L’âme vagabonde d’Ivan Solano

Interviews 04.03.2021

Ivan Solano : « Être compositeur aujourd’hui, c’est avoir une envie viscérale d’écrire de la musique »

De Madrid à Strasbourg, le compositeur espagnol multiplie les projets : des créations en Europe avec un chorégraphe compatriote, des ateliers avec des collégiens et un vaste travail de recherche sur le geste du musicien… Rencontre avec un artiste sur tous les fronts.

Madrid, Paris, Rome, Strasbourg… Vous parlez six langues… Vous avez l’âme vagabonde !

C’est vrai que je me sens profondément européen, et même international… Comme beaucoup de musiciens, d’ailleurs, et ça depuis plusieurs siècles. Je viens de Madrid, ville avec laquelle j’ai toujours beaucoup d’attaches et de projets, mais j’ai étudié six ans à Budapest, à Paris, à Strasbourg dans la classe d’Ivan Fedele, puis j’ai passé trois années à Rome, à l’Academia Nazionale de Santa Cecilia… Je suis rentré à Strasbourg en 2016, pour commencer un doctorat de musicologie. Ma thèse porte sur le geste du compositeur et de l’interprète. Je travaille avec des ensembles à Strasbourg, à Paris, en Espagne. Voyager et étudier dans différents pays permet d’acquérir une grande souplesse mentale et créatrice. Et mes sources d’inspiration sont très variées : dans mes pièces se mêlent la clarinette, les ondes Martenot, le piano, la musique et la danse, le chant, l’électroacoustique… 

Je pense notamment à votre pièce « File d’attente » pour électroacoustique et… file d’attente !

On sépare encore trop le populaire et le savant. C’est curieux, car les compositeurs de toutes les époques ont basculé entre la musique savante et la musique populaire, je pense à Bartók, Stravinsky, Granados, Bizet, Albéniz… Je suis convaincu qu’il est possible de proposer au public une nouvelle expérience de la musique d’aujourd’hui. « Musique contemporaine » n’est pas une esthétique, comme on voudrait le faire croire, c’est seulement un repère chronologique. Il faut des programmations contemporaines libres, ouvertes, avec des compositions très variées, qui surprennent. Il y a une petite tendance, dans le monde musical aujourd’hui, à créer des noyaux fermés sur eux-mêmes : un compositeur ne doit pas être instrumentiste, surtout pas… Il y a encore, hélas, des chapelles musicales. On classifie les compositeurs, les interprètes, les musiques… C’est dommage. En 2021, il faut ouvrir tout cela.

Comment, justement, décloisonner ?

C’est très intéressant, pour un compositeur, d’aller rencontrer des publics moins formatés. J’ai mené plusieurs projets musicaux avec des enfants : avec l’orchestre à cordes de 2e cycle du conservatoire de Strasbourg, puis des classes à horaires aménagés musique et danse de plusieurs collèges. Composer avec les jeunes me tient beaucoup à cœur. Avec eux, je fais aussi tout un travail sur le choix, la liberté d’écoute. Pourquoi écoute-t-on plutôt telle ou telle musique ? Je veux leur montrer qu’on peut construire un imaginaire sur les musiques qui semblent les moins accessibles. Notre rapport au public commence à changer. Avec la pandémie, notamment, on se rend compte qu’un concert est en soi un spectacle, quelque-chose de vivant, dans un lieu donné. Un lieu de concert, pour moi, n’est pas comme une église.

Vous évoquiez la danse et votre sujet de thèse. Le geste et le mouvement vous sont chers : vous avez entamé une collaboration avec l’un de vos compatriotes, le chorégraphe espagnol Eduardo Vallejo Pinto… 

Nous avons créé ensemble The Holly Trinity, une pièce dansée de 50 minutes. Nous avons eu une chance inouïe : la première, le 10 décembre dernier, a pu avoir lieu au Teatro del Bosque, à Madrid ! Remettre les pieds dans un théâtre était très émouvant, presque irréel… Edouardo est un artiste absolument incroyable et je suis ravi de poursuivre mon travail avec lui pour une nouvelle création, prévue pour le mois de septembre, en Allemagne cette fois, au Staatstheater de Hanovre, avec le corps de ballet du théâtre.
The Holy Trinity sera repris à Madrid au Théâtre Fernan Gómez en clôture du Festival Danza en la Villa 2021.

The Holy Trinity / Ogmia from Eduardo Vallejo Pinto on Vimeo.

Avec quels ensembles strasbourgeois collaborez-vous en ce moment ?

Pendant le premier confinement, j’ai travaillé avec Dreieck Interferences, le collectif piloté par le contrebassiste Stéphane Clor, avec lequel je me suis lancé dans des compositions très électro, qui flirtent avec la techno. Je voulais produire des morceaux dansants ! 

A Strasbourg, les relations entre les musiciens venus de différents pays, de différents styles, sont intenses. J’ai eu la chance de travailler avec des musiciens venant de partout, jusqu’en Corée, en Colombie. La France et l’Espagne, pays frontaliers, ont des échanges importants, une porosité. Les grands centre musicaux espagnols, qui concentrent l’énergie de la création, sont Madrid bien sûr, Barcelone, le Pays basque aussi avec Bilbao. Il y a quelques festivals au sud, à Séville et à Grenade. 

Propos recueillis par Suzanne Gervais

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