Il n’a jamais été aussi aisé de partager sa musique qu’aujourd’hui ; à l’ère de Bandcamp, Soundcloud, Youtube, MixCloud toute personne désirant diffuser ce qu’elle crée ou joue peut le faire en deux clics (et une inscription). Avant internet, la chose était plus complexe.
Le fameux DIY (Do It Yourself) demandait quelques étapes supplémentaires : s’enregistrer soi-même ou faire enregistrer sa musique, la graver, la distribuer et faire sa communication comme on pouvait. Une vraie aventure que le mythique label Le Kiosque d’Orphée illustre parfaitement.
À la fin des années 50, un audiophile passionné du nom de Georges Batard fonde à Paris un petit label indépendant tant ouvert à tous les styles musicaux qu’aux musiciens amateurs désireux de voir gravé un concert, quelques chansons et diverses expérimentations sonores. Tout y passait : chanson folk française, chorales religieuses amateurs, jazz, beat, illustrations sonores, rock psyché, folklore provincial, progressif, souvenirs d’événements particuliers, punk, reggae, classique, contemporain, musique concrète etc.
Le Kiosque d’Orphée a durant plus de quarante ans dressé un panorama unique de la musique amateure française (mais aussi d’ailleurs). S’y côtoient – par exemple – un disque d’épinette des Vosges, un autre de l’orchestre et de la chorale des jeunes de la paroisse Saint-Claude de Besançon et un album jazz rock Algue, mélodie, mélodie – rock de Jean-Luc Hamonet (devenu culte). Aujourd’hui, bon nombre de ces disques font l’objet de rééditions dans différents labels contemporains adeptes des musiques cryptiques.
Voici 10 disques issus de cette magnifique caverne de l’underground.
Mar-Vista – Visions of Sodal Ye (1976)
Quand ces deux Lillois (Claude Cuvelier et Jean Skowron) ont sorti ce disque de rock-prog dans leur jeunesse ils ne se doutaient certainement pas qu’en 2014 il serait réédité chez Strawberry Rain, label canadien spécialisé dans les musiques rares et classé numéro un des rééditions. Entre Tangerine Dream et psyché à la française mâtiné de La Monte Young et Terry Riley, cet album fait partie des pépites du label.
Francisco Semprun & Michel Christodoulides – Mondes incantatoires et espaces carnivores (1970)
Ces deux musiciens improvisateurs ont passé une grande partie de leur vie à mettre en musique les chorégraphies et spectacles des mimes Pinok et Matho. Ils créent ainsi une musique rythmique et envoûtante qui rappelle certaines cérémonies et rites ancestraux. À deux ils jouent toutes sortes d’instruments et parviennent à installer une tension dramatique qui peut rappeler certaines musiques minimalistes (ou maximalistes) telles que Charlemagne Palestine ou Terry Riley.
Danielle – Véro je t’aime (1982)
Véro, c’est le nom du chien que Danielle tient dans ses bras. Et c’est le sien. Il est plutôt rare de trouver un disque dédié à son chien contenant d’aussi belles chansons avec des textes à la limite du kitsch – sans jamais y sombrer totalement. La voix de Danielle est douce, juste et touchante. Une fois la barrière de la pochette passée on découvre des mélodies qui restent en tête et bien arrangées. Mentions spéciales à Véro je t’aime et Le Petit Mozart.
Alain Meunier – Voyage aux fonds de la mer (1979)
Lui aussi réédité (Wah Wah Records) et devenu légendaire, ce disque d’Alain Meunier sent bon le regretté Klaus Schulze à la sauce Grand Bleu. On se laisse convaincre aisément par ces sonorités océaniques sincères. « Ce disque est dédié à tous les plongeurs subaquatiques, au club “Pagure” et à tous ceux qui se battent pour la protection de la Nature. » Quoi de mieux comme dédicace ?
Michel Deneuve – Le Cristal (1987) (cassette)
Cet instrument des frères Baschet continue encore de fasciner les musiciens. Utilisé par Pierre Henry, Toru Takemitsu ou Luc Ferrari, il est immédiatement reconnaissable par ses sonorités venues directement de l’espace. Michel Deneuve, ancien élève d’Alain Kremski en est un des plus grands maîtres et lui a consacré plusieurs œuvres et enregistrements. Voici un de ses premiers et des plus rares contenant plusieurs de ses compositions.
Olivier Greif – Sri Chinmoy’s Music Played On The Piano By Haridas Olivier Greif (1980) (cassette)
Voilà un enregistrement rarissime. Olivier Greif, le compositeur français disparu en 2000 a été le disciple d’un maître spirituel indien durant presque 10 ans. Cet ancien élève de Berio au parcours musical flamboyant se retire du monde, de ses amis et de la composition pour se mettre au service de ce gourou. Il transcrit, orchestre et dirige des chorales où les chants spirituels de son maître sont donnés en concerts devant des milliers de personnes. Carlos Santana et John McLaughlin feront partie également de l’aventure. Les dons d’improvisateur de Greif étaient proverbiaux ; l’entendre interpréter librement ces mélodies (comme De Hartman le fit pour Gurdjieff) rend tout mélomane greifien curieux…
Groupe Vocal Du Foyer D’Education Populaire De Villefranche De Rouergue – Larzac (1975)
« Il y a les pleurs des riches, il y a les pleurs des pauvres, il y a les pleurs qui n’ont connu que les salauds » Sur le Causse du Larzac depuis 1971 débute une guerre sans merci contre l’état français qui souhaite élargir un camp militaire. La conscience nationaliste des Aveyronnais se réveille et se révolte. Lanza del Vasto émerge dans toute cette lutte qui fait naître une conscience écologique à tout un pays. Quand un label prend position.
Didier Bocquet – Éclipse (1977)
Réédité en 2018 chez Caméléon Records, ce disque de french synth-cosmic est le premier d’un des pionniers du genre. Pour les amoureux de l’ambient expérimental en quête de raretés expérimentales. Didier Bocquet est désormais passé à autre chose mais ce coup de maître de sa jeunesse continue son sillon.
Madhya – Méditations sur le seuil (1987)
Ce disque a tout pour n’être qu’un sous produit de l’ambient (la pochette est tout un programme) et des musiques de relaxation pourtant à l’écoute, il y a une variété de timbres, d’harmonies et de mélodies qui en font un disque bien plus riche que notre a priori ne le laissait deviner. Au vibraphone, un inconnu au nom de Thierry Guinot (membre fondateur de Madhya) et au jeu subtil et fin. Du saxophone, de la flûte et un gong viennent seconder deux synthétiseurs pour 45 minutes de musique futuriste flirtant avec le spiritual jazz et une musique métaphysique pas si éloignée des fascinations rosicruciennes d’un Satie.
Claire et Pascal Genneret – La Polka Du Nucléaire (1980)
Certainement la couverture la plus incroyable de tout le Kiosque d’Orphée. Ce couple engagé prend musicalement position et s’insurge : « Avec le nucléaire on va tous crever, avec le nucléaire on va tous crever mais y aura de l’électricité ». Mais le tout en musique, accompagné par l’accordéon de Philippe Vézien et soutenu par le Mouvement Écologiste Briard et le Groupe Femmes de Troyes.
François Mardirossian
Pour aller plus loin dans ce label labyrinthique, la Playlist