Négligence, injustice, mise à l’écart, domination patriarcale… ce sont autant d’états de fait relevés par notre confrère Guillaume Kosmicki dans son nouvel ouvrage Compositrices : l’histoire oubliée de la musique, édité chez Le mot et le reste, qui réhabilite la présence des compositrices dans la musique et au fil des âges. Attaché à leur cause depuis plus de dix ans, l’auteur réécrit l’histoire, autrement.

Après une introduction aussi synthétique qu’éclairante, abordant des notions importantes attachées à la problématique, l’auteur adopte un parcours chronologique, de l’Antiquité à nos jours, sur le modèle d’un manuel d’histoire de la musique savante occidentale : en ayant soin de toujours ancrer son étude dans le contexte socio-politique et l’évolution de la pensée et de l’esthétique des huit périodes historiques envisagées.

C’est ici la place des femmes, dans la société d’une part, dans la musique d’autre part, qui est mise en lumière : « La polyphonie et l’exclusion des femmes », titre l’auteur, dans son histoire du Moyen âge ; « Un humanisme bien masculin », note-t-il, s’agissant de la Renaissance ; « des Lumières qui ne s’allument pas pour elles », à l’orée du XVIIIᵉ siècle. Une histoire du féminisme se dessine en filigrane, que l’auteur fait débuter au XIXᵉ siècle et dont il signale les trois vagues successives, du suffragisme, né à la fin du XIXᵉ et qui essaime ensuite dans le monde entier, jusqu’aux aspirations de la communauté LGBTQIA+ des trente dernières années.

Qui sont donc ces femmes compositrices de l’histoire qui bravent l’absolutisme patriarcal et les interdits de leur époque pour s’afficher en public et donner à entendre leur musique? Elles sont instrumentistes ou chanteuses, filles de bonne famille qui accèdent aux études, épouses et mères ayant parfois des responsabilités politiques… En bref, des femmes exceptionnelles, de véritables héroïnes que l’histoire écrite par des hommes pour les hommes a laissé pour compte!

Guillaume Kosmicki leur consacre des portraits qui jalonnent chacune des périodes historiques : un seul pour l’Antiquité (Sappho) et la Renaissance (Maddalena Casulana), trois pour le Moyen-âge, de quatre à six pour les périodes suivantes et jusqu’à vingt-deux pour le monde d’aujourd’hui, de l’Étiopienne Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou (1923-2023) à l’Italienne Clara Iannotta (née en 1983).

Sans prétendre à l’exhaustivité, le choix de l’auteur répond à deux critères principaux : en premier lieu, la nécessité pour chaque compositrice d’avoir au moins un enregistrement disponible auquel le lecteur puisse facilement accéder : « C’est un ouvrage de vulgarisation, au sens noble du terme », précise-t-il¹, « et j’ai fait en sorte que les deux ou trois œuvres que je décris plus en détail dans chaque portrait, puissent être écoutées».

Les pochettes de CD (monographies ou compilations) constituent d’ailleurs les seules ressources iconographiques de l’ouvrage. Le second critère est l’exigence d’un panel international de compositrices, obligeant à des choix plus drastiques encore au sein des XXᵉ et XXIᵉ siècles où les femmes deviennent heureusement plus nombreuses dans l’univers de la création : « J’ai voulu montrer qu’elles s’illustrent aujourd’hui dans tous les genres et les pratiques de la musique, de l’électroacoustique au numérique, de la mouvance sérielle à la musique spectrale, du monde instrumental à la scène de l’opéra ».

Comme il l’a fait dans les trois tomes de Musique savante, son précédent ouvrage, Guillaume Kosmicki accueille également le jazz et les musiques improvisées au sein d’une liste où Carla Bley, Joëlle Léandre ou encore Nina Simone côtoient Kaija Saariaho, Xu Yi, Edith Canat de Chizy ou encore Unsuk Chin.

L’ouvrage est foisonnant autant qu’édifiant, qui bouleverse nos certitudes et engage à écouter la musique autrement. Pour Guillaume Kosmicki, qui endosse l’habit de militant, la recherche ne fait que commencer et la réflexion est ouverte, conscient que bien d’autres génies féminins sont encore à découvrir.

Michèle Tosi

Le livre Les compositrices aux Éditions Le mot et le reste
Écouter Guillaume Kosmicki invité par Arnaud Merlin sur France Musique, à 1h28’

1. Un important glossaire à la fin de l’ouvrage permet d’accéder à la compréhension de tous les termes musicaux.

Photo article © Editions Le mot et le reste