La force du dire chez Philip Venables

Concerts 21.10.2021

Des mots échangés, du texte dit et chanté et de la bonne humeur sur le plateau. C’est l’allure théâtrale autant que participative que revêt le concert-portrait consacré au compositeur britannique Philip Venables au festival Musica à Strasbourg.

Il aime se définir comme un compositeur « collaboratif », aimant les mots et le théâtre autant que la musique. Ces deux opéras ont été donnés en France mais on connaît mal encore les œuvres tournées vers le théâtre musical auxquelles s’attache le programme de la soirée. Sont invités sur le plateau de la Cité de la Musique le collectif lovemusic, un ensemble strasbourgeois polyvalent (le flûtiste et le clarinettiste sont aussi récitants) et l’accordéoniste danois Andreas Borregaard, tous désireux d’abolir les frontières entre les genres et les disciplines artistiques.

Sans prévenir, les musiciens sur scène débutent le premier mouvement du Trio « Les Esprits » de Beethoven, un « lever de rideau » qui fait dresser l’oreille (l’extrait est court) avant que le maître de cérémonie, Romain Pageard hissé sur ses bottines blanches à talons, fasse les présentations. Banquette et fauteuil sont à cour, pour recevoir les artistes (compositeurs et interprètes) et dialoguer avec eux, en anglais ou en français, c’est selon. 
Exception qui confirme la règle, Klaviertrio im Geist, une pièce déjà ancienne (2010) est strictement instrumentale, une relecture/épure du Trio avec piano op.70 n°1 de Beethoven dont Venables a voulu saisir l’esprit (der Geist) sinon la lettre : trois mouvements seulement (adagio, scherzo et rondo) et autant de « gestes » beethovéniens (déclamation, introversion, obstination) restitués avec une extrême économie de moyens. Plus récente, My Favorite Piece is the Goldberg variations (2021) pour accordéon regarde vers le storytelling, l’idée de raconter des histoires à travers le texte et la musique. De fait, Andreas Borregaard parle autant qu’il joue, tresse les mots et la musique dans un rapport très fusionnel et une émotion à fleur de lèvres car c’est de son père qu’il nous parle à travers les propos de sa mère. « Cette pièce m’appartient », nous dit l’interprète, qui donne également de la voix chantée avec un naturel et un talent qui sidèrent. Le texte en anglais – celui de Ted Huffman plein de finesse et d’humour – est projeté sur le mur du fond dans sa traduction française. Quant aux Variations Goldberg – la part subjective du compositeur – elles infiltrent progressivement la texture musicale jusqu’à la citation intégrale du thème in fine.

Avant même la disparition de Frederic Rzewski en juin dernier, Venables avait inscrit au programme de ce soir Coming Together du compositeur américain. Rzewski s’empare du texte de Sam Melville, un détenu de la prison d’Attica qui meurt sous les coups de la police lors d’une mutinerie dont il fût le principal instigateur. L’œuvre laisse aux interprètes le choix de l’instrumentation et engage également l’improvisation au sein d’une partition « semi-ouverte ». Toute la violence est contenue dans la voix légèrement traitée du récitant (implacable Emiliano Gavito), répercutée ou doublée par celle des interprètes. Le texte est déroulé par bribes de phrases, distribuées sur une musique aux allures répétitives et aux puissantes nervures rythmiques dont le processus d’amplification porte la tension à son comble. 

Philip Venables a le projet de mettre en musique les 100 strophes (réparties en groupes de cinq) du long poème expérimental de l’Anglais Simon Hawards, tant le verbe direct, sensible et percutant l’inspire. Les thèmes abordés sont ceux du temps, de la mémoire, du discours politique ou encore de l’amour. Pour l’heure, ce sont deux nouveaux blocs de cinq vers, Numbers 81-85 et Numbers 96-100 qui sont donnés en création mondiale et dans lesquels le compositeur renoue avec la voix chantée. S’adossant à des textures instrumentales très raffinées, la voix de Grace Durham est tout à tour invoquante, mystérieuse, révoltée ou nonchalante dans le premier bloc. La strophe 96-100 est plus homogène, inscrite dans la temporalité très étirée d’une méditation collective. Du cri au murmure, la voix puissante autant que veloutée de la mezzo-soprano anglaise procède par bribes de phrases et espacements silencieux sur le mouvement circulaire et envoûtant des instruments. Tout aussi saisissant, le bloc 91-95 (2011) requiert le talent des deux récitants de lovemusic, Emiliano Gravito et Adam Starkie. Des voix off proviennent de lecteurs de cassette et ouvrent par intermittence sur d’autres perspectives sonores tandis que le texte ménage des passages explosifs (voix hurlée, stridence instrumentale et piano agressif) exposant l’auditeur à des chauds-froids d’une violence inouïe.

Revendicatrice, provocatrice, rageuse et sans détours, telle est la voix et la performance de David Hoyle apparaissant sur l’écran en drag-queen dans le spectacle vidéo Illusions qui referme le concert et dont Philip Venables a conçu la musique et les images. L’œuvre fêtait en 2015 les 50 ans de la reconnaissance de l’homosexualité en Angleterre. Démocratie, genre, sodomie, guerre, révolution, etc. sont autant de chapitres percutants (et de thématiques chères au compositeur) abordés de manière on ne peut plus frontale par David Hoyle (dont Venables fait patiner la voix et l’image) tout en maintenant élégance et distance, frivolité et humour à la faveur d’un montage irrésistible. On en oublierait presque la participation hyperactive des interprètes de lovemusic dont on salue la qualité et l’engagement du jeu.

Le spectacle, co-production Musica, lovemusic et Festival d’Automne sera à Paris le 26 octobre au Théâtre de la Ville-Espace Cardin. 

Michèle Tosi

Photo © Didier Jacquot
Photo © Monica De Alwis

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