Coup d’envoi kaléidophonique! Musica Electronica Nova (1)

Concerts 17.05.2023

Emmené par son nouveau directeur Pierre Jodlowski, le Festival Musica Electronica Nova (MEN) court du 13 au 21 mai dans la ville polonaise de Wroclaw qui accueille à ces mêmes dates la biennale media art WRO 2023. Le Narodowe Forum Muzyki (Forum International de Musique NFM) inauguré en 2016, accueille le groupe Caravaggio et les musiciens de l’ensemble Court-Circuit pour l’ouverture de cette onzième édition 2023 baptisée Kaleidophonia.

Situé en bordure du canal ombragé qui longe la ville, sur une immense esplanade qui laisse apprécier ses perspectives, le NFM est un bâtiment imposant, avec ses lignes épurées, sa couleur brune mordorée et sa grande baie vitrée de façade où se reflète le paysage environnant. Dédié à la musique symphonique, il compte cinq salles de concert dont un grand auditorium, des espaces de réunion et autres lieux conviviaux, dans un agencement intérieur et une qualité des matériaux qui ne laissent d’impressionner.

C’est le Red Hall, salle carrée bien sonnante qu’ont investi les musiciens pour le premier concert du festival.
Fluid mechanics est un projet de longue haleine, une folle aventure menée par les deux compositeurs du groupe Caravaggio, Benjamin de la Fuente et Samuel Sighicelli épaulés par les techniciens de l‘Ircam. Créé, sans public, en 2021 au studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique qui en est le commanditaire, la pièce est rejouée ce soir pour les auditeurs polonais et dans des conditions d’écoute optimales. L’objectif est de faire vivre et sonner ensemble l’univers de l’improvisation et de la musique écrite, une clause inhérente au sein même de Caravaggio. Pour autant, les deux compositeurs ont souhaité élargir l’espace de rencontre et l’échange fécond entre les deux pratiques en intégrant à l’écriture six musiciens (cordes et vents) de l’ensemble Court-Circuit : « nous avons cherché les qualités de chaque groupe, sans demander beaucoup d’improvisation aux musiciens de Court-Circuit », soulignent-ils, le défi étant de jouer sans direction!

L’environnement sonore du rail et le bruit des essieux du train qui s’arrête dans la gare : c’est la première séquence sonore, entendue à travers les haut-parleurs, de Fluid Mechanics, « immersiondans la ville imaginée », nous disent les compositeurs. Sur le plateau et à jardin, Benjamin de la Fuente prend en alternance le violon et la guitare électrique ; à ses côtés, Samuel Sighicelli est au synthétiseur et à l’orgue Hammond. Les musiciens de Court-Circuit sont à cour ; au centre, les deux improvisateurs : Bruno Chevillon, contrebassiste, qui joue davantage ce soir de la basse électrique et de ses pédales d’effets qu’il va travailler à même les mains, agenouillé sur la scène! * Éric Échampard, quant à lui, est au cœur de l’arène, batteur et percussionniste à ses baguettes, et sans répit, durant les 80 minutes du concert! S’il ménage avec son partenaire des moments d’improvisation superbes, il est à même, partition à l’appui, de suivre les musiciens de Court-Circuit.

Dans Fluid Mechanics, les pratiques s’interpénètrent et se nourrissent l’une l’autre, donnant à entendre toutes sortes de matières, morphologies sonores, manifestations du vivant charriant des instances bruitées : activité de chantier, mouvements mécaniques, déferlements brutaux (ceux des cordes très impressionnants sous l’autorité de la violoniste Alexandra Greffin-Klein), explosions en chaîne, obsession de l’outil qui burine la pierre (jeu du percussionniste) ; le maelström sonore captive l’écoute, suscitant autant d’images d’un scénario sous-jacent.
L’électronique, sons fixés et transformation live pilotée par João Svidzinski, est centrale, modelant les espaces, créant de la profondeur et avivant les couleurs dans un univers foisonnant où les sources convergent et s’hybrident, entre rock, jazz et musique écrite. Nous parviennent également des haut-parleurs ces instants de vie (sons urbains) captés sur le vif, qui modifient la temporalité et véhiculent du sensible et de l’émotion : voix sur un chantier, clameur d’une foule dans un stade de foot, pas qui résonnent et porte qui claque. On reconnaît également l’écho furtif d’un orgue de barbarie, le clocher d’une église et même le chant des paroissiens! Autant d’échantillons sonores assurant ce va-et-vient continuel entre tension rythmique implacable (le dedans) et espaces ouverts (le dehors), mis en valeur par l’excellente diffusion de Luca Bagnoli.
La coda plus hiératique, avec ses sonnailles et cloches tubes évoquant la fin des Noces de Stravinsky, prend une allure ritualisante qui magnifie cette odyssée sonore.

Michèle Tosi

Festival Musica Electronica Nova, Wroclaw  du 13 au 15 mai 2023
Benjamin de la Fuente (né en 1969) et Samuel Sighicelli (né en 1972) : Fluid Mechanics, pour ensemble et électronique ; Bruno Chevillon, guitare basse et contrebasse ; Éric Échampard, percussion, pad ; Benjamin de la Fuente, violon, guitare électrique, électronique ; Samuel Sighicelli, orgue Hammond, synthétiseur ; ensemble Court-Circuit : Alexandra Greffin-Klein, Constance Ronzatti, violons ; Laurent Camatte, alto ; Frédéric Baldassare, violoncelle ; Anne Cartel, flûte ; Pierre Durieu, clarinette ; João Svidzinski (Ircam), électronique ; Luca Bagnoli (Ircam), projection du son.

Photos © Stawek Przerwa – NFM

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