FAIR_PLAY est un réseau destiné à promouvoir la visibilité des femmes cis et trans, dans les domaines de la création sonore, des musiques expérimentale, alternative, électroacoustique et des arts et techniques associés. Diversité, expérimentation, entraide, partage de ressources, échange autour de programmations sonores et artistiques, appel à projets, information, marrainages, laboratoire de cultures et pratiques inouïes, ancestrales, curieuses, sauvages et joyeuses.
FAIR PLAY nous répond collectivement, c’est direct et engagé.
FAIR PLAY, est un terme créé par Shakespeare pour évoquer la tolérance à toutes les idées et le respect de la parole de l’autre ? Comment définiriez-vous l’état d’esprit des membres de ce réseau ?
Vous êtes certaine que Fair-Play est un terme créé par Shakespeare ? Parce que les historiennes qui travaillent sur le matrimoine nous ont montré, ces dernières années, que dès que quelqu’un, souvent un homme, s’attribue la paternité d’une telle chose, bien souvent il invisibilisait une femme, ou un groupe de femme qui l’avait créée des décennies voire des siècles avant lui. Et ce à grand fracas pour être bien certain de s’en attribuer les mérites tout en réduisant ces femmes ou ce groupe de femmes au silence.
L’état d’esprit des membres du réseau est possiblement très différent pour chacune d’entre nous. Mais il est vrai que nous avons traversé ensemble ces dernières années, particulièrement bouleversantes et fécondes pour les mouvements féministes. Nous avons beaucoup appris en échangeant en flux continu, en partageant des moments non mixtes, en constatant que nos manières de parler changent et évoluent, en travaillant sur le matrimoine, etc. Ce n’est pas seulement la tolérance ou le respect de la parole de l’autre qui nous meut. C’est aussi savoir parfois faire un pas de côté et de derrière pour laisser celle de l’autre, moins privilégiée, s’exprimer.
FAIR PLAY est un réseau de compositrices, musiciennes, performeuses : a t-il un genre musical ? Existe t’il une manière « féminine » de faire de la musique ?
Ce sont trois questions en une, mais l’une dans l’autre, elles sont assez drôles… Nous nous pensons comme travailleuses des musiques expérimentales, des techniques et des arts associés. Il y a presque autant de genres musicaux que de personnes qui les pratiquent. Disons pour résumer que nous nous intéressons à tous les genres qui explorent des pratiques, une écoute, un engagement, et de ce fait, qui se trouvent éloignés des circuits mainstream de visibilité et d’audibilité. Nous ne cherchons pas à créer un réseau de grandes compositrices qui joueraient des coudes pour exister alors qu’elles ne sont programmées qu’à 3% dans les réseaux français subventionnés et que cela n’est plus acceptable. Cela a tout son intérêt, il est absolument nécessaire que ces réseaux existent et nous sommes à leur côté dès que nous le pouvons. A Fair-Play, nous incluons toutes celles qui ont une pratique et ce à n’importe quel niveau. Cela peut même être une femme cis ou trans qui n’a fait qu’un montage sonore dans sa vie, qui a 18 ans et qui rêve de son. Cela peut être une femme cis ou trans qui a vu sa carrière faner à mesure que les décennies passent. Cela peut-être une femme qui a vu bien des décennies passer et qui débute en tant que preneuse de son etc .. etc….
FAIR PLAY c’est aussi un formidable espace pour réinventer la parole : femme, transgenre, cis-genre, intersectionnalité, sororité, matrimoine. Y a t’il aussi dans la création musicale une redéfinition des catégories artistiques ?
Il est vrai que nous passons un temps fou à nommer chaque chose. Et le fait même de manquer parfois de mots ou d’avoir entre nous des définitions extrêmement différentes, raconte une chose très importante : nous n’avons pas encore assez usé les mots qui nous caractérisent et nous n’avons pas encore assez de place pour les user. La question de la sororité est absolument centrale et féconde. Elle nous étonne régulièrement.
Il n’y a pas plus de redéfinitions des catégories artistiques que de musique féminine ou masculine, ou cis, ou trans. Il y a pour chacune un engagement artistique ou technique dans sa pratique. Si elle veut signifier une dualité, une pluralité, une sororité, si elle veut questionner le matrimoine, cela la regarde en tant qu’artiste. Il n’y a aucune obligation à le faire. Encore une fois, elle peut aussi faire du gros son qui casse les tympans et les enceintes, ou comme tout le monde, pratiquer sans avoir toutes ces questions en tête. Il est par contre fort probable que les parcours des femmes cis et trans, qui questionnent l’endroit de leur privilège, qui explorent d’autre manière d’être ensemble, de fabriquer ensemble apportent beaucoup à toutes et tous.
FAIR PLAY est-il un réseau français ? Et si oui, quelles sont vos relations avec les réseaux des pays voisins? Quels sont les enjeux de ces réseaux aujourd’hui ?
Fair Play a démarré en France et il a très vite été question de créer un réseau en Belgique. Les enjeux sont, seront toujours de travailler sur la visibilité et l’audibilité des femmes cis et trans. Nous avons vite compris, et bien souvent dans la douleur, que nous avions toutes besoin de lieux de parole et il est fort probable que ce soit le cas de tous les réseaux féministes, à l’heure où la parole est aussi celle des violences, des viols, du harcèlement, des incestes. Aucune d’entre nous n’a été épargnée. Aucune.
Nous cherchons beaucoup à déjouer les travers des programmateurs-tices afin que le réseau ne soit pas l’alibi “feminist washing” d’une soirée dans une programmation qui ne se remet pas en question. Aussi nous refusons de faire le travail des programmateurs-trices à leur place. Nous leur proposons plutôt de travailler d’emblée à la parité sur les prochains siècles et s’ils veulent travailler avec nous, c’est avec plaisir, mais alors il faut nous céder une part de leur salaire. Autrement dit et de manière très radicale : il y a autant de femmes que d’hommes dans les formations artistiques, il y a autant de femmes que d’hommes qui désirent pratiquer, et ce à tout niveau. Si cette statistique ne se retrouve pas dans les programmations, il y a trois raisons : soit il y a de mauvais formateurs-trices, soit il y a de mauvais jurys qui attribuent des bourses, soit il y a de mauvais programmateurs-trices. En résumé, si une programmation n’est pas à parité aujourd’hui, c’est que le-la programmateur-trice est mauvais-e.
Et si nous entremêlons à cela les questions d’intersectionnalité, nous constatons une seule chose : les programmateurs-trices sont globalement vraiment mauvais-es. Plus sérieusement, il se joue là, dans la visibilité des artistes bien des questions de dominations et d’entre soi. On en a plus qu’assez depuis des siècles.
FAIR PLAY, c’est une communauté de plus de 1100 personnes qui vous suivent sur Facebook : quels sont vos projets pour cette année 2021 ? Comment avez-vous vécu cette crise de la représentation loin du public ? Le réseau peut-il apporter des solutions collectives ?
Les projets continuent avec les contraintes et les ralentissements actuels. Nos axes d’action et de réflexion se conçoivent collectivement. Nous menons les projets par groupes de travail (basés sur une localisation, une disponibilité ou un intérêt commun) et pensons toujours le réseau comme des archipels à dimensions variables, toujours ouverts aux possibles et aux changements.
Notre gros chantier du moment est la refonte du site internet grâce à la webmistress Lea Tortay et quatre bénévoles du réseau. Il permettra en particulier aux artistes de rejoindre officiellement le réseau en signant notre charte et être répertoriées par activité et lieu dans un portail destiné aux programmateurs-trices. Clara Levy, musicienne basée en Belgique, sera en charge du Community Management.
Nous préparons une série d’albums en partenariat avec le label Tsuku Boshi et le Musée du Luxembourg sur un an, cette série sera lancée par le projet INCLUSIVES rassemblant une trentaine de compositrices de tous horizons, particulièrement les plus invisibilisées.
Nous créons des émissions mensuelles pour les Radios Tesla FM (Barcelone); Radio Station Essence (Bordeaux) et TT Node (DAB + à Mulhouse et Paris)
Nous préparons des tables rondes avec des expert-e-s sur l’intersectionnalité au sein du réseau.
A plus longue échéance, nous attendons la fin des restrictions sanitaires pour reprendre les partenariats avec des endroits évènementiels comme le Lieu Multiple (Poitiers) et la Station (Aubervilliers).
Propos recueillis par Sandrine Maricot Despretz