Kamilya Jubran a grandi en Palestine dans une famille très musicienne. Son père était luthier et maître de musique. Sa relation à la musique s’est épanouie dans les murs de cette maison-atelier, pleine d’élèves et d’instruments de musique (kanouns et ouds). Longtemps soliste de l’ensemble palestinien Sabreen, elle a fait un grand saut dans l’inconnu en s’installant en Europe en 2002. Depuis, elle explore les rencontres possibles entre sa culture musicale – de tradition orale – et les musiques de création européennes, improvisées comme écrites. Son chemin est celui d’une aventurière, d’une défricheuse. Ce qu’elle aime le plus, ce sont les “Terrae Incognitae”.
A Reims le 4 février dans le cadre du Festival Faraway tu as joué au sein d’un trio que tu as formé avec Youmna Saba (voix, oud) et Floy Krouchi (basse transformée). C’est le premier volet d’une série baptisée « Terrae Incognitae » et qui est destinée à se développer je crois?
C’est ça ! L’idée m’est venue en pleine crise pandémique; comme elle a été inspirante cette crise !
Dès que les portes des théâtres et salles de concert ont pu ouvrir à nouveau, Banlieues Bleues m’a offert une carte blanche. J’ai voulu leur proposer quelque-chose de particulier par rapport à mon travail d’écriture. Cette fois, j’avais envie d’être dans l’instant, dans l’esprit d’improvisation, dans les émotions, et non dans la pensée ni l’écriture, ce que je fais avec grand plaisir par ailleurs avec Sarah Murcia et Werner Hasler.
J’ai eu cette idée d’inventer une plateforme, d’inviter des musicien.ne.s de mondes sonores différents et de vivre ce moment dont je rêvais. C’est venu comme ça !
D’où le titre de la série : « Terrae Incognitae » …
Oui, l’envie d’une page blanche, d’un saut dans l’inconnu, car finalement je ne sais pas vraiment où je marche musicalement ! J’ai toujours envie de poursuivre plus loin mes recherches, de me mettre en situation de danger, de me frotter avec d’autres cultures, mais différemment.
Rendre possibles de tel moments : c’est ce qui m’anime avec cette plateforme.
Aller de l’avant, me projeter vers l’inconnu. Car il y a toujours beaucoup de choses à apprendre, à comprendre de telles situations.
Comment as-tu choisi ces deux musiciennes ?
J’avais déjà invité la chanteuse et oudiste libanaise Youmna (Saba), sur le projet « Sodassi, Mémoires partagées » en 2018 avec mon association Zamkana : j’avais réuni un ensemble de jeunes musicien.ne.s de villes arabes du Levant (Liban, Egypte, Palestine)
Je trouvais son cheminement original ; son jeu de oud, ses compositions minimalistes … Après “Sodassi”, elle a obtenu une bourse à la Cité des Arts, donc nous sommes restées en contact et j’ai pensé à elle pour le premier trio Terra Incognita . Elle a été impressionnée par ma proposition. Elle se sentait peut-être trop jeune ? Elle est de la génération de mes enfants (que je n’ai pas). Et cela m’intéresse : qu’est-ce que cette génération pense, quelle est sa vision ?
Ma rencontre avec Floy (Krouchi) s’est faite à Paris en 2002. On avait fait une expérimentation en trio avec la vocaliste israélienne Meira Asher, artiste qui a dû quitter Israël à cause de ses positions anti-régime. Après cette rencontre en trio, nous avons gardé le contact, et par la suite, j’ai vu qu’elle avait inventé sa basse magnifique ! Je l’ai contactée pour ce premier volet de Terrae Incognitae.
Dans ce premier opus de « Terrae incognitae », tu dis des mots en français. C’est plutôt rare de t’entendre dans cette langue ?
Je ne les chante pas, je les dis. Je chante toujours en arabe, car je considère qu’il y a beaucoup à faire dans cette langue. Je suis incapable de chanter dans une autre langue. C’est une question de cohérence artistique. D’ailleurs, c’est vrai qu’arriver en Europe au début des années 2000 et chanter en arabe, c’était compliqué ! Mais pourquoi pas? Il suffit de trouver d’autres façons de communiquer à travers les textes.
Donc pourquoi ici des mots en français ?
Il se trouve que pendant la pandémie, la bassiste Floy a décidé d’apprendre l’arabe. Je suis devenue sa prof à distance. Dans ses exercices, elle écrit des phrases courtes de deux/trois mots, des formes de haïkus si l’on veut. J’ai repris ces mots pour improviser autour, au début de la création du trio.
Les mots que je dis en français dans ce Terra Incognita sont la traduction des mots qu’elle a écrit en arabe dans ses cahiers : c’est une traduction à l’envers !
Ce sont des mots très simples mais qui prenaient de l’importance dans le contexte d’après-confinement. Quand tu dis : « un corbeau », ça résonne avec des images. On a vu beaucoup d’oiseaux danser dans les rues à ce moment-là dans la ville, vide et propre.
Tu envisages « Terrae Incognitae » comme une série de rencontres avec des musiciennes. On peut évoquer ton engagement pour la présences des femmes dans la musique ?
“Terrae Incognitae”, c’est l’envie d’une plate-forme ou d’un espace évolutif, non rigide, non institutionnel. L’idée première est de donner l’occasion de rencontres qui ne se font pas naturellement.
Quand on regarde les programmations faites par les lieux culturels ou les diffuseurs, on comprend qu’il y a des agendas, des thématiques, des saisons…. Tout est très cadré et plus ou moins figé, alors que la nature de la musique n’est pas comme ça je crois.
Ça m’a fait réfléchir… Comment fait-on la musique ? Qui joue ? Avec qui ? Comment joue-t-on la musique, dans quels conditionnements, et comment se débarrasser de ces conditionnements ? Comment faire évoluer les choses ? C’était la première idée.
Je suis aussi partie d’un autre constat : dans la musique, on n’invente rien. Quand on crée, bien souvent, on recycle des idées qui nous ont nourries. Et souvent, cet héritage est masculin… dans toutes les sociétés ! Bien sûr qu’il y a de grands créateurs-hommes en musique, je ne le nie pas, mais pourquoi ne pas donner la place à une autre façon de voir les choses ?
J’adore chanter la musique de Abdel Wahab, la musique traditionnelle classique arabe, mais elle est très masculine. Je n’ai pas tant envie non plus de séparer la musique des hommes de celle des femmes, j’ai simplement envie de donner plus d’espace à l’expression au féminin, sans conditionnement.
Donner cette liberté, aller voir ce qu’il se passe dans un monde sonore qu’on connaît moins …
Ta collaboration avec Sarah Murcia se déroule sur plus de 20 ans, avec plusieurs albums : c’est un travail de co-écriture. Dernière collaboration en date : « Malek », avec l’Orchestre régional de Normandie et Jean Deroyer. Je crois savoir que l’expérience n’a pas été si fluide …
J’ai beaucoup hésité à répondre à cette commande de l’orchestre et de son directeur Pierre-François Roussillon. Il aimait notre duo, il aimait l’album Habka (Sarah et moi, avec trois musiciens du Quatuor IXI en 2016). J’ai eu de gros doutes dès le début. C’est un orchestre initié à la lecture, à la musique classique ; ce n’est pas mon monde. Sarah m’a encouragée à accepter et je me suis jetée à l’eau !
J’ai commencé par écrire des textes. C’était une forme de continuité avec l’esprit de WA, le troisième album avec Werner Hasler, pour lequel j’ai aussi écrit mes propres textes. J’avais l’impression de ne pas avoir épuisé ce terreau.
A cause de la pandémie, le travail musical s’est fait à distance entre Sarah et moi ; un jeu de ping-pong. On s’envoyait des idées, on se renvoyait la balle. Les idées se construisent comme ça avec Sarah. Nos mondes se croisent. J’écris les lignes mélodiques (l’horizontal) ; elle écrit l’harmonie (le vertical). En plus, je traite les textes, pour qu’ils soient compatibles avec une pensée contemporaine, inspirée par la musique classique arabe.
Dans « Malek », tu joues du oud, tu chantes tes textes, avec autour de toi l’orchestre ?
C’est ça. La rencontre avec l’orchestre n’a pas été facile je dois dire ! C’était la première fois que je travaillais avec un chef d’orchestre, mais j’étais heureusement dans de très bonnes mains… Jean Deroyer comprend mon background, et comment je travaille la musique. Il a aimé notre écriture avec Sarah. Si la collaboration a finalement réussi, c’est aussi grâce à lui; ça n’était pas gagné, au tout début. Il y a de telles différences entre le discours d’un orchestre et le mien.
Ils ont un très beau son d’ensemble, mais j’ai le sentiment qu’ils sont d’abord dévoués à la partition, et que cela passe avant la musique ou la personne; tout l’inverse de moi ! Il a fallu trouver l’équilibre, dissiper les inquiétudes.
Lors de la première au festival des Francophonies à Limoges en septembre dernier, j’avais le trac comme jamais, mais on a réussi. Et finalement, l’orchestre était content je crois ! La vraie collaboration a eu lieu à ce moment-là.
Quelle est la nature des textes de « Malek » ?
Dans « Malek », je suis dans l’intime ; j’écris en dialecte palestinien. Je m’inspire beaucoup des chansons, des jeux qu’on a fait enfants, des énigmes qu’on a fredonnées. Je suis proche de la poésie traditionnelle écrite en dialecte, et j’y tisse mes phrases, mes mots à moi.
Tu as dit tout à l’heure que tu avais déjà amorcé ce travail autour du texte avec Werner Hasler ?
Oui, c’était à l’époque de notre 3ème album, sous la pression de quelques amis qui trouvaient que j’avais assez chanté les poèmes des autres et que je devais chanter mes propres mots.
On a eu une petite résidence chez des amis norvégiens, un petit village à deux heures d’Oslo, chez Jon Balke, pianiste de jazz contemporain, et sa femme Tone Myskja, vidéaste. C’est là que j’ai commencé à dire mes mots. Ces textes sont particuliers : c’est une expression un peu « digitale » si l’on veut – comme des mots-clefs, comme ces mots sur le Iphone, ou les hashtags à la fin d’un article; ce sont juste des images.
Après ce disque avec Werner, il me restait beaucoup de choses dans le ventre, liées à mon histoire et à ma famille ; la mort de papa et une crise familiale. J’avais besoin de cette thérapie avec les mots, besoin de me soigner. C’est ce qui surgit dans « Malek ».
Comment vois-tu ce duo avec Werner Hasler évoluer?
On a vécu beaucoup de choses. Je crois aux échanges musicaux au long cours. J’ai mes binômes; celui avec Sarah depuis 1998, celui avec Werner depuis 2002. C’est une relation d’échanges et de confiance qui se déroule dans le temps.
J’ai grandi avec Werner, et notre langage a grandi avec nous. Plus on gagnait en confiance, moins la fragilité de l’autre nous inquiétait. Et j’ai le sentiment, comme à l’intérieur d’un couple, qu’il y a toujours des choses à découvrir chez lui; c’est beau je trouve !
Du côté de Werner Hasler, il y a eu au départ une curiosité pour ton univers ?
Oui, et cette curiosité a été la raison de notre rencontre. Juste après d’ailleurs, il s’est intéressé à la musique classique du Levant, il a fait un voyage d’apprentissage au Caire pour se familiariser avec l’esprit de la musique modale.
Werner est trompettiste et vient du jazz. Il a fait une école de jazz, et très vite en rebelle, il a rejeté les codes du jazz et les étiquettes, d’autant que comme beaucoup de musiciens suisses il était en contact avec la musique électronique, qu’il y avait en Suisse, à portée de main, un riche background européen. Peu à peu, il a ouvert son propre chemin, et c’est ce qui m’a attirée vers lui; nous étions en recherche tous les deux. Je me disais : « Il a tout ce qu’il faut, alors qu’est-ce qu’il cherche » ?
Par ailleurs, pour lui j’étais un point de contact avec une culture qu’il ignorait, car il était passé à côté. Tout d’un coup, il avait un témoin vivant de cette musique devant lui !
Il n’avait pas envie de faire comme les musiciens européens, qui se contentent de jouer les tubes de la musique orientale. Ce n’était pas son style… Il y a donc eu cette curiosité réciproque.
Et le duo avec Sarah ? Comment ça s’est fait ?
C’était à l’époque du groupe Sabreen. On était en train de produire le 4ème album du groupe, et Saïd Mourad, le fondateur du groupe, souhaitait intégrer dans l’ensemble, en plus des instruments habituels, une contrebasse et des cordes.
Des contrebassistes en Palestine, il n’y en a pas beaucoup… je suis allée la chercher à Paris ! Par ailleurs, nous devions faire cet album avec une petite boîte de production parisienne et j’étais la productrice de l’album. Lors de ce séjour, j’ai aussi rencontré le grand poète libanais Talal Haidar, car il était inconcevable pour une palestinienne de rencontrer un libanais en Palestine (je voulais qu’on chante ses textes, ainsi que ceux du poète égyptien Sayed Hegab).
Donc je suis à Paris et je cherche une contrebassiste. La boîte de production connaissait Sarah Murcia, alors jeune musicienne de 20 ans. Je l’appelle, et elle accepte tout de suite ! On se met au travail… Finalement, pour des raisons économiques, la production n’a pas eu lieu à Paris, alors j’ai fait venir Sarah à Jérusalem, on a enregistré avec Sabreen, on a produit l’album chez nous et on a quand même fait une petite tournée à l’étranger (France, Canada, pays arabes …).
Pendant ces voyages, on a beaucoup échangé avec Sarah, et on s’est dit qu’on aimerait bien un jour écrire une musique à nous. Voilà comment l’idée du duo a germé !
Quelles sont pour toi les grandes qualités de Sarah Murcia ?
Son esprit ouvert, sa curiosité. On a aussi en commun un trait de caractère : on est « cash » toutes les deux. On ne fait que ce qui nous semble pertinent.
Elle ne voulait pas faire de la musique arabe, c’était clair. Et je n’en avais pas envie non plus.
J’aime sa franchise, son honnêteté, son intelligence, sa qualité artistique ; cette capacité à comprendre d’autres cultures, tout en gardant sa ligne artistique.
On ne veut pas devenir l’autre, on cherche à être en face de l’autre. C’est un face à face, un dialogue.
Autre figure de contrebassiste avec qui tu as collaboré récemment : Florentin Ginot. Comment s’est faite votre rencontre ?
C’était il y a deux ans à Banlieues Bleues, au moment de Terra Incognita 1. Il était présent à la création et a aimé ce projet.
Il m’a parlé de son cycle « Les Instantanés ». Il y avait eu un premier volet : « Folia ». Il voulait poursuivre ce cycle et m’a proposé de faire partie du deuxième volet autour de la Sibylle. Il souhaitait prendre pour point de départ la chanson liturgique du 12ème siècle, la Sibylle, pas tant par intérêt pour le côté liturgique de la chanson, mais plutôt à cause de son caractère musical très simple, épuré. On a travaillé dans cette direction. Mais notre vraie rencontre avait eu lieu en 2018 sur scène en Allemagne, à la faveur d’une création de Elliott Sharp avec Musikfabrik et moi-même, au festival Ruhr-Triennale (Florentin est le contrebassiste de l’ensemble de Cologne). Il y avait eu de brefs échanges backstage, puis plus rien, jusqu’à ce qu’il vienne m’écouter à Banlieues Bleues, deux ans plus tard …
“Filiseti Mekidesi” an opera by Elliott Sharp (excerpts) from Janene Higgins on Vimeo.
Tu peux nous en dire plus sur la nature de ce projet autour de la Sibylle ?
C’est un long processus. Florentin est venu chez moi ; on a joué ensemble, sans idée définie. On a commencé à trouver des notes sur lesquelles on pouvait se rencontrer, des choses très simples. On a tout de suite creusé dans une forme de minimalisme, d’épure sonore, de vibration : c’était notre terrain d’entente, et ce n’est pas simple à faire…
Par ailleurs, Florentin avait envie de mêler écriture contemporaine et textes du monde arabe. Il m’a fait des propositions. J’ai lu son choix de textes, mais je n’ai rien trouvé qui me touchait, sauf des textes de la poétesse et peintre libanaise Etel Adnan et de Fadwa Souleimane, poétesse syrienne militante et opposée au régime de Bachar el-Assad. Là j’ai trouvé un sens !
J’ai fait une sélection de poèmes et un montage, en lien avec le caractère épuré de la musique. Et puisqu’il s’agissait de la Sibylle, je suis allée puiser dans la musique byzantine que j’ai beaucoup écoutée dans mon enfance à l’église orthodoxe : des mélodies basées sur les huit gammes principales propres à cette musique. J’ai revisité ces gammes. J’y ai trouvé des choses qui me semblaient en accord avec la simplicité du propos. Ceux qui connaissent cette musique en percevront peut-être quelques échos.
Cette musique était encore gravée en toi, ou tu as dû la réécouter ?
C’était trop loin. Comme mon frère Khaled a écrit sur cette musique, il m’a aidée ; j’ai revisité ces modes avec lui. C’était compliqué. Il y a eu tellement de changements avec le temps… Qu’est-ce qui a changé après le schisme ? Qui chantait quoi ? Où se situe la microtonalité ? Ça m’a fait beaucoup de bien de revisiter cette culture.
Avant cette collaboration avec Florentin Ginot, tu avais eu d’autres opportunités de rencontrer des musiciens de la scène contemporaine ou expérimentale ?
Il y a eu cette rencontre avec Elliott Sharp en 2018. J’étais étonnée d’être invitée par lui. « Qu’est-ce qu’il veut de moi »? J’étais fascinée par son jeu de guitare et j’ai tout de suite adoré son monde.
Sinon, en 2002 quand je suis arrivée en Suisse, j’ai rencontré pas mal de musiciens à Berne : en plus de Werner (Hasler), le saxophoniste improvisateur Hans Koch, et Don Lee, un saxophoniste très attiré par la scène jazz moderne New Yorkaise. On a improvisé ensemble ! C’est à ce moment-là que je suis entrée dans l’univers de la musique improvisée ; ça a coïncidé avec mon arrivée en Europe.
Tu ne viens pas de ce type d’improvisation. De quelle nature est l’improvisation dans ta culture ?
Dans la musique traditionnelle arabe classique, l’improvisation est très présente. C’est une épreuve à franchir : c’est le critère selon lequel on reconnaît un musicien professionnel, virtuose, mais ce n’est pas un genre de musique. C’est une autre philosophie, une autre façon de voir la liberté dans l’expression. Et ça se déroule à l‘intérieur d’une pièce, d’une écriture, d’une chanson ou d’une pièce instrumentale. Qu’on soit instrumentiste ou chanteur – car l’improvisation est vocale aussi – on improvise en préludant, en développant un thème, en ornementant.
A ton arrivée en France, tu développes ton jeu sur le oud, tu changes d’instrument. Mais ton premier instrument c’est le kanoun (celui dont tu joues dans Sabreen) …
C’est vrai, et je l’ai joué même toute petite ! Mais au bout d’un certain temps, j’ai ressenti une fatigue par rapport à cet instrument, son entretien, son accordage, sa fragilité. Jouer en plein air avec lui, c’est complexe, et finalement, je me suis dit un jour que j’avais consacré un tiers de ma vie à accorder ces 74 cordes !!! (rires)
De plus, j’étais « frontwoman » du groupe Sabreen : chanteuse et joueuse de kanoun à la fois, ce qui n’était pas du tout pratique. S’adresser au public en jouant de cet instrument n’est pas évident.
Par ailleurs, le oud était également présent dans mon enfance à la maison, car mon père était facteur de oud et de kanoun. Quand on est enfant, il est plus facile de jouer le kanoun. Il est plat, on le pose sur une table ; je pouvais en jouer facilement. Jouer du oud quand on est enfant est plus difficile … et papa n’avait pas encore fait les petites tailles de oud à l’époque. Le kanoun m’allait. Jusqu’à ce qu’au moment de passer mon bac, je ressente l’envie de jouer du oud pour me détendre entre les cours. Là, j’ai trouvé un lien avec le oud. Mais j’ai quand même fait 20 ans avec le kanoun dans Sabreen.
Et puis quand je suis partie en Europe, j’ai pris un oud, j’ai pensé que le kanoun pouvait se reposer. J’ai tourné une page, c’était un nouveau départ. J’entrais dans une nouvelle recherche, et aujourd’hui, je continue à chercher avec le oud, mais j’ai toujours un kanoun à la maison !
Qui sait, un jour ?
Propos recueillis par Anne Montaron