Refree est tentaculaire, polyédrique. Qu’il soit producteur ou compositeur (Niño de Elche, Rosálía, Lee Ranaldo, Sílvia Pérez Cruz) ou musicien, il s’obstine à matérialiser l’univers sonore qui bouillonne dans sa tête. Comme il le dit lui-même : “J’essaie seulement de faire la musique que j’imagine”. Pour illustrer cette volonté, comme s’il voulait se débarrasser un instant du producteur, il présente dans son dernier album, El espacio entre, un ensemble de chansons expérimentales et minimalistes, où le son est mâché jusqu’à l’épuisement.
Pour entrer dans El espacio entre, il est intéressant de savoir d’où vient une telle expérience. L’album est né de deux bandes sonores composées auparavant : la première, en 2022, avec Nuria Andorra, pour le classique La aldea maldita de Florián Rey (film muet espagnol réalisé en 1930, ndlr), et la seconde, pour le film Un año, una noche d’Isaki Lacuesta.
De fait, toute la membrane qui enveloppe les quatorze chansons de l’album de Refree, du début à la fin, exhale cette atmosphère de rêves, cet état d’enchantement qui reste sous les paupières à la sortie d’une salle de cinéma en état de choc. Il y a, à la source de l’album, un peu de cette matière typique des bandes originales les plus suggestives où des notes de piano suspendues dans le vide évoquent le prélude parfait au crime.
Refree ne cherche pas à décrire, ni à s’étendre narrativement. Au contraire. Le musicien barcelonais s’intéresse davantage à la fugacité, à la béance et à la fragrance pour devenir plus expressif, plus riche et plus vigoureux.
Nous pourrions dire que Refree est plus convaincu par le parfum que par la fleur, plus par le baiser et la trace de carmin que par les lèvres. Dans cette œuvre, il s’agit de se lover dans des paysages de brume et de boue, d’humidité et d’ombre, pour retrouver dans un fragment de chant, la piqûre d’une émotion fulgurante.
Il y a dans cet album, outre la complexité, la vibration et la promiscuité, toute une richesse de textures, de couches et de tissus. Et pourtant, on ne perçoit nulle part d’arbitraire ou de fantaisie. Tout se tient, comme si la matière sonore était liée à la même cohérence que les forêts, toujours harmonieuses dans leur multiplicité.
Par exemple, le disque s’ouvre sur “Lamentos de un rescate”, une déconstruction inspirée des madrigaux de Monteverdi, une polyphonie de voix, de cordes et de distorsion contrôlée avec la précision d’un artificier …
… pour se conclure avec la quatorzième pièce “Una nueva religión” et son développement expansif, comme si Refree était à la recherche d’un nouvel horizon. D’une complainte à une espérance, le cycle s’achève.
Il y a cependant encore d’autres complaintes tout au long de ce voyage sonore. La quatrième chanson “Lamentos de un día cualquiera” et la dixième “Lamentos de otro día cualquiera” insistent sur la décomposition et le jeu des madrigaux du célèbre compositeur italien. Ce n’est qu’au troisième chant “Montañas vacías” que la pierre de la forêt, la percussion métallique, la réverbération sèche et tranchante font irruption.
Et c’est ainsi, en traversant toutes les clairières de cette nature humide, que nous passerons d’un minimalisme exquis à une expérimentation fédératrice, d’un mysticisme païen à un quotidien très urbain ; aussi urbain que la barbichette et la coiffure de Refree.
Après avoir écouté El espacio entre, on a la sensation qu’il y a de la beauté dans n’importe quel creux du monde.
Txema Seglers