Son interprétation de Immer, pièce solo pour violoncelle de Pascal Dusapin, en ouverture du festival Présences de Radio France*, nous avait beaucoup impressionnés. Sonia Wieder Atherton revient sur scène au côté de l’organiste Bernard Foccroulle dans un concert qui met à l’affiche trois créations mondiales en solo et en duo.
C’est l’orgue Grenzing dont la console trône sur la scène de l’Auditorium de la « Maison ronde » qui résonne d’abord sous les doigts experts de Bernard Foccroulle. Il a choisi d’interpréter deux tientos de l’Espagnol Correa de Arauxo (1584-1654), des pièces écrites à l’aube de la période baroque. Elles font briller l’instrumentiste à travers les variations de plus en plus alertes d’un thème de départ, laissant apprécier la variété des jeux d’anche de ce superbe instrument. Il est mis en valeur d’une toute autre manière dans Fantasia du britannique Jonathan Harvey (décédé en 2012) dont l’écriture exploratoire fait éclater l’espace, accordant peu de repères d’écoute à l’auditeur un brin désarçonné.
Rien de tel avec Invece (« au contraire de »), une des pièces solo pour violoncelle de Pascal Dusapin, le « héros » de cette 31ème édition de Présences, présentée du 2 au 7 février, dont dix-neuf pièces sont au programme. Interprète privilégiée du compositeur qu’elle connait de longue date, Sonia Wieder-Atherton nous saisit une fois encore dans Invece, une pièce sollicitant l’énergie d’un geste qui ressasse, creuse, façonne le son – on pense à Giacinto Scelsi – dans une quête tendue et obsessionnelle dont la violoncelliste communique l’urgence.
Pascal Dusapin a longtemps hésité à écrire pour orgue, « l’instrument de l’échec » comme il aime à le dire, qu’il découvre à l’adolescence et tiendra longtemps à l’écart du champ compositionnel. En 2008, Memory répond à la demande pressante de Bernard Foccroulle. Bien sonnante et originale, l’œuvre est un hommage à Ray Manzarek, pianiste des Doors, le groupe de rock mythique des années 60, où chacune des « voix », (trois au total) fait à tour de rôle son solo, pédalier compris, sur le modèle du rhythm’n’blues.
L’investigation est plus gourmande et aventureuse dans T Rex au titre énigmatique de la compositrice serbe Anna Sokoloviċ qui, elle aussi, aborde l’orgue pour la première fois : séquences contrastées, rythmes vigoureux et figures hautes en couleurs sont superbement restitués par Bernard Foccroulle qui semble avoir bien en mains cet instrument d’une richesse incomparable.
C’est un duo pour orgue et violoncelle qui a été commandé à notre doyenne Betsy Jolas dont deux créations mondiales étaient à l’affiche de Présences : le titre, Musique d’autres jours, fait écho à Musique de jour, une pièce pour orgue solo déjà écrite pour Bernard Foccroulle en 1976. De manière très théâtrale, la compositrice imagine une causerie à deux, avec aller-retour d’un interlocuteur à l’autre, dans des registres qui se confondent et une écoute mutuelle. L’écriture est élégante et féline, que l’on suit pas à pas dans ses tours et détours facétieux.
Organiste et compositeur, Bernard Foccroulle, qui fut, rappelons-le directeur de grandes institutions telles que La Monnaie de Bruxelles et le Festival d’Aix-en-Provence, associe lui aussi l’orgue et le violoncelle dans Elegy for Trisha, en hommage à la grande chorégraphe états-unienne Trisha Brown décédée en 2017 : musique de gestes liant les deux instances sonores dans une énergie commune et une complémentarité sonore. La trajectoire un rien sinueuse semble tisser une trame narrative émaillée de passages virtuoses et de trouvailles sonores. Une belle complicité s’instaure entre nos deux interprètes, preuve que l’orgue, voué aux grandes tonitruances, peut aussi prétendre à plus d’intimité.
Pour le plaisir des oreilles et des yeux, Immer, Sonia Wieder-Atherton, pièce pour violoncelle solo de Pascal Dusapin,
Michèle Tosi