Stockhausen o las paradojas de la música total

Enfoques 24.11.2023

Con motivo de las representaciones de Sonntag aus Licht en la Philharmonie de París, Lambert Dousson y Bastien Gallet se reúnen de nuevo para reflexionar sobre la obra de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) y, más concretamente, sobre su ciclo operístico de siete días compuesto entre 1977 y 2003, Licht.

Bastien Gallet : Sonntag aus Licht (Dimanche de Lumière) est le dernier opéra du cycle Licht, celui du dernier jour de la semaine et celui que Stockhausen a composé en dernier, entre 1998 et 2003. Il est consacré à l’union de Michaël et d’Ève, deux des trois figures centrales du cycle – avec Lucifer, personnage principal de Samstag aus Licht (Samedi de Lumière). Trois anges, trois forces, trois entités mythologiquement hybrides : la mère (l’eau, l’accouchement, l’amour), le souverain (la lumière, la connaissance, la bonté), le tentateur (l’obsession, le mystère, la destruction). L’ensemble de Licht tourne autour de ces trois figures, de leur histoire, de leurs relations. Ce sont pour Stockhausen des parties consistantes de la réalité, humaine et cosmique, auxquelles la musique peut donner forme. À travers ses trois personnages-principes, Licht raconte une histoire du cosmos et de la vie sur terre. 
Sonntag aus Licht n’a été créé qu’en 2011, trois ans après la mort du compositeur, à l’opéra de Cologne, ce qui fut sans doute la conséquence de ses propos sur les attentats du 11 septembre 2001, qu’il qualifia dans une conférence de presse à Hambourg quelques jours après les faits de « la plus grande œuvre d’art pour le cosmos tout entier ». Il tentera plus tard de justifier ces paroles en expliquant que les attentats de New York sont l’œuvre de Lucifer (sa plus grande œuvre d’art), esprit cosmique de la rébellion et de l’anarchie. 
Je ne pense pas qu’il faille interpréter ces considérations comme le symptôme d’un mélange incongru entre rationalisme d’un côté (son écriture musicale est fondée sur une rationalisation presque totale du matériau) et croyances irrationnelles de l’autre. Je pense au contraire que ses soi-disant croyances ne sont autre chose que l’exemple d’une rationalité sans limite. Lucifer est la raison derrière le 11 septembre. Le cycle Licht est le microcosme de l’univers tout entier, dont il manifeste la dialectique combinatoire. 
Tu as consacré un livre à Stockhausen et à sa formule, que tu reprends d’ailleurs dans le titre : « La plus grande œuvre d’art pour le cosmos tout entier » : Stockhausen et le 11 septembre, essai sur la musique et la violence (Editions MF, 2020). Comment l’interprètes-tu ? Et quel lien selon toi avec Licht ?
Lambert Dousson : Voir dans les attentats du 11 Septembre une œuvre d’art de destruction meurtrière (dé)composée par Lucifer, c’est voir en Lucifer une sorte de Doppelgänger, un double négatif de Stockhausen, qui lui se voulait être l’artiste de la réconciliation, le compositeur de l’unité du genre humain… Sauf que dans sa déclaration, il ne dit pas que cela : il dit aussi que les victimes de l’attentat (il ne les nomme pas en ces termes) sont « instantanément projetées vers la résurrection » – je cite ses paroles, et il ajoute : « Ceci, je ne pourrais pas le faire. En comparaison, nous, en tant que compositeurs, ne sommes absolument rien ». Cette admiration pour les kamikazes d’Al Qaida est proprement insupportable, car le motif de la « résurrection » vient justifier cet acte de barbarie, non seulement spirituellement, mais aussi et surtout artistiquement, comme s’il constituait le modèle absolu de l’œuvre d’art. 
Ceci dit, je souscris pleinement à ton approche. Renvoyer la déclaration de Stockhausen à sa seule “folie mystique” nous interdirait de comprendre ce qui fait sens dans sa déclaration : ce qui fait sens pour lui, et aussi ce qui fait sens pour nous, c’est-à-dire en quoi cela fait symptôme, étant entendu – il est encore et toujours nécessaire de le rappeler avec force – qu’expliquer n’est en rien synonyme de justifier, et que rien ne justifie de comparer un attentat terroriste à une œuvre d’art. 

En revanche, oui, comme tu le dis également, il y a une rationalité qui sous-tend cette déclaration : une rationalité artistique, qui est une logique du matériau. La métaphysique musicale de Stockhausen, depuis ses premières œuvres et ses premiers textes théoriques des années 1950, c’est un principe d’unité de la forme musicale. Un principe qu’il va progressivement pousser à son paroxysme, année après année, œuvre après œuvre, à travers la volonté d’intégrer tous les matériaux dans une forme artistique. Tout, pour Stockhausen, est un matériau. Et ce « tout », ce n’est pas seulement tous les paramètres sonores de la musique (hauteurs, durées, etc.), ni seulement toutes les autres musiques (les hymnes, Beethoven, les traditions folkloriques, etc.), ni même seulement tous les sons audibles : tout, c’est tout, c’est n’importe quoi, comme les hélicoptères de Mittwoch aus Licht, qui intéressent Stockhausen non pas seulement pour leurs sonorités que pour le côté bulle transparente qui circule dans l’espace. Je dirais alors que cette « folie mystique » s’est greffée sur une conception préalable du rapport forme/matériau qui commande sa musique depuis le début, et non le contraire. Une conception qui était déjà à l’œuvre dans les premiers Klavierstücke sériels des années 1950, dans Hymnen (1966-1967) et Telemusik (1966), dans Mantra en 1972, etc. La mythologie de Licht constitue la synthèse de cette tendance : Ève, Michaël et Lucifer sont des êtres de musique, les trois mélodies en contrepoint qui composent la « Super-formule » du cycle entier de Licht, ces neuf mesures dont chaque scène de chacun des sept opéras constitue le développement.

Il me semble que tu soulèves deux problèmes que Stockhausen a liés de manière inextricable. Le problème de la forme musicale, qu’il rend peu à peu capable de tout embrasser et, en vérité, de tout composer ; et celui des pouvoirs de la musique qui, il me semble, est d’une autre nature. Mais Stockhausen les pense ensemble. Dans un texte de 1978, il écrit ainsi : « (…) la formule est la matrice et le plan de la micro- et de la macro-forme, mais aussi, en même temps, la forme psychique et l’image vibratoire d’une manifestation supramentale. » (1) Chez lui, dès le début, le moment court mais décisif du sérialisme intégral, la série est une formule, moins, contrairement à ce qu’il affirme, une matrice formelle de laquelle on déduira le matériau musical comme chez Boulez, qu’une méta-structure susceptible de subsumer à peu près tout : les paramètres sonores, mais aussi les gestes, les déplacements, les couleurs, les espaces, les senteurs, les symboles, etc. Le genre de l’opéra, du fait de sa forme mixte, se prêtait presque naturellement à ce principe de composition. 
Mais il y a cette autre dimension, tout aussi importante, celle de ce que j’ai appelé les pouvoirs de la musique: celui de rendre sensible des forces et des entités supranaturelles (pouvoir formel) et celui de nous en ouvrir l’accès en élargissant la conscience des auditeurs et des interprètes (pouvoir rituel). La conception du cycle Licht, à la fin des années 1970, est le moment culminant d’une décennie consacrée à penser l’œuvre musicale comme une nouvelle forme de cérémonie. Je pense à Inori, pour orchestre et danseurs-mimes reproduisant des gestes et des mouvements de prière. Créée en 1974 à Donaueschingen, l’œuvre a fait l’objet de vives critiques de la part du monde de la musique écrite contemporaine. Il me semble que l’étrangeté de Licht tient à cette nature instable : celle d’une modernité qui cherche, sans renoncer à l’abstraction de ses formes, à réinventer les puissances rituelles de l’art.
Lambert Dousson : Licht se situe en effet au croisement de plusieurs généalogies. Premièrement, on peut l’inscrire dans un questionnement qui a préoccupé de nombreux compositeurs de sa génération, et s’est notamment incarné dans les expérimentations liées de près ou de loin à ce que l’on nomme « théâtre instrumental » dès la fin des années cinquante en Europe. Ce qui traverse Kagel, Bussotti, Ligeti, Nono ou Berio comme Stockhausen à ce moment-là, malgré tout ce qui les sépare esthétiquement et j’ai envie de dire métaphysiquement, c’est, non seulement une même remise en question des cadres conventionnels ou institutionnels du concert ou du théâtre ou de l’œuvre (leur rituel), mais aussi, et plus radicalement encore la définition même de ce que l’on entend par musique, et des frontières qui la séparent (et la protègent) de son dehors : la trivialité du bruit, du langage, des gestes et des situations de la vie quotidienne. Ces formes hybrides ou éclatées visaient en effet à mettre en scène la déconstruction du geste instrumental, du langage, de la performance, de l’écriture, de la subjectivité (du compositeur, de l’instrumentiste, du chanteur, de l’auditeur), bref tout l’appareillage du dispositif musical, afin de mettre en évidence l’arbitraire social et historique de ses codes et de ses formes. D’où la proximité, plus ou moins passagère, de cette avant-garde musicale avec l’avant-garde théâtrale, le nouveau roman ou des courants des arts visuels dont la pratique était celle de la performance, comme Fluxus

Chez Stockhausen, ce travail sur la théâtralité de la musique se greffe, comme tu le fais remarquer, sur une conception intégrative de la forme musicale : la recherche d’une forme totale qui refonde la musique. Mais cette recherche formelle est inséparable chez lui d’un questionnement sur le phénomène de l’écoute, lui-même indissociable de ce que tu nommes avec raison « les pouvoirs de la musique ». C’est une constante, qui traverse toute son œuvre. Le style pointilliste typique de la musique sérielle du début des années cinquante, comme celui de ses premiers Klavierstücke, est censé engendrer ce qu’il nomme une « écoute méditative » (2), concentrée sur l’instant présent, chaque note étant un fragment d’éternité où l’auditeur se fond dans une « musique totale », puisque chaque son qu’il entend est issu de la série de douze sons à partir de laquelle l’œuvre est composée, et qu’en même temps chaque son semble n’entretenir aucune relation musicale avec le son qui le précède et celui qui le suit. C’est la disparition du sentiment de la continuité musicale – de la durée donc – qui crée, paradoxalement, cet état méditatif. 

Algunos años más tarde, en la época de Gruppen (1955-1957) o de Kontakte (1958), cuando escribió sobre el tiempo musical, la pregunta que se planteaba de antemano era esencialmente: ¿cuál es el tiempo máximo que un oído puede estar sometido a la experiencia de la "escucha meditativa"? ¿Después de cuánto tiempo se vuelve insoportable? ¿Después de cuánto tiempo se vuelve insoportable? (3) Para él, la música debe entenderse como una fuerza sónica que se impone al oyente y pone a prueba los límites fisiológicos o psicológicos de sus capacidades auditivas. En 1970, Stockhausen relataba una conversación que había mantenido con un psicoterapeuta al que había confiado extractos de Kontakte para que los escucharan algunos de sus pacientes, precisando al mismo tiempo -y aquí es donde la "musicoterapia" alcanzaba sus límites- que "exponer a los pacientes a momentos más largos de esta música (es) extremadamente peligroso, ya que se corre el riesgo de provocar un estado de agresividad y de exteriorización brutal ". (4)

Esta lógica del efecto o poder de la música sobre el "subconsciente", por utilizar el término del propio Stockhausen, se cruza con un tercer leitmotiv, el del ritual, donde la acción performativa de la música sobre el cuerpo auditivo impacta sobre otro cuerpo, el cuerpo social. La utopía de Stockhausen es que la humanidad se convierta en un cuerpo en su música: que esta fusión del oyente en este fragmento de eternidad que ofrece una forma musical en "escucha meditativa" contamine a la humanidad en su conjunto. Usted habla de la ópera como de un modelo de totalización formal, del que Licht constituiría una especie de pasaje al límite. Desde esta perspectiva, Stockhausen sería el heredero de la ópera del siglo XIX, trascendiendo las cuestiones nacionales (e incluso nacionalistas) proyectándolas a una escala global, universal... cósmica. Pero me pregunto si no sería más esclarecedor recurrir a otra forma, la del concierto de rock, cuyos mecanismos de trance colectivo, fenómenos de empatía con la estrella, experiencia sonora inmersiva y uso masivo de la tecnología audiovisual parecen mucho más cercanos a lo que soñaba Stockhausen que a lo que sucede cuando oímos a la orquesta invisible de Bayreuth o a la alta burguesía milanesa cantar "Va pensiero" bajo el dorado de La Scala. 

Existe, por supuesto, una genealogía romántico-modernista de Licht: es la de la religión del arte, una religión de la obra que instituye su propio ritual y exige que la institución lo cumpla. Pero también hay una genealogía setentera muy poderosa, en la que la música de Stockhausen resonó con ciertas aspiraciones políticas, sociales, espirituales y estéticas de cierta juventud, y en la que la esfera diseñada para la Exposición Universal de Osaka en 1970 permitió a un millón de visitantes escuchar sus obras de música electrónica. Muchos artistas de pop y jazz han reivindicado su influencia: Grateful Dead y Jefferson Airplane, Pink Floyd y Kraftwerk, los Beatles y Franck Zappa, Aphex Twin y Björk, así como Cecil Taylor, Charles Mingus, Herbie Hancock, Anthony Braxton y Miles Davis... 

También sabemos lo indiferente que era Stockhausen al pop, al que negaba toda capacidad de invención. El hecho es que su música, y Licht en particular, busca rivalizar con el poder de las industrias culturales para actuar sobre los cuerpos y el cuerpo social, para quienes el más mínimo contenido de la experiencia puede constituir un material integrable en una forma audiovisual emitida en directo, en bucle, continuamente (pienso en la televisión, todavía hegemónica en 2001). Así que me pregunto si esta búsqueda, que impulsa a la modernidad, de "reinventar los poderes rituales del arte sin abandonar la abstracción de sus formas", por utilizar los términos que usted emplea, no está a su vez determinada por una cuestión quizá más prosaica, pero igual de crucial, que es la de mantener la autonomía, de hecho la necesidad cultural, de esta música basada en la escritura de formas abstractas frente al poder de las industrias culturales para forjar la cultura. 

Sonntag aus Licht est sans doute le plus rituel des sept opéras du cycle. On y célèbre l’union de l’eau-Ève et de la lumière-Michaël, qui donne naissance à la vie et boucle le cycle sur lui-même – Montag aus Licht est tout entier consacré à la figure d’Ève et à la question de la reproduction. Une de ses particularités est d’être pris dans un mouvement perpétuel : rotation de la musique (et des planètes), procession des chœurs (et des anges), déplacement des auditeurs-spectateurs d’une salle à une autre, mouvements incessants des solistes, superposition des vitesses et des couches musicales, circulation des timbres, etc. Un mouvement de translation et de génération dont le principe est l’attraction entre les être et les choses : les sept planètes du système solaire sont aussi les sept jours de la semaine et les sept groupes d’Anges chantant leurs prières dans sept langues différentes (dont l’arabe, l’hindi et le swahili).
Cette idée traverse toute l’œuvre de Stockhausen. C’est par le mouvement que les langues, les musiques et même les pays se mélangent et s’unissent. Il ne s’agit pas seulement de l’harmonie supposée des rotations planétaires, mais aussi de ce qu’il a appelé, dans les années 1960, l’intermodulation, un mode de composition qui fut au principe de Telemusik (œuvre de musique électronique qui regroupe « environ 55 extraits de musique ancienne de divers pays et époques », 1966) et, peu après, de Hymnen (composée d’enregistrements d’hymnes nationaux du monde entier, 1966-67). L’intermodulation ne relève pas de l’esthétique du collage. Sa fonction est de faire en sorte que les musiques – et par extension les langues et les esprits – soient modulées, et donc transformée, les unes par les autres : « par exemple moduler le rythme d’un “objet trouvé” japonais avec celui d’une sévillane avec la qualité mélodique d’une musique des Indiens Kraho du nord de l’Amazonie, puis moduler ce résultat avec le spectre sonore des timbres d’une musique du Japon (…) ». (5) Il en résulterait une authentique musique planétaire, alliance fructueuse des traditions et des styles, au plus loin de l’industrie musicale mondialisée. 
Le paradoxe de ce mode de composition est qu’il proclame l’effacement de l’auteur-Stockhausen tout en requérant sa présence à tous les moments du processus. Cette figure est fascinante : avec lui, le compositeur devient le médiateur-rêveur (il disait avoir rêvé plusieurs de ses œuvres avant de les composer) ou le médium-modulateur. Il ne compose plus ; il traduit-transduit les forces du cosmos et l’esprit varié des cultures humaines tout en forçant leurs noces musicales. Une étrange sorte d’hospitalité autoritaire. Ainsi de la litanie des noms de choses et d’êtres entonnés par le ténor dans Licht-Bilder (troisième scène de Sonntag aus Licht) qui composent un monde à la louange de Dieu. Cela étant dit, il y a dans certaines scènes de Licht des rituels joyeusement libertaires, je pense par exemple à la scène finale de Luzifers Abschied (Adieu de Lucifer) dans Samstag aus Licht, où 39 chanteurs costumés en moine brisent à tour de rôle des noix de coco en les projetant sur le sol. Il est des moments où le mouvement se suffit à lui-même, où il s’émancipe de toute charge symbolique ou signifiante, devient une déflagration musicale qui consume et emporte. Je rêve d’un Stockhausen agnostique. 
Lambert Dousson : On touche ici à une ambiguïté qui travaille très fortement nombre de ses œuvres : un rapport à la violence, où la violence musicale dont j’ai parlé entre en résonance avec la violence réelle du monde qui a hanté sa vie.
À l’occasion de la création à New York de la version avec orchestre d’Hymnen en 1971, il écrit ceci (je me permets de citer longuement) :
« Je suis ce qu’on appelle un “artiste arrivé”. On dit que j’appartiens à l’establishment et que, de ce fait, je suis “de droite”. Bêtises ! Cela n’a donc servi à rien que l’on vienne s’emparer de ma mère chez nous alors que je pouvais à peine parler et qu’elle ait été ensuite assassinée sur ordre de l’État parce qu’elle était une bouche inutile en temps de guerre ? Que mon père, après avoir passé six ans comme soldat, soit mort de la fameuse mort des héros ? Qu’enfant, j’aie été battu par toutes sortes de gens étrangers, qu’à seize ans, à l’hôpital militaire du front, j’aie assisté quotidiennement aux atrocités les plus inhumaines, à la mort misérable de milliers de blessés graves, de brûlés au phosphore, de corps déchiquetés ? Que j’aie vu des jeunes de mon âge, des vieillards, des civils et ce qu’on appelait des déserteurs pendus à des fils téléphoniques ? Que je me sois blotti pendant des années dans des caves à l’abri des bombes, que j’aie respiré la puanteur des trente, quarante, cinquante mille cadavres dans les villes rasées où vivaient des civils ? Que j’aie gagné ma vie comme valet, travailleur d’usine, voleur de pommes de terre, voleur de charbon, puis, pendant cinq ans, toutes les nuits, comme pianiste dans un bar, en compagnie de soldats d’occupation et de commerçants du marché noir ? Que j’aie vécu, après la guerre mondiale, la restauration écœurante et la rapacité du miracle économique, le grand oubli, la peur de la bombe atomique, la déportation, la torture, l’oppression dans les nombreuses guerres plus modestes en d’autres pays, et que je suis contre tout cela sans pouvoir rien faire ? Arrivé ? Établi ? À quoi donc ?! » (6).

El texto termina con una condena rotunda de la implicación estadounidense en Vietnam. Ese mismo año, confió a Jonathan Cott, el famoso periodista de la revista Rolling Stones, que Hymnen, con sus imágenes sonoras de bombardeos, era " música post-Apocalipsis, la música del momento en que todo tendría que recomponerse, en que los hombres tendrían que recoger los pedazos ". (7) Aquí presenta este Apocalipsis como inevitable, incluso necesario. Habla de él como de un "choque purificador ". En aquella época, era el Apocalipsis nuclear el que habitaba sus "visiones"; en 2001, era la violencia terrorista la que arrojaría todas esas vidas sacrificadas hacia la "resurrección"...
Dicho esto, Stockhausen era un artista, no un asesino. La violencia que utiliza es puramente musical. En este sentido, incluso como "mediador-soñador" o "medio-modulador", no creo que renuncie en lo más mínimo a las prerrogativas de un compositor que reclama el control sobre todos los aspectos de la música. Por otra parte, ha renunciado totalmente a ellas, tanto desde el punto de vista artístico como ético y político, cuando proclamó su entusiasmo por los fanáticos islámicos que volaron dos Boeing 737 contra las torres gemelas del World Trade Center, el "mediador-sueñador" o "medio-modulador" ataviado con el atuendo del profeta iluminado.

La política de lenguas y culturas que subyace a la metafísica de la intermodulación también es especialmente ambigua. Escuche de nuevo Telemusik para experimentar el impacto musical de la intermodulación en voces, lenguas y culturas concretas: Aquí, no es la violencia bélica o terrorista la que condiciona lo universal, sino la violencia económica, un proceso global, escribe, de "contaminación cultural global ", estandarización, "uniformización " y "disolución de las civilizaciones individuales ": "las civilizaciones se están aniquilando a sí mismas desde dentro". Están "hipermaduras"y, en estado de decadencia, destinadas a transformarse en algo nuevo. Laconsecuencia de este rápido proceso de disolución de las civilizaciones individuales es que todas ellas desembocan en una civilización mundial más unitaria . [8] La Weltmusik es una especie de pasaje intermodulado hacia la trascendencia en la globalización. 

Así que estoy totalmente de acuerdo contigo sobre el autoritarismo que subyace a su espiritualismo: Stockhausen pretende convertirnos, por la fuerza. Sin embargo, este aspecto se omite a menudo en los textos de presentación de sus obras, que insisten casi exclusivamente en la dimensión mística y luminosa de su música, Licht en particular... Pero, ¿es esto realmente lo que escuchamos? Stockhausen no es Arvo Pärt o John Tavener: se trata de música que impacta a quien la escucha.
Tu sueño de un Stockhausen agnóstico plantea el problema de los afectos y efectos de la música desde otro ángulo, que quizá dependa más de nuestra experiencia subjetiva como oyentes. Para algunos, la saturación de símbolos en Licht forma parte plena de la experiencia musical, mientras que para otros contribuye a dejarlos un tanto a distancia... Al igual que usted, confieso que pertenezco a esta última categoría, mientras que obras más antiguas y abstractas como Gruppen y sus tres orquestas desincronizadas, Klavierstück X (1954-1961) y sus glissandi de clusters, Kontakte y sus explosiones piano-percusión-electrónica o Mantra y sus ostinati me sumergen en un estado de júbilo inagotable. 

Lambert Dousson* y Bastien Gallet

*Lambert Dousson es licenciado y doctor en filosofía. Es profesor de ciencias humanas en la École nationale supérieure d'art de Dijon y autor de " Stockhausen et le 11 septembre, essai sur la musique et la violence(Editions MF, 2020). 

(1) " Musique multiformelle", Karlheinz Stockhausen: Écouter en découvreur, trad. de L. Cantagrel y D. Collins, París, La rue musicale, París, 2016, p. 186.
(2) "Situation de l'artisanat" (1952), op. cit., p. 59.
(3) "Form-moment. Nouvelles corrélations entre la durée d'exécution, la durée de l'œuvre et le moment" (1960), Comment passe le temps : Écrits sur la musique 1952-1961, Ginebra, Contrechamps, 2017, p. 261 y ss.
(4) "Un jour comme un autre", Musique en jeu, París, Seuil, nº 1, 1970, p. 66-67.
(5) "Polyphonie de l'espace-temps", Écouter en découvreur, op. cit, p. 174.
(6) " Hymnen ", Écouter en découvreur, op. cit . p. 131.
(7) Karlheinz Stockhausen: Entretiens avec Jonathan Cott, trad. de J. Drillon, París, Lattès, 1988, p. 23-24.(8) "Musique universelle", Écouter en découvreur, op. cit. p. 133.

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