. Tout mon corps est le centre du son. J’incorpore la musique ». Citons pour mémoire et parmi ses succès les plus retentissants le rôle de Lei (Elle) dans Passion de Pascal Dusapin, une production de Sasha Waltz à la Monnaie en 2012 ; dirigée par Sasha Waltz toujours, elle chante et danse avec Charlotte Hellekant dans Matzukaze du Japonais Toshio Hosokawa. Elle est Venus mais aussi Gepopo dans la fabuleuse production du Grand Macabre de Görgy Ligeti (au Théâtre de la Monnaie 2009), et Agnès, la femme du Protector dans Written on skin, le chef d’œuvre de George Benjamin créé en 2012 ; elle incarne récemment Bérénice dans l’opéra éponyme de Michael Jarrell où elle rencontre la chorégraphe et danseuse Rina Schenfeld ; sans oublier la formidable Lulu d’Alban Berg dans la mise en scène de Krzyztof Warlikowski que la Monnaie remet à l’affiche en novembre prochain avec Barbara Hannigan dans le rôle-titre au côté du chef Alain Altinoglu. Sous la direction du même Warlikowski, elle a été la Judith du Château de Barbe Bleue de Béla Bartók et Elle, le personnage de la Voix humaine, la tragédie lyrique en un acte de Francis Poulenc qui complétait la soirée.

Un rôle qui semble lui coller à la peau surtout lorsqu’elle chante et dirige en même temps le monologue, une performance sans précédent dont la soprano et cheffe relève le défi avec une aisance confondante. Il s’agit d’une nouvelle production (2021) avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le vidéaste Denis Guéguin, artiste associé à Krzyztof Warlikowski depuis 2003. Elle mêle projection vidéo en direct et film préenregistré, dans lequel on voit la femme-soprano prise à son propre fantasme qui dirige l’orchestre et réciproquement. En tee-shirt et pantalon moulant, Hannigan prodigue une direction mi-professionnelle, mi-chorégraphique, mi-athlétique, se servant parfois de ses poings comme un boxeur. La situation est idéale pour la gestion de ces fameux points d’orgue que Poulenc ajoute à la fin des phrases de la chanteuse dont les respirations sont ici synchrones avec son geste de direction. La performance est hautement virtuose et totalement convaincante.

Enregistrée les 6 et 7 janvier 2021 à la Maison de la radio à Paris

S’agissant de la direction, Hannigan ne l’a jamais vraiment étudiée si ce n’est à travers les conseils de grands chefs et sur le terrain qui reste sans aucun doute le meilleur apprentissage pour une musicienne de sa trempe. Sa carrière de cheffe commence en 2011 au Théâtre du Châtelet avec Renard d’Igor Stravinsky. On peut avancer qu’elle dirige comme elle chante, avec beaucoup de naturel et une  grande détente dans le corps qui favorise la plasticité du geste : « C’est presque la même chose que chanter : l’espace, le souffle, je veux donner l’espace à l’orchestre… ».C’est avec le Ludwig Orchestra, phalange des Pays-Bas, qu’elle se produit aujourd’hui le plus souvent et avec lequel elle a déjà gravé deux disques : « Crazy Girl Crasy » et « La Passione », un CD encensé par la presse où, cheffe et chanteuse une fois encore, elle interprète Quatre chants pour franchir le seuil, l’ultime partition de Gérard Grisey que l’on aura rarement entendue avec une telle émotion. Elle est également cheffe invitée de l’orchestre suédois de Göteborg. 

En 2017, Barbara Hannigan crée son propre programme de mentorat nommé Equilibrium, un lieu d’encadrement et de soutien pour les professionnels basé sur sa terre natale de la Nouvelle Écosse : « Nous ne pouvons pas atteindre l’harmonie sans garder notre acte d’équilibre en mouvement constant. Toute bonne performance repose sur un équilibre sacré entre tous les protagonistes impliqués : chanteurs, instrumentistes, chef d’orchestre, compositeurs, texte, public», explique-t-elle. Elle a choisi un petit groupe de jeunes artistes qui, dit-elle, « lui ressemblent un peu ». Ils n’y reçoivent pas une formation mais une préparation mentale et physique pour aborder la profession à travers laquelle  Hannigan essaie de communiquer ses propre valeurs : concentration, discipline et joie. Dans ce programme qu’elle finance elle-même, sont invités compositeurs, metteurs en scène, chorégraphes, musiciens et entraineurs sportifs, consciente de l’importance du corps et de son développement dans une carrière d’artiste. Soulignons d’ailleurs que le mot performance s’emploie dans l’un et l’autre domaine !

En 2020, réagissant à la situation catastrophique de la vie culturelle causée par la pandémie, Barbara Hannigan crée Momentum, une structure d’aide à la jeune génération, offrant des contrats professionnels dans des productions où les artistes de la relève partageront la scène avec elle.

On est subjugué par le rayonnement de cette artiste exceptionnelle et le niveau d’excellence auquel elle parvient dans tous les domaines ; émerveillé également par ce don de partage et la générosité qu’elle prodigue envers la jeune génération au fil d’une carrière retentissante où les termes de confiance, de fidélité et de discipline semblent être les maitres-mot de la réussite.   

Michèle Tosi

Photo article : Le Grand Macabre, György Ligeti (mise en scène d’Àlex Ollé, La Monnaie, 2009) ©Bernd Uhlig

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