Le metteur en scène Antoine Gindt nous livre ses impressions au lendemain de la création française de Eurydice, un opéra de chambre pour soprano, piano et électronique du compositeur russe Dmitri Kourliandski, et nous présente son Académie internationale de Mise en scène de Théâtre musical dont la première édition se déroulera à Nîmes du 2 au 13 mai prochain.
Antoine Gindt, comment avez-vous vécu cette deuxième représentation ?
J’étais déjà moins tendu qu’à la première et plus apte à juger du détail. Mieux encore qu’au premier soir, il y a eu cette qualité du temps que réclame le spectacle et l’aisance de la chanteuse Jeanne Crousaud dans la conduite du mouvement scénique, avec cette dimension d’intériorité qui caractérise le rôle. J’ai été également très touché par l’accueil du public et ses retours enthousiastes lors de la rencontre après le spectacle.
Aviez-vous déjà travaillé avec Jeanne Crousaud ?
Non, c’était la première fois que nous nous trouvions sur le même plateau. Nous nous sommes rencontrés à Aix en Provence il y a quelques années et je l’avais alors entendue sur scène. Eurydice a été la bonne occasion pour débuter cette collaboration. Même si la voix à laquelle pensait Dmitri Kourliandski n’avait sans doute pas l’envergure lyrique de celle de Jeanne qui, je dois dire, a trouvé aujourd’hui une couleur et une ampleur autres.
Le choix d’un Orphée de 72 ans ne manque pas d’étonner, incarné par le danseur Dominique Mercy…
Deux choses m’ont conforté dans ce choix : l’idée d’abord que l’on n’est pas, avec Eurydice et Orphée dans les mêmes temporalités. Eurydice, retournée au pays des morts n’a pas vieilli et jouit d’une jeunesse éternelle. Tandis qu’Orphée, malmené par les Ménades, a au contraire subi bien des maux qui l’ont marqué et fait vieillir. J’évoquerai ensuite, dans la galerie de mes personnages mis en scène, le ménage de Justine et du marquis de Sade, deux personnages qui présentent la même différence d’âge dans La Passion selon Sade de Bussotti. Je ne suis pas loin de penser que l’association Eurydice-Orphée est l’épilogue apaisé de cette relation sulfureuse entre le Marquis et sa jeune protégée.
On s’attendait à une partie chorégraphique plus soutenue…
Je ne suis pas chorégraphe et il aurait été bêtement prétentieux de se mesurer à la grande Pina Bausch ; ensuite, il n’était pas question que j’impose une conduite d’acteur à quelqu’un qui a une telle habitude de la scène. D’ailleurs le travail au sein du Tanztheater Wuppertal sollicitait très souvent l’improvisation et j’ai laissé Dominique Mercy s’approprier l’espace comme il l’entendait.
Côté mise en scène, vous restez fidèle à vos collaborateurs, Daniel Levy, Fanny Brouste et Elise Capdenat.
Nous sommes ensemble depuis Ring Saga de 2011. C’est important pour moi de travailler dans un climat de confiance avec des personnes que je connais bien et à qui je laisse la plus grande autonomie. Dans l’élaboration d’une mise en scène, je parie sur le collectif et la complicité qui nous permet d’aller toujours plus loin dans nos objectifs.
Les compositeurs, les jeunes du moins, vivent parfois de douloureuses expériences avec leur metteur en scène. Comment s’est passée votre collaboration avec Dmitri Kourliandski ?
Merveilleusement bien même si les conditions imposées par la pandémie n’ont pas toujours facilité l’avancée du travail. Je dois dire que j’ai un respect immense pour tous ces compositeurs qui m’ont permis de faire mon métier, je pense à Georges Aperghis et à Pascal Dusapin avec qui j’ai beaucoup travaillé.
La mise en scène nécessite toujours des ajustements, voire des coupures parfois mal vécues par le compositeur.
J’ai, au contraire, demandé à Dmitri d’étoffer sa partition qui ne durait que trente-cinq minutes. L’écriture y était très compacte, superposant les trois strates, vocale, électroacoustique et instrumentale. Je lui ai fait certaines propositions en cherchant d’autres espaces au sein de son écriture, choses qu’il a acceptées. Le dialogue entre nous a été très fécond et chaque fois qu’il était nécessaire de faire bouger légèrement les choses, nous en avons discuté et les décisions ont toujours été prises en commun. L’opéra ne peut que se concevoir dans l’échange collectif.
Vous lancez le 2 mai prochain, avec le chef d’orchestre Léo Warynski, une Académie internationale de Mise en scène de Théâtre musical dans la ville de Nîmes, une initiative encore inédite en France…
C’est un projet important auquel je tiens beaucoup ; on travaille depuis un an sur cette première édition. C’est une proposition ambitieuse que l’on veut pérenniser sur la ville de Nîmes et qui associe beaucoup de partenaires, non seulement le Théâtre où nous sommes en résidence depuis quelque temps mais aussi l’École supérieure des Beaux-arts, le Conservatoire, les deux grands musées de Nîmes, Carré d’Art et Musée de la Romanité, le cinéma d’art et d’essai Le Sémaphore, la Maison du Protestantisme et le Centre social Simone Veil. Nous avons le soutien de la Fondation d’entreprise « AG2R LA MONDIALE pour la vitalité artistique » qui a contribué très généreusement au financement de cette première édition.
Une telle initiative est encore inédite en France…
Il n’y a pas d’école de mise en scène en France, en effet, et peu d’entrées pour les jeunes qui s’intéressent à la mise en scène du théâtre musical. Notre idée, à Léo Warynski et à moi-même, est de faire fructifier notre expérience personnelle ; j’ai accueilli beaucoup de stagiaires sur mes spectacles et j’ai pu mesurer à quel point ces jeunes gens de théâtre étaient démunis face à la musique ; ils connaissent très peu le répertoire et n’ont pas de savoir pratique dans l’approche des chanteurs, du chef et de la partition en lien avec le travail scénique. Cette académie a pour vocation de leur donner cette culture et des outils pour aborder la dramaturgie musicale et la mise en scène. Je ne connais pas d’expérience équivalente en France. Nous avons été très bien accueillis à Nîmes et je voudrais remercier ici Sophie Roulle, adjointe déléguée à la culture à la ville de Nîmes qui nous suit et nous soutient.
Comment s’est fait le recrutement des académiciens?
Il y a un premier niveau de recrutement qui concerne les équipes de mise en scène; nous en avons choisi trois sur une dizaine de propositions. Ils seront aux manettes, respectivement sur Histoire du Soldat d’Igor Stravinsky, El Cimarrón de Hans Werner Henze et Récitations d’Aperghis; mais on ne recrute pas que des metteurs en scène; il y a aussi des jeunes chefs et des représentants de tous les métiers du spectacle vivant : compositeurs, dramaturges, auteurs, scénographes et médiateurs; tous ces gens là auront des master-classes, ils pourront suivre les répétitions et bien sûr échanger avec leurs collègues. Les interprètes, quant à eux, sont tous professionnels, instrumentistes (l’ensemble Multilatérale), chanteurs (Raquel Camarinha, Iván Garcia) et comédiens (Richard Dubelski, Eric Houzelot, Mathieu Loiseau), pour porter et restituer au mieux le travail des jeunes metteurs en scène.
Sur quels critères les œuvres ont-elles été choisies?
On a réfléchi dans la perspective des éditions à venir. Nous sélectionnerons trois œuvres par année qui nécessitent trois salles de répétition où seront donnés les spectacles : la petite salle du théâtre de Nîmes, le Centre social Simone Veil et le Petit temple de Nîmes : nous nous tiendrons au même canevas d’une édition à l’autre : une œuvre de répertoire et deux œuvres fortes de la fin du XXᵉ siècle qui méritent d’être reprises. On fera l’annonce des œuvres de 2023 durant l’académie et les candidatures seront ouvertes dans la foulée, à partir du 15 juin.
Je suppose qu’un travail en amont a été mené avec les candidats…
On les a réunis au mois de février à l’Opéra de Paris, metteurs en scène et jeunes chefs sélectionnés, pour aborder le programme, se plonger dans les partitions, réfléchir aux enjeux scéniques et dramaturgiques. Ils ont eu un mois pour monter leur projet et viendront donc à Nîmes avec une idée déjà très précise de leur réalisation. On tient avec Léo Warynski à ce rapprochement essentiel entre le chef et le metteur en scène. On souhaite également faire connaître à cette génération des ouvrages qu’ils ne connaissent absolument pas parce qu’ils ne sont jamais à l’affiche, je pense notamment aux nombreux opéras de Berio.
Qu’y a-t-il au menu de ces douze jours d’académie?
La première semaine est réservée aux seuls académiciens. La seconde prend la forme d’un mini festival avec quatre master-class publiques (retransmises sur différents canaux de diffusion) avec des personnalités invitées qui viendront partager leur expérience : Laurent Bayle, qui a débuté avec le théâtre musical avant de prendre la direction des nombreuses institutions qu’on connait ; Sarah Barbedette, directrice de la dramaturgie, de l’édition et de la communication de l’Opéra national de Paris, Marie-Louise Bischofberger, co-autrice des livrets de Philippe Boesmans avec Luc Bondy et Philippe Béziat qui nous expliquera comment la vidéo s’inscrit dans la mise en scène où comment elle la prolonge.
Est-ce que l’idée d’un enseignement de la mise en scène à l’année, en France où il n’existe pas véritablement, pourrait être envisagée.
L’initiative nîmoise risque en effet de donner des idées mais je ne veux pas me faire déposséder de mon enseignement à l’académie, car j’ai envie, avec Léo Warynski, d’aborder cette formation selon notre propre conception du métier. Voyons si cette première édition peut servir de startup mais cela implique évidemment de prévoir une institution et des moyens plus puissants pour fonder une école.
Propos recueillis par Michèle Tosi