Rendez-vous incontournable du spectacle vivant, le festival Musique Action de Vandœuvre-lès-Nancy (du 23 au 28 mai) qui a lancé sa 38ᵉ édition continue à nous surprendre, par la diversité de ses propositions et l’originalité d’un plateau où se croisent et dialoguent toutes les formes d’expression.
C’est à partir des oscillateurs, ces « machines » à fréquences qu’a utilisées György Ligeti dans sa pièce Artikulation en 1958 (dans le studio de Cologne où l’avait accueilli Stockhausen) que le compositeur Hervé Birolini conçoit Hidden Artikulation, un spectacle audiovisuel balançant entre révélation et dissimulation. Les quatre musiciens, ceux de l’ensemble L’Archipel Nocturne, jouent en effet derrière un mur, structure de métal conçue par le compositeur. Ils sont cachés lorsqu’ils manipulent les oscillateurs, mettant le public dans une situation d’écoute « acousmatique ». Le terme fait référence à Pythagore qui donnait ses cours derrière un rideau pour ne pas troubler l’écoute de ses étudiants! Dans le mystère et l’opacité du décor, apparaît uniquement le contour des machines et s’entendent les fréquences très pures, sorties de ces petites boîtes confiées aux interprètes invisibles.
L’onde et ses oscillations, comme fil rouge du spectacle, se dessinent également sur le mur, surface où l’artiste visuel et sonore Mathieu Chamagne réalise un travail très fin avec les lumières et la vidéo, variant les représentations et provoquant des trompe-l’œil.
Instruments en main (saxophone, contrebasse, guitare électrique et percussions), les interprètes sont cette fois en pleine lumière pour faire naître un paysage sonore aux trames colorées où s’inscrivent des figures et autres morphologies, brèves ou étendues, bruiteuses ou lisses, sollicitant l’amplification et la spatialisation : une proposition sonore au temps parfois suspendu où l’image prend le relais du mouvement dans une fluidité et une articulation substiles ; l’œil écoute dans ce spectacle articulant avec subtilité musique visuelle et image auditive.
« Bonsoir, je suis David Bowie, le producteur de Lou Reed » ; c’est ainsi que Fanny de Chaillé, au côté de sa partenaire et contrebassiste Sarah Murcia, salue le public et donne le ton du spectacle. Transformé est une performance plutôt corrosive de nos deux complices qui revisitent, bousculent et se réapproprient les chansons du deuxième album de Lou Reed (1972) : entre dérision (« c’est l’histoire d’un mec »), contrefaçon, humour (l’entretien avec la journaliste) et poésie, les deux femmes posent leur regard critique sur le monde, la société des hommes et le show-biz en travaillant avec le texte (Fanny de Chaillé) et la contrebasse (Sarah Murcia). L’instrument muni d’un « looper » amorce les figures d’accompagnement (un rythme, un grain, une couleur) qui se mettent à tourner et nous remémorent les titres de l’album. Sarah Murcia en chante certains, avec un charme fou – la voix est flexible et séduisante – et en détourne d’autres, au gré de l’inspiration. Elle joue également de sa contrebasse en solo, dévoilant une sonorité ample autant que chaleureuse. Solidaire toujours, pour donner de la voix dans les refrains ou tenter un petit accompagnant, Fanny de Chaillé fait son théâtre, parfois au vitriol, et déclenche le rire, avec un à propos et une gouaille inimitables.
En dehors des concerts du soir, tournent en permanence plusieurs installations dans les salles adjacentes du CCAM (Centre Culturel André Malraux) de Vandœuvre-lès-Nancy. L’une d’elle, Volumes, imaginée par le visionnaire Mathieu Chamagne, se visite avec un équipement spécifique : casque et lunettes 3D sont nécessaires pour investir l’espace virtuel autant que vertigineux où le public est invité à se déplacer. On y rencontre des objets sonores interactifs qui réagissent au geste et permettent à chacun de sculpter son matériau. Mouvement, couleurs et formes surprenantes balisent cette promenade aventureuse conçue à partir de dispositifs numériques sophistiqués.
L’installation audiovisuelle, Phase, du bassiste David Merlo ne l’est pas moins ; au centre de l’espace, cerné par différents points lumineux, est posée sa guitare basse, apparemment inerte (on ne voit pas les cordes vibrées). Pour autant, ce sont elles qui réagissent aux impulsions électriques (phénomène de feedback entre les haut-parleurs et les micros de la basse) et entretiennent, à la faveur d’un processus génératif piloté par une application numérique, un renouvellement perpétuel des formes sonores et visuelles. L’installation devient performance lorsque David Merlo s’empare de sa basse pour nous faire vivre cette expérience hypnotique et immersive à travers son geste d’instrumentiste.
Loops, feedback et nostalgie… trois formes de boucles qui traversent ces deux journées de festival offrant, à travers les thématiques variées, des allers-retours entre technologie d’avant-garde et regards sur le passé. Mais le festival continue… à lire la suite des manifestations dans la chronique prochaine de David Sanson sur Hémisphère son, partenaire de Musique Action.
Michèle Tosi