La musique hors les murs

Interviews 31.05.2023

Faut-il réinventer la forme du concert ? Est-il nécessaire d’explorer de nouveaux rapports entre artistes et public ? Et si oui, comment ? Et pourquoi ? Cinq programmateurs et programmatrices, venus d’univers et de pays différents, débattent autour de cette question qui anime, encore et toujours, la scène musicale.

Autour de cette table ronde, nous retrouvons :
Marie Jeanson et Denis Schuler, qui co-dirigent Archipel à Genève, un festival créé en 1992, dédié aux musiques de recherche et à la création sonore.
Michaël Dian, directeur artistique du Festival et de l’Espace Culturel de Chaillol, fondé en 1997 dans les Hautes-Alpes, dont la programmation entre musiques classique, jazz, contemporaine, traditionnelles, improvisées ou écrites, investit au fil de l’année de nombreux lieux, villages et sites naturels d’un territoire rural.
Frédéric Mazelly, directeur de la programmation de La Villette à Paris, un établissement public et pluridisciplinaire, dans lequel se croisent musique, danse, théâtre, arts plastiques, exposition patrimoniale, ateliers, etc.
– Enfin, dans un registre très différent, Kalas Liebfried, un artiste et curator indépendant basé à Munich, dont les œuvres, les performances et les programmations se situent au croisement des arts sonores, de la musique et du monde de l’art. Il est l’un des membres de l’association artistique Rosa Stern Space e.V. à Münich, le fondateur depuis 2022 de la plateforme interactive “Fragments of Sonic Extinction” qui se décline aussi depuis mai 2023 sous la forme d’un festival au Centre Zirka, toujours à Münich.

Le dispositif, le rapport frontal de l’artiste face au public, dans un théâtre à l’italienne, vous semble-t-il suffisant ? À revoir ? Ou démodé ?
D. Schuler (Festival Archipel) : C’est une question qui nous touche car elle est au cœur-même de notre festival. La question du dispositif et de l’expérience du public sont primordiales. Lorsque le public est immergé, lorsqu’il se trouve encerclé par les musiciens, ou vice-versa, lorsque le public peut se déplacer, être allongé, dormir éventuellement, c’est à chaque fois en soi une expérience enrichissante car elle est potentiellement nouvelle. Par ailleurs, le public va se mettre dans une condition d’écoute spécifique. Au fond, dans ce type de concerts, tout le monde s’y met ! Le public participe, il est aussi acteur de cette création.
M. Jeanson (Festival Archipel) : Il faut aussi naturellement penser à la position de l’écoutant, c’est vraiment fondamental dans nos projets, ça peut paraître évident mais ça ne l’est pas pour beaucoup. Nous faisons un festival pour le public, sans pour autant le caresser dans le sens du poil du point de vue de la programmation. Il s’agit en premier lieu de vivre une expérience collective.
M. Dian (Festival Chaillol) : Selon moi, le dispositif frontal n’est ni obsolète, ni à remplacer. Je ne crois pas qu’il faille tourner le dos à deux siècles de diffusion dans un format classique, où les artistes sont sur scène dans la lumière, et le public dans la pénombre, dans une écoute silencieuse. Ce sont des moments privilégiés, auxquels je tiens énormément, et le public aussi. La question importante à se poser, c’est de savoir quelle est la qualité de relation entre artistes et habitants ? Je dirais que ce dispositif doit être complété par des espaces d’interaction entre les artistes et les habitants, des gens qui, à un moment donné, se choisissent comme public. Ce point de passage est très important. Le « Public » n’existe pas en soi. Il y a des gens, habitant un territoire, qui à un moment, ayant repéré une proposition, se trouvent en capacité de franchir le seuil d’une salle ou d’un lieu de spectacle.
K. Liebfried (artiste-curateur) : Dans une ère où l’éclectisme est de mise, il n’y a pas vraiment de forme dépassée, mais il est évident que l’on ne peut réduire sa pensée, sa réflexion, à ce seul rapport frontal entre le public et les artistes. Qu’en est-il des pièces sans public ? Ou lorsque le public constitue l’œuvre elle-même ? Plutôt que la frontalité, peut-être devrions-nous plutôt réfléchir à mettre en place une sorte de terrain de jeu, offrant une forme d’égalité, et de multiples perspectives… Je m’interroge toujours sur les médiums appropriés à un certain concept ou à une certaine narration : le support définit les relations entre les différentes composantes et les tensions qui les animent. Le fait de maintenir ces tensions actives et formatrices, de maintenir ces perspectives ouvertes, permet de créer un champ de responsabilité commun dans lequel les artistes, les interprètes, le public, les objets, et même l’architecture environnante, résonnent et se conjuguent.
M. Jeanson (Festival Archipel) : Dès le début des années 2000, nous avons engagé des scénographes. L’œuvre pour laquelle nous avons fait le plus de recherches et d’efforts, c’était un quatuor de Morton Feldman, d’une durée de cinq heures. On s’était aperçus que le plancher grinçait, on avait réalisé qu’il fallait que les gens puissent sortir sans déranger tout le monde et on a donc engagé quelqu’un qui a créé une scénographie spécifique, avec une estrade, de la moquette partout, des coussins, des transats et des chaises, et une sorte de ligne en moquette pour que le public puisse sortir sans faire de bruit. C’était l’une des premières fois où cela avait été mis en œuvre chez nous, et à partir de là, tous les concerts ont commencé à être pensés de cette manière.

D. Schuler (Festival Archipel) :  On a fait plein de concerts intimistes, comme en  2021 avec Gwen Rouger et sa caravane pour une personne à la fois, des promenades auditives… C’est notre ADN. Parmi mon expérience plus personnelle, je pourrais citer mon travail avec l’Ensemble Vide, qui est une structure basée à Genève qui imagine des projets avec des invités pour des projets spécifiques. Il n’existe donc pas un ensemble structuré de musiciens, à la base de ce projet. Nous organisons depuis dix ans des concerts dans des bâtiments industriels qui ont la particularité d’avoir des coursives sur cinq étages et une cour intérieure de 500m2. L’idée est de dire au public, vous pouvez prendre une chaise si vous le souhaitez, vous asseoir quelque part, mais vous pouvez aussi vous balader pendant le concert à travers les étages, se déplacer verticalement ou horizontalement, et percevoir donc de grandes différences dans l’écoute. Les gens qui se promènent de la sorte créent une balade sonore, tout à fait individuelle et créative, dont la perception est sans cesse modifiée.

Echo from Association Ensemble Vide on Vimeo.

K. Liebfried (artiste-curateur) : De manière générale, je trouve intéressant que les œuvres puissent  s’adapter, rester fluides et créer une sorte de dialogue avec son cadre et son environnement. Les pièces se dotent ainsi d’une dimension interactive, sculpturale, spatiale, utilisent des dispositifs atypiques et font tomber les murs – c’est tout à fait pertinent si on a de bonnes raisons de le faire. Lorsque l’on assiste à un concert de Sunn o))) par exemple, lorsque l’on fait face aux véritables murs sonores créés par le groupe, vous pouvez déjà sentir qu’il se trame quelque chose au-delà de l’écoute. Et si la performance a lieu, par exemple, dans une église, elle devient alors transcendantale.
Je viens de l’univers de la performance et des arts audiovisuels. Pour chaque pièce, il est essentiel de prendre en compte le site et de créer une scénographie spécifique. Parmi les lieux, les moins adaptés au son demeurent certainement les musées — à moins d’utiliser les quinze secondes de réverbération de leur espace. De plus, ils ne disposent pas d’infrastructure pour les répétitions. Il faut donc avec les musées imaginer des types de mise en scène différents et spécifiques.

Kalas Liebfried: Ports in Transition feat. Jonas Yamer and Accomplices, 22/07/2020 at Lenbachhaus Munich (excerpt) from Kalas Liebfried on Vimeo.

M. Dian (Festival Chaillol) : Nous avons quant à nous des situations d’écoute (c’est le terme que j’utilise) très variées, qui se configurent un peu autrement, mais qui sont toujours respectueuses du geste artistique. Nous, on est complètement itinérant. Donc, on n’a pas de salles. On investit des lieux non dédiés, des églises, des chapelles, des salles des fêtes, des classes d’école, des châteaux, des sites patrimoniaux plus ou moins importants. On a notamment développé ça pendant la période de la crise sanitaire, qui nous a poussé à investir des lieux, des espaces qui présentaient des qualités acoustiques, paysagères, ou un environnement propice à une relation de qualité entre artistes et publics. On a donc investi par exemple, avec un trio de jazz, le verger d’un habitant, qui nous a accueilli avec beaucoup de générosité. On y a créé une petite scène, les gens n’étaient pas assis, les gens se sont disposés à leur convenance, avec des couvertures, des transats, différentes modalités.
On a aussi organisé des moments que nous appelons Musique au naturel pour lesquels l’équipe de l’espace culturel de Chaillol identifie au sein du territoire, des lieux qui sont particulièrement évocateurs, poétiques. Ça peut être un sous-bois, un promontoire doté d’une saillie rocheuse qui joue le rôle de protection naturelle. Cela peut être plus simplement une place de village, ou le parvis d’une petite chapelle dans un hameau un petit peu retiré. Dans ces espaces-là, dès que l’on met en place un dispositif d’écoute, la chose se passe merveilleusement.

Depuis environ vingt ans, les nouvelles formes et les nouvelles scénographies de concert qui ont émergé, vous semblent-elles intéressantes ? Par exemple les concerts audiovisuels, les siestes musicales, les concerts intimistes et de proximité, les installations sonores et musicales, des dispositifs d’écoute sur casque, des concerts au son spatialisé…
M. Jeanson (Festival Archipel) : J’organise des concerts depuis près de trente ans et je dois avouer que j’ai peu vu ailleurs des choses aussi variées que ce que l’on organise avec Archipel, où ce que faisait déjà Jean Prévost avant nous. Très vite, le festival s’est tourné vers des installations sonores, des lieux différents, des événements en plein air ou dans l’espace public, et bien sûr je vois ça de temps en temps ailleurs, mais chez nous on peut retrouver plus d’une dizaine de dispositifs différents dans une seule édition. Je me souviens toutefois du festival Angelica en Italie, au début des années 2000, où le directeur avait mis en place une simple salle rectangulaire avec deux hauts-parleurs, où les gens pouvaient aller par eux-mêmes, passer des musiques qui leur plaisaient. Je me suis inspiré de ce dispositif pour notre salon d’écoute, que l’on pourrait définir un peu comme un self-service de partage d’écoute, mais qui est aussi un acousmonium (dispositif et orchestre de hauts-parleurs, dédiés à la diffusion de musique électroacoustique, NDR). J’ai aussi programmé des événements avec le théâtre Arsenic à Lausanne, particulièrement des installations sonores disposées dans les abris anti-atomiques du théâtre. En Suisse, dans tous les lieux publics, on trouvait de tels abris. La tentative de proposer des installations sonores dans l’espace public, répondait au désir de toucher un plus large, ou un nouveau public, par exemple sur la plaine de Plainpalais à Genève, un grand espace où l’on retrouve habituellement des cirques et des fêtes foraines. C’est toujours la même idée, être dans une sorte de liberté, de déambulation, de prendre en charge tout en responsabilisant l’auditeur, de manière ludique, active, agréable, c’est toujours très pensé, scénographié, esthétique, prenant en compte la place du public et son écoute active.
F. Mazelly (La Villette) : Le rapport que l’on a avec un objet artistique dépend de tellement de choses… Parfois un simple dispositif piano/voix peut se révéler plus stimulant qu’un concert avec écrans et multidiffusion dernier modèle. À la fin des années 1990, j’avais été très séduit par l’expérience des Séances d’Écoute, conçues et programmées par l’artiste Alexandre Périgot, dans un quartier populaire à Aubervilliers, près de Paris. Le public était placé dans le noir, allongé, au cœur de l’écoute, des conditions idéales pour vivre un concert dans de bonnes conditions. C’était un petit espace, modeste même, mais parfaitement adapté à la découverte d’artistes très novateurs pour l’époque comme Christian Fennesz, Funkstörung, Robert Henke
Par la suite, il y a eu des programmations de concerts intéressantes (Bernard Parmegiani, Curtis Roads, Murcof, I:Cube, NDR) dans des lieux atypiques comme La Géode et le Planétarium à la Cité des Sciences de Paris, auxquels nous avons parfois participé. Mais je dois avouer que depuis l’invention des acousmoniums, ou des lives audiovisuels de Ryoji Ikeda, je n’ai pas vu grand-chose de bien neuf ces dernières années sur la question des dispositifs d’écoute ou de concert. Bien sûr, les innovations techniques sont nombreuses, en termes de diffusion et de spatialisation, d’usage de led par exemple, mais du point de vue esthétique, ça n’est pas le cas. On a du mal à dépasser les figures de l’abstraction géométrique.

Au-delà de ce type de performances, vous avez effectivement des collaborations entre musiciens et plasticiens. Xavier Veilhan a par exemple travaillé avec des compositeurs et des spécialistes du son, par exemple à la Biennale de Venise, ce qui amène quelque chose de vraiment nouveau. On l’a vu aussi avec Dominique Gonzales-Foerster, Philippe Parreno, Saâdane Afif, qui sont issus d’une même génération. Mais ils ont plutôt imaginé des installations, ou des dispositifs qui n’ont pas véritablement vocation à être des dispositifs d’écoute. Ce sont plutôt des œuvres d’art plastique qui viennent dialoguer avec la musique, qui peuvent toutefois amener le public à pénétrer un environnement musical. La musique vient se surajouter à des œuvres qui agrègent plusieurs éléments, qui peuvent provenir de la littérature, des beaux-arts ou du cinéma. C’est aussi le cas dans certaines installations ou dispositifs de Christian Marclay. Son film de vingt-quatre heures, The Clock, témoigne ainsi d’une approche très musicale. À La Villette, nous avons peu montré ce type de collaborations. Je pense toutefois à deux installations, l’une de Ryoji Ikeda et l’autre du chorégraphe William Forsythe, qui fonctionnaient de manière un peu opposée, l’une horizontale, l’autre verticale, l’une dans le noir, l’autre dans le blanc, l’une dans la musique, l’autre dans le silence, un contraste qui m’avait beaucoup inspiré. Au fond, ce type d’installations nous avaient permis de contourner la forme du concert, mais il n’y a rien de bien nouveau au fond. Et quand je vois que le disque vinyle remplit à nouveau les bac des disquaires et que le théâtre musical connaît un certain regain, y compris auprès d’un public jeune, je me dis que l’histoire des pratiques culturelles tournent finalement en boucle. Quant aux concerts, j’aurai tendance à privilégier les petits formats, plutôt que les grandes messes mais hélas, la tendance ne va pas dans ce sens.

M. Dian (Festival Chaillol) : J’observe deux phénomènes. Depuis de nombreuses années, des scènes nationales inventent des dispositifs hors les murs, comme Les Excentrés par exemple, créé par La Passerelle à Gap, Par Les Villages, créé par le Théâtre du Briançonnais ou Les Traversées à l’Abbaye de Noirlac. Des initiatives qui témoignent d’un renversement, d’une nouvelle demande sociale. On n’a pas toujours envie de rentrer dans un lieu consacré. On a aussi envie que des artistes investissent un lieu non dédié, et le transforment, changent le rapport que l’on a avec ce lieu-là, par leur présence et par leur geste. Ces dispositifs d’itinérance de lieux dédiés à la création existent depuis longtemps, mais ils se développent de plus en plus. Et puis j’observe autre chose qui commence à s’affirmer, c’est l’hybridation des ressources culturelles dans un même espace. Moi, je travaille avec la musique, et même exclusivement, je n’ai pas d’autres compétences, je suis un spectateur curieux de tout, mais mon métier c’est plutôt de produire et accompagner la musique. Et donc ce que j’observe, c’est que la musique se retrouve de plus en plus souvent dans des configurations avec d’autres formes d’expression, voire d’autres compétences que les compétences artistiques. Par exemple, certains festivals travaillent sur les relations entre culture et agriculture, entre paysage, environnement et gestes artistiques. Je pense notamment à un festival cousin du nôtre, les Nuits d’été, au-dessus de Chambéry, près du Lac d’Aiguebelette, qui organise beaucoup d’événements itinérants qui ne se limitent pas à des propositions artistiques. Cette hybridation des ressources culturelles, entendues au sens large, et non pas seulement artistiques, c’est la possibilité de reconnaître chez les habitants des capacités à intervenir, à proposer quelque chose, qui ne sont pas forcément artistiques, mais donc culturelles. Je pense par exemple à une cantine solidaire que nous avons mise en place autour de la roulotte et d’un concert itinérant de Jeanne Bleuse, interprète d’un répertoire clavecin-piano très pointu. Ce fut un grand moment de convivialité. On a aussi présenté un concert dans un jardin partagé, pour des personnes un peu vulnérables, qui a rassemblé près de deux cent personnes d’une grande diversité sociologique. Près d’un tiers des personnes présentes au concert avaient aussi participé à l’événement, cuisiné, s’étaient occupées du jardin, avaient préparé les chevaux, accueilli les enfants. Cette approche a beaucoup à voir avec la question des droits culturels, qui existent dans le droit français depuis 2015, et qui invitent à reconnaître les capacités d’agir, les capacités culturelles de toutes personnes et pas seulement des artistes. Attention, nous ne sommes pas en train de dire que tous les habitants d’un territoire sont des artistes, mais plutôt qu’ils disposent de références culturelles qui peuvent être mobilisés.

Vous semble-t-il important d’explorer d’autres formes d’accueil du public ? Faites-vous des efforts particuliers pour aller chercher de nouveaux publics ? Quels sont ces efforts ? Quels sont ces publics ?
M. Dian (Festival Chaillol) : Nous sommes une « scène conventionnée d’intérêt national », notre activité est donc désormais continue. Nous débutons la saison vers septembre-octobre avec des résidences de création, de production et d’action culturelle. Les artistes sont installés dans le territoire et ils sont payés pour ça, cela génère de nombreuses possibilités d’interaction, des moments de rencontre, d’émissions de radio… Ensuite entre janvier et juin, nous organisons trois concerts à la fin de chaque mois précédés de nombreux temps d’action culturelle dans trois communes de trois vallées. Pour nous, il s’agit d’inscrire dans le temps long ce type de production qui ne doit pas se résumer à une seule date, avant que les artistes ne partent jouer ailleurs en France ou à l’étranger. Et puis l’été, pendant le festival, nous programmons un mois de concerts, de rencontres, d’ateliers. Aujourd’hui, c’est une tendance lourde, même les grands festivals d’été ont une saison d’hiver, des pratiques toute l’année, on ne peut plus justifier l’engagement de la puissance publique sur quelques jours de festival. De plus en plus, il y a ce besoin d’inscription dans une durée longue sur un territoire, pour ne pas être simplement un événement qui fait du marketing territorial. Et je pense qu’il y a aussi une demande sociale de la part des habitants, d’être concernés, d’avoir des points de contact avec les artistes. C’est aujourd’hui particulièrement encouragé par l’État comme par les communautés territoriales. On a toutefois du mal à faire venir les médias nationaux sur ces engagements de longue durée, qui ont moins de rayonnement immédiat.

K. Liebfried (artiste-curateur) : En 2022, j’ai créé “Fragments of Sonic Extinction“, une plateforme numérique interactive qui documente et explore la question de la perte passée, présente et future des sons naturels, en raison du changement climatique et de l’anthropocène. La décision de créer un site web sonore dynamique et de commander à des artistes internationaux de nouvelles œuvres sur des sujets connexes m’a permis d’aller au-delà d’une simple pratique individuelle et artistique. En raison de la complexité du thème, j’ai ressenti le besoin de construire un réseau mondial d’artistes et de développer des archives accessibles et interactives de connaissances et de ressources pour les publics futurs. Aujourd’hui, les publics de la plateforme ont beaucoup évolué. Plus les contributeurs, les angles et les questions abordées sont variés, plus le public se diversifie, au-delà d’un premier réseau d’artistes.
D. Schuler (Festival Archipel) : Les enfants figurent parmi le principal nouveau public que l’on tente de capter. On aime beaucoup travailler avec et pour les enfants, qu’ils soient du côté de l’instrument ou du public, et leur donner la liberté d’expérimenter à leur manière ce qu’est un projet sonore, que cela soit un concert ou une installation. Pour cela, on a créé une salle de jeu, plutôt un espace qu’on a appelé salle de jeu, dans lequel les enfants peuvent courir, faire des jeux qui n’ont rien à voir avec la musique, mais aussi être dans une relation à l’écoute qui soit la plus libre et chouette possible. Ces programmations permettent aussi à des parents de découvrir ces musiques, notamment à travers les installations sonores.

M. Jeanson (Festival Archipel) : Notre administratrice Kaisa Pousset, est aussi chargée de médiation. Elle fait un gros travail avec les écoles, les conservatoires, les crèches, juste avant les onze ou douze ans. Je crois beaucoup à ce genre de découverte à cet âge-là, même s’ils rejettent cette musique par la suite, à l’adolescence. La politique tarifaire joue aussi un rôle d’accès. On ne veut pas faire une programmation faite pour plaire, ce n’est pas le sens de la musique de recherche, mais par contre on essaie de travailler à ce qu’il n’y ait pas de barrières pour y accéder. Le prix d’entrée est donc de dix francs suisses, ce qui équivaut à dix euros environ, même quand on vient écouter l’orchestre du Basel Sinfonietta. Et il y a aussi pas mal d’événements gratuits. On essaye aussi de croiser les générations au sein de l’équipe, pour faire venir de nouveaux publics, comme celui de l’électro par exemple. Dix nouvelles personnes qui assistent à un concert, c’est déjà une victoire.
D. Schuler (Festival Archipel) : Au sein de cette réflexion, on ne donne quasiment plus d’invitations. On a arrêté avec ce système où plus de la moitié du public est ami et vient gratuitement, et que l’autre partie paye plein pot, ce qui est une forme d’injustice. Faciliter, préciser et faire savoir que l’accès aux personnes en situation de handicap est possible, nous a aussi permis de faire venir tout un nouveau public que l’on n’avait jamais vu.
F. Mazelly (La Villette) : À La Villette, nous attirons d’abord les curieux, ainsi que des visiteurs occasionnels de tous âges. Ils viennent principalement d’une catégorie sociale plutôt éduquée, même si nos principaux efforts portent sur ceux qui n’ont pas ce genre de pratiques culturelles. Malgré cela, on ne peut dire que l’on réussisse complètement le décloisonnement des disciplines et le croisement des publics. Faire venir des gens à une expérience différente, reste toujours une difficulté et un pari.

Propos recueillis par Jean-Yves Leloup

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