Les Percussions de Strasbourg : un nouveau souffle pour les pionniers
Minh Tam Nguyen, soliste au sein des Percussions de Strasbourg depuis 2013, a pris la tête, il y a tout juste deux ans, de l’ensemble fondé par Jean Batigne en 1962. Rencontre.
Quel est votre attachement à Strasbourg ?
Essentiel. Nous sommes basés dans le quartier de Hautepierre, à Strasbourg. C’est un super quartier, très populaire avec 35 nationalités différentes. Nous avons initié des ateliers de percussions, les « Percustra », qui sont gratuits. Chaque année, 15 ateliers accueillent des classes de collège et de primaire et deux autres sont ouverts à tous. Depuis trois ans, nos élèves se produisent à Musica, en septembre. C’est dingue de voir comme ces ateliers ont rajeuni notre public. Nous continuons, plus que jamais, à faire vivre la musique d’aujourd’hui.
Attention, il ne faut pas se contenter de faire des créations, il faut faire entrer ces œuvres au répertoire en les rejouant. Avec un catalogue de 350 pièces, une bonne partie de la musique que nous défendons depuis 60 ans est désormais bien ancrée dans le répertoire et ça, c’est une immense satisfaction. Je veux aussi continuer de mettre l’accent sur la transmission, surtout maintenant que je n’enseigne plus au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon. On est en train de signer une convention avec la Haute école des arts du Rhin. On accueille souvent les étudiants de percussions et de composition. Cela nous permet de rencontrer les jeunes compositeurs, de voir comment ils travaillent. Je présente le projet dans la classe de Daniel d’Adamo. Nous proposons à ces étudiants de venir participer à nos ateliers « Percustra ». Ce sont des sessions de composition collective : c’est souvent pour eux une nouvelle manière de composer, il faut s’adapter à des gens qui sont amateurs, qui ne savent pas jouer.
Comment se portent les Percussions de Strasbourg ?
La crise du Covid-19 a mis un coup d’arrêt brutal à nos projets, comme pour tous les ensembles, mais Les Percussions de portent bien. Nous montons une grosse production par an et nous avons plusieurs projets d’enregistrement. La saison passée, nous avons enregistré Ghostland de Pierre Jodlowski.
Un disque – et un vinyle – ont permis de graver cette belle production. Cette effervescence est salutaire, surtout quand je repense à mon arrivée au sein des Percussions, il y a sept ans : à cette époque, nous n’avions que dix dates par an et on nous demandait quand nous allions mettre la clé sous la porte. Aujourd’hui, hors crise sanitaire, nous donnons entre 45 et 55 concerts dans l’année.
Quel est le secret de cette renaissance ?
Historiquement, l’ensemble est composé de six percussionnistes. Mais pour pouvoir vendre plus de concerts, on a décidé de tourner à deux, trois, cinq… Nous avons modifié notre politique de commande en conséquence… Une autre raison de ce sursaut, c’est aussi le rajeunissement de l’ensemble. Il y a eu pas mal de jeunes recrues très motivées. Nous avons aussi rattrapé notre retard sur la musique électronique et nous avons travaillé notre présence sur scène. Le musicien ne doit plus être caché derrière son instrument. Le travail avec les acteurs et les danseurs commence à entrer dans les habitudes des conservatoires : il était temps ! Et puis, pour exister, un ensemble doit prendre des risques. Mais pour faire preuve d’audace artistique, il faut être soutenu financièrement.
Quels sont vos liens avec les ensembles strasbourgeois spécialisés dans les musiques contemporaines ?
On se voit. L’esprit est plus à l’émulation qu’à la concurrence, même si l’argent public est rare. On essaie toujours de voir comment on peut fonctionner ensemble pour imaginer une saison collective, fonctionner ensemble sans se marcher dessus.
Tenez, dans les concerts que l’on donne à Hautepierre on a invité l’ensemble « Voix de Stras’ » dirigée par Catherine Bolzinger; en mars, nous devions faire un concert avec l’ensemble Hanatsu Miroir pour leur dixième anniversaire. C’est une affaire de rencontres. Il y a des ensembles que je connais peu, que je croise, avec qui nous n’avons jamais travaillé. Mais j’aimerais ouvrir davantage les champs esthétiques : on a joué avec les chapeaux noirs, ensemble de jazz de la région. J’aimerais travailler avec un rappeur, un DJ, et pas forcément création contemporaine…
Ecoutez Timelessness – Thierry de Mey sur Arte Concert : https://www.arte.tv/fr/videos/101276-002-A/les-percussions-de-strasbourg-timelessness/
Propos recueillis par Suzanne Gervais.