Pierre Bleuse au Festival Pablo Casals Donner du sens au présent

Interviews 13.08.2021

Nouveau directeur du festival Pablo Casals, Pierre Bleuse s’est donné pour mission de faire rayonner la manifestation à l’échelle internationale tout en l’ancrant sur le territoire et en partant à la rencontre des publics. Il revient pour nous sur les enjeux d’une programmation pleine de défis.

Vous succédez à Michel Lethiec et signez votre première édition à la tête du festival Pablo Casals. Est-ce votre première expérience en matière de direction de festival ?
J’ai participé, à la fin de mes études musicales, à la programmation des « Nuits d’été » où j’ai fait mes premières armes ; puis il y a eu, en écho et pendant deux ans, les « Nuits d’hiver » où nous imaginions de belles programmations. Mais tout cela est bien lointain. J’ai rapidement été absorbé par d’autres activités : violoniste de formation, j’ai occupé le poste de violon solo à l’orchestre de chambre de Toulouse jusqu’en 2010. C’est l’année où je monte un projet de festival avec la Norvège sous forme d’échanges économiques et culturels qui ont été très positifs et m’ont certainement mis le pied à l’étrier. Pour autant, j’ai beaucoup réfléchi et mis du temps à accepter la proposition pradéenne, sachant la responsabilité et le travail qu’il en coûte. Le fait que j’entretienne depuis mon enfance des liens forts avec la terre catalane (mon grand-père a vécu et est enterré à Ria, le village qui jouxte Prades), m’a certainement poussé à relever le défi. J’ai eu la chance, né au sein d’une famille de musiciens, d’être initié très tôt au répertoire contemporain, à la musique baroque sur instruments anciens, au métier du quatuor à cordes que j’ai pratiqué durant trois ans : toute cette expérience me nourrit depuis fort longtemps et me donne une foule d’idées que j’ai aujourd’hui envie de partager.

Si l’esprit du festival, dans l’aura du maître des lieux et de son violoncelle, est préservé, vous avez cette année totalement renouvelé les interprètes en conviant à Prades le gotha du monde artistique.
J’avais envie de rouvrir les portes du festival à toute une génération d’interprètes qui fait une carrière internationale et qui n’avait jamais foulé le sol catalan ; et je n’ai eu aucun mal à convaincre les Sol Gabetta, Bertrand Chamayou, Isabelle Faust, Renaud et Gautier Capuçon, tous très honorés de participer à une manifestation de renom où ils n’étaient jamais appelés.  

Exit l’académie et ses maîtres aux vestes blanches. Votre action en direction de la jeune génération prend une toute autre tournure.
Je voulais trouver un autre modèle que celui du « stage » académique qui coute très cher aux familles… Après cette période terrible de silence et d’isolement qu’ont endurée les jeunes plus encore que nous-mêmes durant la pandémie, j’avais envie de les réunir, de créer une plateforme d’échanges, de les considérer comme des artistes et non des élèves et aussi de les payer. Ainsi est née l’idée de l’Orchestre du festival où chaque jeune recevra 1500 euros pour sa participation aux concerts.

Comment s’est fait le recrutement ?
Je suis allé voir les différentes écoles européennes, CNSM de Paris, HEM de Lausanne et Genève, ESMUC de Barcelone, Menuhin Academy, Institut supérieur des Arts de Toulouse. Je leur ai exposé mon projet et leur ai demandé une aide financière pour les voyages et l’hébergement des jeunes. Ils ont tous répondu positivement et j’espère obtenir pour les années à venir de l’argent européen pour les dédommager. 

Vous mentionnez, dans votre projet, l’exemple de la Malboro Music School and Festival où les professionnels encadrent les plus jeunes.
Je m’en suis inspiré en effet en prévoyant des coachs, en l’occurrence les membres des Quatuors Dutilleux et Klarthe, pour encadrer les jeunes au sein de   l’orchestre et les conseiller pour leurs concerts de musique de chambre en matinée : une manière de créer du lien entre les générations qui vont travailler et jouer ensemble. J’assure la direction des concerts d’ouverture et de clôture mais j’ai également fait venir deux personnalités, l’Espagnol Josep Pons et le Russe Vladimir Spivakov qui m’ont fait l’honneur d’accepter un tel chalenge. Je veux créer un orchestre avec une ambition artistique très forte et inviter des chefs qui mettent la barre très haut.

Côté création, vous avez cette année un compositeur en résidence dont deux œuvres sont au programme du festival…
J’ai rencontré Daniel Arango-Prada, jeune compositeur colombien, lors de la finale du Concours de Composition de Genève 2019 que j’ai dirigée. J’avais été enthousiasmé par sa pièce pour hautbois et ensemble Dune qui a d’ailleurs remporté le concours et j’ai tenu à la mettre à l’affiche de cette première édition, en conviant le Lemanic Modern Ensemble qui l’a créée. Le Festival lui a  également passé commande d’une œuvre pour quatuor à cordes et voix que l’on entendue dans les Grottes des Grandes Canalettes avec le Quatuor Bela et la soprano Julia Wischniewski. Je voulais que Daniel Arango-Prada vienne avec un collectif de jeunes compositeurs qui serait resté tout au long du festival. La chose n’a pas pu se réaliser mais je désire à l’avenir donner plus de rayonnement encore à cette résidence, en conviant le public à des rencontres et des répétitions. Mon idée est de remettre les créateurs au premier plan d’un festival qui a longuement glorifié les interprètes.  

Se pose également la question des lieux où faire valoir cette création…
Nous y travaillons en effet ; j’ai trouvé un endroit superbe, l’ancien boulodrome, face à la gare de Prades où des travaux sont en cours et qui devrait être fonctionnel en 2022. Il va devenir le Club, le temps du festival : un lieu convivial où l’on pourra venir prendre un verre et écouter le concert de 22h30, tendance jazz, contemporain, électro ou audio-visuel. Nous  avons, cette année, proposé cinq soirées de ce type au Château Pams, dans le Parc de l’Hôtel de ville de Prades. C’est l’occasion rêvée de croiser les esthétiques et les publics avec des propositions originales et de faire entrer les nouvelles technologies, comme il serait d’ailleurs opportun de le faire dans un espace comme celui des Grottes de Corneilla de Conflent.

J’aimerais pour finir aborder la question épineuse de la parité dans la programmation. Les femmes seront-elles à l’affiche des éditions 2022 et suivantes, dans la mesure où elles sont absentes cette année ?
Il se trouve que je dirige énormément d’œuvres de compositrices et que je compte bien faire appel à elles dans les prochaines éditions. Rien n’est encore fixé à cette heure, mais j’aimerais beaucoup que la prochaine personnalité invitée soit une compositrice. Et j’encouragerai également les interprètes à mettre à leur répertoire des œuvres de femmes. Le même problème s’observe dans le monde de la direction et je suis très heureux de la présence cette année de Nil Venditti, jeune cheffe italo-turque qui sera à la tête du Lemanic Modern Ensemble.   

Quel est votre vœu le plus cher pour ce festival ?
Qu’il soit un lieu d’échange et d’ouverture ; que les musiciens, les publics et les artistes de tous bords s’y rencontrent. Je veux prendre le temps et construire un programme qui ait du sens et une âme.

“Sol Gabetta en direct du festival, le concert d’ouverture , sur France Musique, ici

Propos recueillis par Michèle Tosi

Photos © Marine Pierrot Detry

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