The Lappetites: l’union fait l’inspiration

La Fabrique 07.10.2022

La planète électro et expérimentale les connaît pour leur carrière solo et en tant que collectif : Kaffee Matthews, AGF et Ryoko Akama forment The Lappetites, collectif musical ouvert aux compagnes de routes. Trois artistes improvisatrices engagées dans l’exploration auditive et autobiographique avec un goût prononcé pour la prise de risque et ce qu’elles aiment appeler le « braconnage » sonore.

“Amitié, ouverture, fluidité, écoute.” Elles ont triché. Kaffee Matthews et Antye Greie, alias Agee ou, sur scène, AGF, devaient donner trois mots, au débotté, qui définissent, selon elles, l’esprit des Lappetites et la quintessence de cette démarche singulière. Elles en choisissent quatre, du tac au tac. Soit ! Leur complice, Ryoko Akama, n’a pas pu être présente pour cet entretien entre Paris, Berlin et le Nord finlandais. Nul doute qu’elle aurait approuvé le choix de ses partenaires de scène.

Les trois Lappetites
AGF – Kaffee Matthews – Ryoko Akama

Créer un espace d’échange et d’exploration musicale

Déjà, ce nom, qui titille l’oreille : The Lappetites. « C’est la contraction de laptop et d’appétit », souffle Kaffee. Le laptop, longtemps instrument de création fétiche des musiciennes et performeuses qui font partie de ce collectif né en 2002, et l’appétit pour l’exploration, l’improvisation, la scène. L’appétit de travailler ensemble. Vingt ans déjà. Les Lappetites sont nées à New-York, à l’initiative de Kaffee : « Au milieu d’un festival qui n’avait programmé que des hommes sauf moi, j’ai organisé une soirée qui réunissait des artistes femmes pour jouer ensemble : Ikue Mori, Zeena Parkins, Marina Rosenfeld… des légendes ! Nous n’avions jamais fait cela avant. Ce fut phénoménal. Je voulais créer ce lieu de rencontres pour explorer des idées musicales, ensemble. Les Lappetites, c’est davantage un espace commun qu’un groupe de musique au sens strict. » L’idée avait déjà fait son chemin dans l’esprit de Kaffee : « Quelques semaines plus tôt, j’étais invitée dans un festival d’improvisation électro, à Berlin. Et j’étais la seule femme. J’ai ensuite décortiqué mon carnet d’adresse pour contacter les musiciennes électro et improvisatrices que je connaissais, beaucoup d’Américaines. Que sont capables de faire les femmes quand elles ont un espace où elles peuvent travailler ensemble ? C’est ce que je brûlais de savoir ! »

Eliane Radigue, compagne de route

Après cette performance, reste à véritablement construire le projet, prendre date. « Le projet ou plutôt le concept », corrige Agee. Un concept et un réseau international de musiciennes d’esthétiques variées, toutes liées par la fibre électronique. Un forum libre de cosmopolitisme féminin, féministe. Et de la collaboration naît l’émulation, l’inattendu. Cela secoue les habitudes, « On sort de notre zone de confort et c’est tellement cool », sourit Agee. En 2005, Kaffee, Agee et Ryoko signent Before the Libretto, leur premier enregistrement toutes les trois, aux côtés de l’une des papesses de la composition expérimentale en France, Eliane Radigue. Les Lappetites forment ainsi, un temps, un quatuor. « Travailler avec Eliane nous a appris une approche totalement différente du son et du jeu », se souvient Agee. Kaffee, Ryoko et elle constituent aujourd’hui le cœur des Lappetites, parfois rejointes, le temps d’un live, par d’autres artistes féminines ; et la liste est longue.

Connexion, expérimentation, introspection

Musicalement, les trois ont leur style, leurs tropismes. « Nos approches ne sont pas du tout les mêmes, l’une est davantage versée dans le travail sur la spatialisation du son, l’autre sur une approche quasi-spectrale avec des mix numériques et vocaux, Ryoko travaille beaucoup avec synthétiseurs… » En 2009, les Lappetites signent un opéra détonnant, c’est Fathers, foisonnant tableau de recherche sonore et visuelle, en neuf scènes pour lequel les trois musiciennes mènent, en amont, des recherches sur la vie de leurs pères respectifs. Résultat : un OPNI. Objet opératique non identifié ? Composition numérique et performance live, audiovisuel (trois écrans sur scène), clin d’œil à l’opéra classique (avec un chœur dans la scène finale)… « Ce fut un projet colossal et l’occasion de creuser la notion d’identité, les réminiscences de l’enfance, raconte Agee. Aujourd’hui, convoquer sa vie dans la musique électronique est plus habituel : à l’époque pas du tout, c’était la techno, il fallait être cool, relativement détaché de l’intime. Nous allions à contre-courant. »

Trailer ” Fathers” – The Lappetites- from Blanca Regina & unpredictable on Vimeo.

Précieuse prise de risque

Le travail, en musique, sur l’identité et ses limites se poursuit en 2014, une résidence à l’EMS Stockholm aboutit à une autre performance audiovisuelle : Borderless. Un titre manifeste ! Là encore, la performance excède la musique : dessin, audiovisuel… « Nous travaillons ainsi, explique Agee : nous sommes invitées pour une résidence ou un concert, et là, nous enclenchons le processus de travail collectif. Nous travaillons rarement ensemble en dehors de ces événements précis. » Et qu’aiment-elles, précisément, dans le fait de travailler de concert ? « Nous prenons des risques, sans cesse, estime Agee. Before the Libretto, notre unique enregistrement, – pour le moment -, est totalement fou. » Citons, dans cet album, le réjouissant Avoiding Shopping (éviter le shopping) avec ses basses profondes et caoutchoutées qui contrastent avec les bourdonnements sonores, proches de la saturation. Ou le percutant Heimat (patrie, en allemand) et la psalmodie d’Agee, envoûtante, presque effrayante. « « Fathers » a là encore été une grande prise de risque, poursuit Agee. J’adore cela car dans la musique électronique, on parle vite d’expérimentation alors qu’il s’agit souvent de la répétition de formules qui marchent et qui plaisent déjà. » La dernière performance du trio a eu lieu à Berlin, lors du festival Héroïnes of sound, en 2019.

2022 : rendez-vous à Albi

Les retrouvailles et les performances des Lappetites sont ainsi des moments rares. Le trio est ainsi à l’affiche du festival riverrun, le 8 octobre, piloté par le GMEA d’Albi. Que concoctent-elles pour ces retrouvailles avec le public français ? Surprise ! « Je vais sans doute proposer quelques-uns de mes poèmes, peut-être une pièce d’Eliane [Radigue]… Je crois que nous sommes d’accord sur le fait que nous n’avons encore rien décidé, sourit Agee. » « Nous allons amener nos instruments, notre énergie et toutes nos idées… et nous allons jouer ! » conclut Kaffee. Une nouvelle fois avec les Lappetites, le champs (et chant) des possibles est grand ouvert…

The Lappetites, festival riverrun, 2022

Suzanne Gervais

Festival riverrun, concert le 8 octobre à 20h30 à l’Athanor, Albi

Photo © Michel Balague

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