Cabaret Contemporain, Festival Marathon, Ensemble Links, bientôt la Salle Rameau à Lyon ou comment repenser le concert aujourd’hui.
Soucieux des enjeux culturels de notre époque, Laurent Jacquier est un battant qui s’est donné une mission, celle d’amener le public, tous les publics, à la musique de notre temps. Pour ce faire, il fonde en 2009 le Cabaret contemporain avec l’objectif de diffuser la musique d’aujourd’hui dans des lieux où elle n’a pas l’habitude d’être entendue. C’est une première étape qui l’amène, en 2012, à réfléchir plus en profondeur sur les contenus pour toucher un public jeune avec une musique qui soit capable de le surprendre sans le rebuter.
Le Cabaret contemporain est un concept qui a évolué avec les années. Comment se définit-il aujourd’hui ?
Mon désir premier était de sortir la musique dite contemporaine de ses salles habituelles, en organisant des concerts dans des lieux plus conviviaux, comme le Studio de l’Ermitage, où l’on pouvait boire un verre en écoutant par exemple l’ensemble Intercontemporain jouer son répertoire. J’étais satisfait sur la forme mais pas sur le fond. Le public s’est déplacé, s’est diversifié, certes, mais ne s’est pas véritablement renouvelé ni surtout rajeuni. Il fallait pour cela que je me penche sur la question des contenus, en regardant vers des musiques et des pratiques plus transversales qui fassent le lien avec ce que les jeunes écoutent aujourd’hui.
En 2012, le Cabaret contemporain prend alors une autre tournure et tu esquisses les plans de ce qui deviendra en 2014 ton festival Marathon.
Je me lance en effet dans une aventure plus audacieuse et une programmation qui me fait prendre des distances avec le monde de la musique écrite dite savante. Le Cabaret contemporain devient un collectif comptant cinq musiciens, compositeurs interprètes et improvisateurs (piano, synthétiseur, guitares, batterie, contrebasse), un ingénieur du son et un producteur. L’idée est de jouer avec des instruments préparés une musique qui rejoigne les sonorités de l’univers électronique dans des lieux très divers allant de la Cité de la musique à la boite de nuit (Machine du Moulin rouge). On a monté des programmes autour de compositeurs comme John Cage, Terry Riley, Moondog, autant de figures atypiques et marginales des XXème et XXIème siècles dont l’univers sonore ouvre de larges horizons artistiques et laisse un espace à l’improvisation. Nous avons une trentaine de dates par an, plusieurs CD sont sortis et nous bénéficions régulièrement de résidences (Centquatre, Théâtre de la Cité Internationale ….), qui nous permettent d’avancer dans l’élaboration de projets originaux.
Et c’est en 2014 la première édition du Festival Marathon !
Marathon est un défi que je me suis lancé… Je voulais implanter ce festival, dans un lieu fréquenté par la jeunesse. Avec sa jauge de huit cents personnes, la Gaîté lyrique, dévouée aux musiques expérimentales, s’est avérée l’espace idéal. Je peux ainsi miser sur la présence des têtes d’affiche du monde électro-pop et programmer dans la même soirée des musiques qu’un public plus jeune n’a pas l’habitude d’entendre et qu’il va plus facilement découvrir dans ce contexte. C’est ma manière d’opérer une mutation de l’intérieur, une aventure qui s’avère être une réussite dans la mesure où le public est au rendez-vous, chaque mois de décembre et depuis sept ans déjà. J’aime prendre ce genre de risques avec les jeunes et les surprendre en leur proposant des choses qu’ils ne connaissent pas. J’ai crée en 2014 ma structure de production Amarillo, qui assure ainsi la production déléguée du Festival Marathon !, de l’équipe artistique Cabaret Contemporain et enfin des projets musiques répétitives.
Avec le Cabaret contemporain et le festival Marathon, le projet Links est une troisième corde à ton arc, un compagnonnage au long cours avec Rémi Durupt et les musiques répétitives.
Je collabore avec Rémi Durupt de l’Ensemble Links depuis maintenant dix ans, et cela a débouché notamment sur deux spectacles : Music for 18 Musicians de Steve Reich joué par l’Ensemble Links et les danseurs de la Cie Sylvain Groud, qui entraînent des amateurs et le reste du public à danser sur la pièce de Reich. Et un projet autour de Drumming de Steve Reich, où les musiciens jouent au milieu du public, lequel peut circuler entre les différents instruments (que nous avons donné à entendre au 104 à Paris, mais également pour mon Festival Marathon ! à la Gaîté Lyrique). J’ai lancé pour la saison 20/21 un nouveau projet autour de Music for Airports de Brian Eno pour un public couché.
Tu viens d’accéder à un nouveau poste qui te fait quitter la capitale…
Outre le fait que je souhaitais implanter ma famille en province et initier une version Rhône-Alpine du Festival Marathon !, Scintillo, qui est chargé de piloter le projet, m’a proposé de m’occuper de la programmation de la Salle Rameau à Lyon, salle municipale qui ne touchera aucune subvention publique, et qui sera financée par la Compagnie de Phalsbourg. C’est une salle de spectacle qui comprend trois niveaux (orchestre, 1er et 2e balcons), dont la capacité est de 700 places. L’idée est de construire une programmation tissant les ponts entre musique actuelle et musiques répétitives et même musique classique, autour d’une résidence de l’Orchestre de Chambre de Lyon. La Salle Rameau devait ouvrir en octobre 2021, mais son ouverture devrait être repoussée au vu du contexte sanitaire.
Comment envisages-tu l’avenir, au lendemain de la crise sanitaire qui bouleverse en ce moment la vie culturelle ?
On va se retrouver face à des problématiques qui préexistaient mais que la crise sanitaire à renforcer. Il est grand temps de changer de modèle économique afin de ne plus seulement compter sur les subventions. Je travaille actuellement à la construction d’une version plus large du Festival Marathon !, qui permette d’accueillir une jauge plus grande de publics, et d’avoir un budget plus équilibré, dépendant moins des subventions d’une part, et qui dégage plus de recettes propres d’autre part (billetterie, recettes des bars …).
Propos recueillis par Michèle Tosi
La playlist :