Lors de son concert parisien intitulé “INTERLIGHT – DEATH OF LIGHT” le samedi 27 novembre à l’Auditorium de la Cité internationale des Arts de Paris, “Regards”, créé par six compositeurs (*) en 2013, atteste d’un travail de fond pour le répertoire historique et la création musicale, allié à un dynamisme remarquable.
Il est des soirs où l’on se rend content à un concert, mais sans aucune passion particulière, seulement mu par la curiosité envers un programme, ou bien la sollicitation d’un ami qui nous annonce y aller. Et puis l’intérêt bascule tout de suite, dès le début, grâce à la substance même de la soirée, parce que les musiciens, – compositeurs comme interprètes, sont bien là, incarnés et sensibles. Telle fût la soirée de samedi, en ce qu’elle a tracé : la trajectoire vivifiante d’un programme très varié.
Ce concert faisait partie de la Quinzaine Culturelle du Pérou en France – Quipu 2021 (**), et il faut rendre hommage à ces initiatives ambitieuses qui permettent d’écouter des œuvres venues de loin.
(Telle que Sonomundo, une nouvelle association culturelle entre France et Pérou décrite par de Michèle Tosi – NDLR)
Ainsi le compositeur Fernando Valcárcel – également chef d’orchestre et Directeur de l’Orchestre National du Pérou- dirige-t-il lui-même en première mondiale, pour conclure la soirée, son Trueno pour chant et ensemble sur lequel Maya Villanueva assure avec finesse le fil conducteur vocal. La pièce présente un intéressant syncrétisme sonore, issu visiblement à la fois de ses racines sud-américaines et nourri de sa grande connaissance de la musique française : à l’instar d’un Villa-Lobos ou d’un Ginastera, et après Debussy, il compose une partition où ces langages pluriels sont non pas confrontés, mais fondus dans un ‘melting pot’ tout à fait personnel. Inconsciemment peut-être, il illustre la « (…) tentative pour découvrir dans ses formes, dans ses couleurs, dans sa lumière, dans ses ombres, dans les aspects de la matière et les faits de la vie même, ce qui leur est fondamental, ce qui est durable et essentiel(…) » qu’évoque Joseph Conrad(***).
Le concert s’était ouvert par une simple mélodie pour alto, Chant, du compositeur anglais Jonathan Harvey, interprétée par Elodie Gaudet avec une humilité tout à fait en adéquation avec l’œuvre.
Sylvain Devaux nous présente ensuite le fin babillage de la Sequenza de Berio pour hautbois avec une désarmante facilité, et une évidence dans l’articulation qui offre à l’œuvre ductilité et fraîcheur italienne, ajoutant un caractère ludique qui côtoie son infinie modernité : impossible de réaliser qu’il s’agit ici d’une prestation au pied levé (remplaçant la Sequenza pour violoncelle prévue) tant le musicien paraît à l’aise pour éclairer cette œuvre si virtuose.
Dans les Trois commencements pour Trio à cordes de Vincent Trollet, en première audition également, qui suivent – ils mériteraient évidemment d’être réécoutés maintes fois avant d’en parler – la richesse de l’écriture déborde à bien des instants : la prédilection pour la voix et la grande culture du compositeur transparaissent fréquemment dans une construction qui n’hésite pas à faire alterner complexité et simplicité. La forme adoptée ne nous paraît pas claire – ni totalement fidèle au titre !- , ce qui est l’apanage d’une composition nouvelle : comme le revendique Proust pour chaque création, …nous faire percevoir ce que nous n’avions jamais perçu auparavant… Il s’agit bien d’une composition ambitieuse, jouée avec une clarté homogène par Pauline Klaus (violon), E Gaudet (alto) et Myrtille Hetzel (violoncelle) – remplaçant avec aisance Marie Ythier souffrante – malgré les difficultés qui hérissent chaque partie.
Enfin, face à l’amnésie qui en toute matière nous guette, l’Ensemble Regards n’hésite pas à remettre en lumière un compositeur important disparu voici dix ans : Jonathan Harvey.
Inutile de cacher ici le scepticisme qui nous avait étreint de prime abord en lisant que Death of light/ Light of death d’Harvey durait 25’… En réalité, la finesse du travail en répétition est ici immédiatement manifeste, mené par Juan Arroyo, compositeur imaginatif qu’on découvre ce soir-là également chef, clair et expressif : cette finesse construit l’œuvre, et l’écoute y gagne en contemplation. La composition en 5 mouvements contrastés, intelligemment enchaînés ici, parait ainsi presque brève, et donc son choix adéquat. Les équilibres instrumentaux sont toujours réalisés : le cor anglais réussit dans le troisième mouvement à se fondre avec les cordes, ce qui n’est jamais aisé ; Constance Luzatti joue d’entrée avec une présence impressionnante, tour à tour de finesse ou d’énergie, et place sa harpe en constant dialogue équilibré avec ses partenaires.
Harvey possède bien une « Stimmung » qui lui est particulière, et si le drame tendu évoquant le Retable d’Issenheim de Grünewald perceptible dès le début de la première pièce nous le rend identifiable en lui-même, il s’exprime davantage encore à maintes moments, et par l’apaisement progressif qui va suivre, ponctué par les coups de tam allant s’évanouissant.
Conrad encore : « (…) le pouvoir subtil et irrésistible confère aux évènements éphémères leur véritable sens et créé l’atmosphère morale et émotionnelle du lieu et du temps ». Citation qui pourrait aussi bien s’appliquer à Harvey, qu’à l’ensemble du programme !
Ainsi l’ensemble Regards s’affirme-t-il comme un acteur important de la création musicale et de la (re)découverte d’aujourd’hui, qu’il faudra suivre avec la même affection que ces musiciens totalement engagés dans leurs projets. Projets originaux qui ne doublent nullement les autres, qu’ils viennent du Pérou ou d’ailleurs, mais tracent ce soir en nous des ponts vers les lumineux mondes lointains de Harvey et de la création sud-américaine.
S. Onimo