Au croisement des courants avec Gabriel Erkoreka

Disques 05.07.2022

Avec une dizaine de pièces interprétées par Alfonso Gómez, c’est la quasi intégralité de la musique pour piano du compositeur basque Gabriel Erkoreka qui est donnée à entendre dans ce CD monographique, édité chez Kairos.

Gabriel Erkoreka a mené lui-même une activité d’interprète pianiste au début de sa carrière, en jouant notamment au côté de l’Orchestre Symphonique de Bilbao. Les deux pièces qui débutent cet enregistrement, Nubes et Nubes II (Nuages en espagnol), écrites à l’âge de 25 ans, laissent déjà entrevoir les perspectives sonores à venir : une exploration obstinée de la résonance et ses différents modes d’entretien (Nubes), un jeu qui se déploie dans les registres extrêmes et une énergie du geste favorisant les mouvements cinétiques. Le piano est généreux, richement timbré, s’inscrivant dans une temporalité qui fluctue (Nubes II). Autant de constantes qui traversent les Quatre Ballades (2017-2021) composées plus de vingt ans après le diptyque de jeunesse : œuvres maîtresses du compositeur rendant hommage à de grandes figures aimées.

Dans la Ballade N°1 (Pierre Boulez in memoriam), l’espace s’ouvre et la polyphonie se densifie à mesure : un piano du délire comme l’envisageait Boulez dans ses Sonates qui appelle la virtuosité et la vivacité des figures. Une dramaturgie se dessine dans la 2 (Edgard Varèse in memoriam) intégrant une percussion sur le bois de l’instrument : insistance des notes polaires et figures en étoiles. Le piano est expansif et le geste libéré, les trilles toujours présents et le registre grave très sollicité. Un oiseau se fait entendre, en surimpression, dans la Ballade N°3 (Olivier Messiaen in memoriam) au sein d’une écriture aux accords de couleur et aux arabesques fluides presque lisztiennes. Dans la 4 (Gérard Grisey in mémoriam), l’écriture investit les basses résonnantes avant de gagner les aigus. Le jaillissement est permanent et les configurations spatiales toujours redessinées : un piano du délire, certes, mais toujours contrôlé.

Les quatre autres pièces découvrent le versant basque du compositeur à travers les rythmes (Dos Zortzikos) et les couleurs lumineuses de son pays. Le registre est clair et la dimension mélodique affleure dans Jaia (Faire la fête), sorte d’anamorphose sonore de Navarra, une pièce laissée inachevée par Albeniz. La musique du catalan s’entend dans Mundaka (une ville de la côte de Bizkaia) ainsi que le rythme libre de Messiaen conduisant une écriture aussi complexe que lumineuse. La griffe du compositeur des «  Vingts Regards » (le « gong » dans les basses du piano et les couches temporelles qui se superposent) transparaît également dans Dos Zortzikos, même si l’écriture des pièces jumelles (la 2 est jouée avant la 1) relèvent de la rythmique singulière du folklore basque. Dans sa manière épurée et bien sonnante, Kaila Kantuz est l’hommage aussi personnel que poétique du compositeur et pianiste basque à sa terre natale .

Alfonso Gómez est familier de l’univers sonore et de l’écriture de Gabriel Erkoreka qu’il habite pleinement, dans l’envergure virtuose et la dimension quasi orchestrale de son clavier. La sonorité est somptueuse et l’engagement total dans ces six partitions gorgées d’énergie où le pianiste allie puissance du geste et précision de l’articulation.

Michèle Tosi

Gabriel Erkoreka (né en 1969) : Nubes, Cúmulos… Nimbos ; Nubes II Cirros… Estratos ; Four Ballades ; Jaia ; Dos Zortzikos ; Kaila Kantuz ; Mundaka. Piano, Alfonso Gómez. CD Kairos

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