Keiko Murakami : « Nous avions envie de bâtir des collaborations plus profondes, plus vivantes, entre ceux qui écrivent la musique et ceux qui la jouent »
Flûte, piano et saxophone. Cet effectif peu banal est celui de l’ensemble L’Imaginaire, créé en 2009 par des élèves du conservatoire de Strasbourg, décidément terreau fertile en matière de projets musicaux dédiés à la création ! Rencontre avec Keiko Murakami, flûtiste, qui nous parle de cet ensemble au nom aussi poétique que militant.
Choisir un nom est souvent toute une affaire pour un jeune ensemble. Pourquoi « L’Imaginaire » ?
Ce terme a une dimension aussi collective qu’individuelle. L’imagination est une force créatrice très puissante, qui assemble les idées les plus éparses, fragmentées, intimes, jusqu’à ce que cela prenne la forme d’une œuvre collective. En ce qui nous concerne, d’une œuvre musicale. C’est un processus précieux, que nous défendons. J’aime beaucoup la citation de Gaston Bachelard : « L’Imaginaire est dans le psychisme humain l’expérience même de l’ouverture, l’expérience même de la nouveauté. » C’est précisément, je crois, à cela que sert un ensemble comme le nôtre, qui défend les nouvelles musiques, les musiques contemporaines. Cet appétit pour la nouveauté, cette curiosité, fait partie intégrante de l’expérience humaine. C’est d’ailleurs souvent ce qui en fait le sel. En tant qu’ensemble musical, nous présentons des possibilités de vivre cette expérience de la nouveauté, et de créer un terrain de partage. Après notre concert anniversaire pour fêter les 10 ans de l’ensemble, en 2019, nous avons distribué des graines de fleurs. Un petit geste symbolique, mais qui en dit long : le concert ne s’arrête pas à la fin du spectacle, il y a un sillage, un écho de cette expérience.
Flûte, piano et saxophone : pourquoi avoir choisi ces trois instruments ?
Lorsque nous avons créé L’Imaginaire, en 2009, nous avions également, avec nous, un percussionniste. A l’époque – et c’est toujours d’actualité ! – nous rêvions d’un espace qui soit un laboratoire, où l’on s’autoriserait, interprètes et compositeurs, à prendre le temps. Un petit luxe… Le système économique de la musique contemporaine fonctionne essentiellement selon la logique suivante : le compositeur reçoit une commande, l’ensemble reçoit la partition, on donne le concert. Nous avions envie et besoin de bâtir des collaborations plus profondes, plus vivantes, entre ceux qui écrivent la musique et ceux qui la jouent. Il a fallu créer tout un répertoire pour notre effectif et donc solliciter les compositrices et compositeurs. Aujourd’hui, nous avons un catalogue d’environ 80 œuvres. L’année anniversaire a été très riche avec plus de 23 commandes ! Une belle moisson de pièces nouvelles…
Quelle est votre démarche avec les compositeurs et compositrices ?
L’idée, encore une fois, n’est pas de recevoir la partition une fois qu’elle est terminée, bien au contraire ! On rencontre le compositeur très tôt dans le processus d’écriture, avant même qu’il ait écrit une seule note. On teste des idées ensemble, on montre, nous instrumentistes, des sons ou des idées qui nous plaisent… C’est trop rare pour les créateurs d’avoir l’occasion de tester leurs idées comme ça, avec les musiciens. C’est précieux pour eux et, pour nous, c’est de la musique quasiment sur-mesure et cela nous force à tester de nouvelles choses, sans cesse, sur nos instruments qu’on pourrait, à force, connaître par cœur. L’interprétation est différente, plus engagée, quand les musiciens ont participé à l’élaboration de l’œuvre. Nous organisons donc plusieurs workshops et ateliers dans l’année.
Quelle est, selon vous, la meilleure manière de faire découvrir les musiques d’aujourd’hui au public ?
C’est une chance d’être basé à Strasbourg. C’est extrêmement stimulant : le public est en attente ! Entre deux éditions du festival Musica, plein d’ensembles ont leur saison, montent des projets communs… On dialogue, on collabore avec les autres ensembles : ce type de démarche, c’est le futur, l’avenir de la profession.
Notre mission – et pas des moindres -, est de casser le cliché d’une musique contemporaine austère. Il faut aller vers les gens au lieu d’attendre qu’ils viennent à nous. Avoir une saison dans une ville est très précieux car, dans la tête des gens, on est associé à un lieu. Il faut créer un lieu de partage, avec une ambiance conviviale autour du concert. Tout ceci est loin d’être anecdotique. On fait par exemple des concerts en matinée, à 11h, suivi d’un apéritif avec une association de quartier : il ne faut pas hésiter à solliciter les acteurs locaux, mettre leur savoir-faire en valeur… Ce réseau est comme une sorte de communauté ouverte, qui grandit. On n’hésite jamais non plus à parler pendant le concert ; les compositeurs présentent leurs œuvres. On ne cache pas notre laboratoire, au contraire : on l’ouvre ! On montre les processus de création, car c’est aussi ça les musiques d’aujourd’hui. Il faut aussi veiller à créer, en parallèle, une grande qualité de concentration et d’écoute.
Pour conclure cet entretien : Il y a plus d’eau que prévu, sur France Musique, une création de Patricia Alessandrini interprétée à la flûte par Keiko Murakami, compositrice et ancienne étudiante du conservatoire de Strasbourg :
Propos recueillis par Suzanne Gervais
La playlist de Keiko Murakami