Depuis la parution de son premier album Contemplation en 2020, Hélène Vogelsinger s’est taillée une place de choix parmi la nouvelle génération de compositrices adeptes des synthétiseurs modulaires. Sa musique, à laquelle se mêlent aussi piano, voix, flûte ou clarinette, se déploie sous la forme d’albums mais plus encore de poétiques et saisissantes vidéos lives tournées en pleine nature ou dans des lieux abandonnés, où elle interprète, en solitaire, ses denses et puissantes compositions électroniques teintées d’élans spiritualistes.
Comme des dizaines de milliers d’internautes, j’ai découvert la musique d’Hélène Vogelsinger à travers ses lives postés sur Youtube, dans lesquels elle interprète ses nouvelles pièces le plus souvent assise à même le sol, dans des lieux naturels ou désaffectés, emprunts de mystère, de mémoire ou de poésie. Elle peut ainsi apparaître au milieu d’une clairière, située aux pieds des Pyrénées, elle-même et son instrument protégés par un cercle de bougies comme s’il s’agissait d’un rituel. Ou, sur le versant espagnol du même massif, aux abords de ruines et d’un lac artificiel, qui laissent deviner la présence d’un village englouti. Ou encore au cœur d’une villa, dont le chantier n’a jamais été mené à terme et désormais cernée par la végétation. On peut aussi la voir jouer au lever du soleil, face au magnifique Plateau du Bénou, derrière lequel se détachent au loin les cimes des Pyrénées. Dans un ancien sanatorium dévasté. Ou pourquoi pas dans la carcasse d’un ancien bus impérial, perdu au milieu de la forêt.
Le regard à la fois doux et impassible, concentrée sur son synthétiseur modulaire bardé de multiples câbles de couleurs, elle interprète en live des pièces électroniques au complexe tissage de notes tenues et de mélodies altières, mêlés de boucles et d’arpèges, dont les timbres, tour-à-tour éthérés, denses ou crissants, se mêlent à une grande variété de sources acoustiques passés au filtre de ses machines et de ses modules de sample. On peut ainsi percevoir au fil des plus belles pièces rassemblées sur ses deux premiers albums, Contemplation (2020) et Reminiscence (2021), sa propre voix d’abord, traitée comme un chœur aérien, ainsi que des notes de piano (l’instrument avec lequel l’artiste compose la base de toutes ses pièces) ou des tonalités plus éparses et mutantes de clarinette, de flûte traversière, d’accordéon ou de violon.
D’un point de vue historique, les compositions de l’artiste pourraient s’inscrire dans une histoire traditionnelle de la musique électronique, poursuivant les expériences des compositeurs allemands de musique dite «cosmique» des années 1970, parmi lesquels Popol Vuh, Tangerine Dream ou Manuel Göttsching, les figures de la musique ambient comme Steve Roach, alors que son profil la rapprocherait plutôt d’une figure inclassable comme Alice Coltrane. Mais, quelles que soient ces références, Vogelsinger déclare ne les avoir découvert que sur le tard, bien après avoir débuté ses premières expériences qui ne semblent avoir obéi qu’à un pur instinct, à moins qu’il ne s’agisse du résultat d’un riche cheminement musical dont elle peine encore à reconnaître les influences et les fondations.
Ses pièces, composées en studio mais aussi pensées pour être interprétées in situ, s’enrichissent d’ambiances enregistrées lors des repérages, une manière pour l’artiste, éprise de spiritualité, d’explorer l’idée d’une connexion possible avec son environnement, les forces de la nature, ou de la faune (rien d’étonnant quand on sait que son patronyme pourrait être traduit de l’allemand par « chanteuse d’oiseaux »). Dans sa maison de Pau, l’artiste vit d’ailleurs entourée d’animaux et d’oiseaux en liberté et, pendant l’interview que nous avons réalisée avec elle, notre conversation était rythmée par le chant d’une perruche Calopsitte, qui semblait approuver chacune de ses répliques.
Lorsqu’elle évoque sa fascination pour les architectures en ruines, emblématiques de la culture actuelle de l’Urbex, Hélène Vogelsinger l’explique à travers son parcours de vie. Fille de militaire, elle n’a cessé de voyager au cours de son enfance, de quitter une maison pour une autre, avant de passer son adolescence au Liban, un pays peuplé de ruines, dont les bâtiments portaient les stigmates de la guerre, mais aussi un pays qui, comme en orient ou ailleurs, comptait de nombreux chantiers abandonnés.
Si elle suit un premier cycle de solfège et d’éducation musicale entre cinq et neuf ans, elle poursuit sa formation seule au cours de cette période libanaise, nourrie par la chanson américaine, la soul, le hip-hop, les musiques orientales et les multiples cultures qui se croisent dans le pays.
De retour en Europe, elle participe à plusieurs jeunes formations (Serendipity, Wovoka, Planetoid) qui s’exercent dans un registre soul, jazz, trip hop puis electro-pop, un dernier genre qui l’initie au maniement des logiciels et des synthétiseurs.
Mais ce n’est qu’en 2018 qu’elle reprend ses études, cette fois à la prestigieuse Berklee School of Music, où elle se forme (en ligne) à la musique à l’image et au sound-design, en particulier dans le domaine du jeu vidéo. Éprise de connaissances, et soucieuse de parvenir à une certaine indépendance, la compositrice ne cesse dès lors de parfaire ses connaissances. Elle devient en moins de deux ans une référence dans le monde du synthétiseur modulaire, une approche et une technologie qui permettent aux artistes de concevoir et personnaliser leur propre instrument. Cette maîtrise l’amène à se former à la pratique du mastering (la phase finale de production avant la gravure d’un disque ou la mise sur le marché d’un fichier) et plus récemment à suivre un diplôme universitaire de musicienne d’église, auprès de l’Université Protestante de Strasbourg, un enseignement qui mêle théorie, histoire et pratique et qui semble répondre chez elle à une forme d’interrogation spirituelle, une curiosité pour différents dogmes, une empathie pour les questions relatives à la foi.
C’est toutefois surtout à travers sa musique qu’elle donne forme à cette quête. « Lorsque je joue et je compose, nous dit-elle, je ressens parfois cette force de connexion, l’instrument me maîtrise plus que je ne le maîtrise, comme si j’étais moi-même l’instrument. C’est difficile à expliquer. C’est sans doute plus évident dans mon travail de la voix qui peut rappeler la musique sacrée. On se laisse alors traverser, comme un canal, tout en se connectant à une force lumineuse ».
Jean-Yves Leloup
La première des quatre vidéos de sa nouvelle session de lives, Anamnesis, est d’ores et déjà disponibles sur sa page Youtube.
Contemplation (2020) et Reminiscence (2021) sont disponibles sur son nouveau label, Microsmose. Trois nouveaux albums, déjà prêts, sont annoncés dans les prochains mois, sur le même label.
Hélène Vogelsinger dispose désormais d’un nouveau live, qu’elle commence à jouer sur la scène européenne
Photos © Roel Thewessen
Photos © ChaliskPito
Photos © De la puente foto espacio