Alexander Vert L'énergie partagée

Interviews 18.11.2021

La création très attendue de Birds, Winds and Dreams d’Alexander Vert et Thomas Pénanguer est à la une du festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan 2021 : un spectacle total et immersif faisant appel aux technologies de pointe développées par la structure Flashback. Son directeur Alexander Vert cerne l’envergure d’un organisme qui a désormais conquis la scène internationale et revient sur sa propre activité de compositeur au sein de la compagnie.  

Michèle Tosi : Alexander Vert, tu as fondé la structure perpignanaise Flashback en 2009 puis l’ensemble Flashback en 2012, une formation de sept artistes permanents. Si l’heure n’est pas encore au bilan, peux-tu revenir pour nous sur ces douze années de fonctionnement?
Alexander Vert : Flashback est un organisme en plein essor, qui ne cesse de se développer et de tisser du lien avec la scène artistique internationale. J’ai créé la structure à mon retour en France, en vu d’associer la musique d’aujourd’hui et les nouvelles technologies et d’envisager la création sonore sous forme de spectacle audiovisuel et immersif, comme celui que nous allons donner au Théâtre de l’Archipel, le week-end prochain, Thomas Pénanguer et moi-même. Nous avons depuis 2015 une saison de concerts et des productions qui tournent dans le monde entier.

Quel est  aujourd’hui le périmètre d’action de la compagnie, en termes de diffusion?
Des destinations lointaines, en premier lieu! À Pékin d’abord, au festival de percussion où nous nous rendons chaque année en août avec le percussionniste de l’ensemble Philippe Spiesser, et à Moscou, qui renouvelle fidèlement son invitation. Plus proche de Perpignan, nous jouons également beaucoup en Espagne (Barcelone, Saragosse, Madrid, Palma de Majorque), en Suisse, à Genève où nous collaborons avec l’HEM, à Bâle, Zürich et Lucerne, en lien avec des compagnies de théâtre. Nous avons en prévision des tournées au Canada/États-Unis, au Japon et vraisemblablement au Pérou. Thomas Pénanguer est, quant à lui, invité en Californie pour une nouvelle collaboration avec le compositeur suédois Jesper Nordin. Nous allons très peu en Allemagne et en Italie et pas assez en France, excepté à Toulouse, invité par le Studio Eole avec qui nous avons co-produits deux CD à ce jour. J’ai bon espoir que les choses évoluent grâce, notamment, à ce nouveau réseau de création échafaudé en 2019, le RCPM (Réseau de Création Pyrénées Méditerranée) fédérant plusieurs structures, toulousaine (Eole), montpelliéraine (Maison des Arts Sonores), barcelonaise (festival Mixtur) et majorquine, qui devrait nous donner davantage de visibilité sur notre propre territoire. Mais tout cela demande énormément d’énergie partagée!
Les interprètes de Flashback ont tous aujourd’hui un spectacle où ils sont mis en scène, Birds in a cage pour l’altiste Odile Auboin, Sculpt pour le percussionniste Philippe Spiesser, Monolithe pour l’accordéoniste Fanny Vicens et la pianiste Clarisse Varihle, 400 cents objets tombants avec l’artiste visuel Thomas Köppel, des productions qui ne demandent qu’à tourner en France et à l’international.    

Mais Flashback n’est pas seulement une maison de production…
C’est aussi un lieu de recherche et un « Labo » qui accueille en résidence des artistes venant travailler sur leur projet. Nous avons aujourd’hui un équipement technologique de pointe qui attire beaucoup de compositeur.trice.s (Annette Mengel, Bérangère Maximin, Jacopo Baboni-Schilingi, Christophe Ruetsh, Hélène Breschand, Gérard Buquet, Juan Arroyo, etc.) au point que la demande dépasse nos capacités d’accueil. Et tous les compositeurs qui viennent travailler chez nous veulent revenir, voire même s’installer à Perpignan! Nous avons également une activité intense de médiation et d’action culturelle, de beaux projets, d’opéra numérique notamment, avec les écoles et collèges de la ville, qu’il est important de mener chaque année.
Il nous reste aujourd’hui à trouver un lieu pérenne, l’espace idoine qui nous permette de travailler dans les meilleures conditions et, je l’espère vivement, promouvoir Flashback au rang de Centre National de Création Musicale (CNCM).

Revenons à ta nouvelle création qui t’occupe depuis plus d’un an…
Birds, Winds and Dreams est ma première commande d’état, d’un montant de 10 000 euros (nous en avons eu deux autres depuis!). La pièce était à l’affiche du festival Aujourd’hui Musiques 2020 qui a été annulé pour cause de pandémie. C’est une aventure risquée et un énorme investissement, en matière de temps et d’argent ; des aides financières nous ont permis d’acheter les panneaux pour réaliser l’installation du cube de 10 mètres sur 10 dans lequel se joue le spectacle. Nous avons dû faire une version VR (réalité virtuelle) avec un casque Oculus et une diffusion binaurale pour travailler en studio, Thomas et moi. Le laboratoire s’est enrichi de seize nouveaux haut-parleurs, deux couronnes de huit, qui constituent la voûte ambisonique sous laquelle se placeront les 80 auditeurs dans le cube. Thomas Pénanguer s’est, quant à lui, équipé d’un nouvel ordinateur, une machine d’aspect plutôt intrigant qui lui permet de piloter six projecteurs en même temps : ce matériel high tech constitue une véritable avancée technologique pour le « Labo », outils  qui, nous l’espérons, seront réinvesti par d’autres compositeurs pour des projets à venir.

Le titre, Birds, Winds and Dreams est rien moins que suggestif, ouvrant très grands les horizons…
La pièce achève un cycle sur les oiseaux, et plus particulièrement sur les étourneaux qui voyagent en bande dans le ciel roussillonnais selon des trajectoires hallucinantes qui ont d’ailleurs fait l’objet d’études très précises. J’ai, moi aussi, beaucoup voyagé, dans ma tête, avec les oiseaux, m’intéressant, dans un second temps, aux personnes qui parlent aux oiseaux. J’ai alors découvert que le langage des oiseaux s’apparente au langage des alchimistes et, de symboles en symboles, je suis remonté … jusqu’aux égyptiens!

Pour filer la thématique du voyage, j’aimerais revenir sur ta propre trajectoire qui compte plusieurs années dans des contrées lointaines, trois ans en Inde, un an en Australie, plusieurs mois au Japon et en Amérique du sud, avant ton retour à Perpignan depuis une douzaine d’années. Est-ce que cette expérience de vie, cette découverte d’autres cultures et d’autres musiques, puisque tu n’as pas cessé d’en faire, peuvent être ressenties dans ta création?
Pas directement ; on ne pourra pas déceler d’éléments ni de couleurs exotiques dans ce que j’écris. C’est davantage un chemin de vie et une écoute singulière qui s’inscrivent dans une certaine manière de faire. Les voyages dans ces pays si différents de notre culture m’ont fait vivre l’expérience d’une liberté spatio-temporelle inouïe. J’avais la possibilité d’être au milieu de choses très étranges et de prendre le temps d’habiter le réel à son propre tempo. Je pouvais laisser le monde m’inspirer à nouveau. Ça n’a pas été toujours facile ; j’ai dû changer quatre fois de gourou en Inde avant d’être admis comme élève ; je me suis heurté au barrage de la langue au Japon et la rencontre avec le milieu de la musique n’en a été que plus longue et difficile. Mais ma détermination à faire de la musique quoiqu’il arrive n’a jamais fléchi et j’ai mis à l’œuvre tous les ressorts de mon imagination pour y arriver. Cet itinéraire, j’avoue, était aussi un « chemin d’amour », de mes amours au féminin, qui m’ont fait sillonner le monde!  

Peut-on parler d’une expérience temporelle singulière, qui me semble tangible dans ta musique?
C’est certain ; une expérience du temps long, comme dans un râga, que je vis pleinement dans ma pratique d’improvisateur. Dès que je suis rentré à France, pour survivre toujours, j’ai monté un groupe d’improvisation à tendance jazz où il nous arrivait de jouer durant cinq, six heures ou plus. J’ai gardé avec le sampleur et l’ordinateur cette relation très forte à l’improvisation, au son généré en direct et une certaine dimension de l’oralité dans ma musique. J’aime beaucoup chanter, en m’inspirant des pratiques traditionnelles, mélismatiques et ornementales, que j’ai pu entendre ici ou là. On pourrait parler des adaptations en anglais que je faisais sur le chant Qawwali lorsque j’étais en Inde. Ce sont autant d’éléments et de pratiques personnelles qui nourrissent mon écriture et traversent mon travail de composition.  

Nous serons donc à l’écoute, le week-end prochain, pour la création, sur la scène du Grenat du Théâtre de l’Archipel, de Birds, Winds and Dreams que tu co-signes avec Thomas Pénanguer : un spectacle à la croisée des pratiques musicale, scénique et technologique. À ne pas manquer!  

L’au-delà du vent

Ce sont les notes graves du spectre qui amorcent l’aventure sonore. Elles font vibrer la membrane des subs, ces haut-parleurs voués à la reproduction des fréquences les plus basses, avant que ne s’ouvrent les vannes du son dans Birds, Winds and Dreams donné en création mondiale sur la scène du Grenat.

S’élève alors un vent de tempête (force 9), charriant toutes sortes de matériaux et zébré d’éclairs : les nuées d’étourneaux en nappes mouvantes sillonnent les airs tandis que le vent tombe, laissant place à un tonique charivari. Les trajectoires et cris d’oiseaux deviennent mouvements et matière détachés de leur modèle sous l’effet des filtres et distorsions de la machine. On est au-dessus des nuages, dans le bleu du ciel (musique des sphères en apesanteur) avant de traverser d’autres zones de turbulence. La texture y est plus dense et la musique pulsée, qui s’élabore par strates successives. On y entend des rumeurs lointaines qui viennent embraser l’espace, dans une intensité décuplée par le flux des images. Elles sont projetées sur les quatre parois du cube (se placer plutôt à l’un de ses angles) et sur sa face supérieure via six projecteurs pilotés par un ordinateur.

C’est la musique d’Alexander Vert qui a stimulé l’imaginaire du vidéaste Thomas Pénanguer et a fait naître la vidéo qui interagit avec les sons : un travail très fin mené sur le motif, celui des nuées, fil rouge du montage, dont la représentation en noir et blanc s’altère, s’éloigne du modèle pour devenir pure abstraction.Travail également sur la transparence (ces souples morphologies qui se contorsionnent dans le vide), sur les formes du vent, l’énergie cinétique et les chutes vertigineuses : en bref une pyrotechnie bluffante, qui opère sous nos yeux, altère les matériaux et fait jaillir les couleurs.
Avec Thomas Pénenguer, la musique se dessine, se peint et se sculpte!

L’expérience audiovisuelle est à vivre in situ, dans la position semi-allongée que favorisent les transats : inédit et inouï!

Propos recueillis par Michèle Tosi

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