Pas de répit pour le Festival Archipel 2021 filmé de midi à minuit durant dix jours grâce à la Web TV – Archipel sous surveillance invitant deux équipes de télévision expérimentale et artistique en direct de Genève.
Suite et fin de notre reportage sur cette trentième édition spéciale du festival suisse 100% numérique où le public est invité depuis hier a assisté aux derniers concerts.
Pour le concert de 19 heures, ce lundi 19 avril, deux ensembles spécialisés, le Moment baroque de Neuchâtel et le Nouvel Ensemble Contemporain (NEC) de La Chaux-de-Fonds sous la direction du chef allemand Lennart Dohms fédèrent leur énergie au sein de deux pièces hautes en couleur de Sarah Nemtsov et Wolfgang Mitterer.
Pour débuter le concert la violoniste Noëlle-Anne Darbellay est seule en scène dans Allemande multipliée (2017) pour violon et pédale. La compositrice autrichienne Eva Reiter y revisite la danse baroque avec distance et humour. Elle a prévue autour de la violoniste un environnement bruité qui interfère sans cesse le jeu du violon au demeurant très brillant : le couinement de deux pédales actionnées au pied, la surface amplifiée sur laquelle l’interprète est installée où se manifestent le frottement des pieds et le claquement des talons. Muni d’un micro-lèvres, Noëlle-Anne Darbellay donne également de la voix (et du sifflement) dans une sorte de commentaire de l’effort qu’elle est en train de fournir sur son instrument : un théâtre musical à la Kagel, humoristique autant que grinçant, fort bien mené par notre musicienne. Avec son violon baroque cette fois, Jonathan Nubel interprète l’Allemande de la Partita en si mineur de Bach, dans l’Urtext du Cantor de Leipzig cette fois. Ici, à 7h00 :
Le projet est risqué et la musique amplifiée dans Beyond its simple place de la compositrice allemande Sarah Nemtsov : une flûte et une clarinette basse font face au quintette à cordes, avec au centre le clavecin dont l’accordage singulier prodigue ses couleurs étranges. La pièce alterne des moments d’une grande intensité sonore dominés par le clavecin et des plages très extatiques, proches de l’improvisation collective, amenant un univers bruité qui sollicite les techniques de jeu étendues aux cordes. Les deux instrumentistes à vent ont à portée de main une foule d’accessoires qu’ils manipulent plus ou moins violemment : tintement de porcelaine, jet d’objets dans une poubelle, pages froissées, pierres entrechoquées. Des mots sont murmurés par les instrumentistes au terme de la pièce, laissant imaginer une trame narrative sous-jacente : mystère…
Du théâtre toujours et de l’exubérance sonore avec la dernière pièce du concert, Inwendig Losgelost (« Détaché de l’intérieur ») de Wolfgang Mitterer. Le dispositif instrumental est spatialisé : le NEC (trois vents, trois cordes) est en surplomb au fond de la salle ; Le Moment baroque de part et d’autre du chef, le clavecin trônant au milieu avec en retrait le clavier électronique. Ils jouent (pratiquement) tous debout ! Comme dans les suites baroques, les mouvements sont nombreux, alternant « danses » rapides et lentes ; toutes aussi étranges les unes que les autres car le compositeur superpose écriture tonale baroque et langage contemporain dans un maelström joyeux et décapant dont le clavier électronique prolonge parfois la résonance. Très drôle est cette « danse en rondeau » vivement menée par l’ensemble baroque qui concède quelques « breaks » fulgurants aux musiciens du NEC ; ou encore ce « choral inappétissant » à la Satie, distillant ses harmonies hybrides. Ni hiérarchie, ni domination… Chacun y trouve sa place dans la bonne humeur et le respect de l’autre. Le message chez Mitterer est toujours politique!
Michèle Tosi