La multiphonie du festival Ensemble(s)

Concerts 21.09.2021

L’entente est au beau fixe et la création sonore plus que jamais à l’honneur au festival Ensemble(s) dont c’est la deuxième édition : cinq phalanges dédiées à la musique d’aujourd’hui (Cairn, 2e2m, Multilatérale, Court-Circuit et Sillages) ont fédéré leurs idées et leur énergie pour porter très haut le spectacle vivant durant quatre jours et à raison de deux concerts quotidiens sur le plateau du Pan-Piper à Paris.

Le festival a reconduit son partenariat avec le Conservatoire Supérieur de Paris, invitant les interprètes du DAI (Département d’Artiste Interprète) répertoire contemporain à se joindre à leurs aînés ainsi que les étudiants du département de formation aux métiers du son, en charge de l’acoustique – tâche ô combien délicate – d’une salle réclamant une amplification. La médiation est assurée cette année par Corinne Schneider, présente sur tous les fronts, à la buvette au mitan de la soirée et sur le devant de la scène pour l’échange avec les directeurs de chaque ensemble et les compositeurs et compositrices invités.  

Il est la tête d’affiche de cette édition 2021. Le compositeur autrichien Beat Furrer (né en 1954), fondateur du prestigieux Klangforum Wien en 1985, est présent pendant toute la durée du festival. Quatre de ses pièces sont au programme, permettant de mieux approcher une personnalité fascinante dont la forte attirance vers l’univers des arts plastiques se ressent au sein d’une écriture qui semble procéder par analogie (divisionnisme de la touche). Joué par les musiciens de l’ensemble Cairn, le trio Aer (1991) est une musique d’effluves sonores (fragilité et frémissements) qui tournent dans l’air avant de s’y dissoudre. Une pulsation (au piano) ou une tenue (au violoncelle) assurent l’équilibre du « mobile sonore ». Joué par les musiciens de Court-Circuit, Spur pour quatuor à cordes et piano (1998) s’élabore dans l’économie du geste et un espace réduit où l’écriture pointilliste et finement colorée trace son chemin dans un flux mouvant et obstiné. Les deux autres pièces réunissent les interprètes des cinq ensembles : sous la direction de Julien Leroy, Linea dell’orrizonte (2012) invite à une même écoute intimiste au sein d’une écriture qui s’élabore par strates sonores et rythmiques. D’une formation plus conséquente encore, Still (Arrêt/Silence) nourrit cette obsession du mouvement à travers une musique qui lance des signaux, opère des arrêts puis redémarre, colore l’espace (trompette bouchée) ou le décolore (souffle) selon une chaîne de micro-événements qui font miroiter la matière : autant de subtilités détaillées avec soin par Jean Deroyer à la tête de musiciens fort réactifs.

Qualité et parité au sein de la jeune génération

Six créations/commandes passées aux jeunes compositeur.trice.s (encore en cours de formation pour certains) traversent cette programmation.
The moment III : Rejoice de la Coréenne Sunyeong Pak, aux résonances stockhausiennes, appartient, comme son titre l’indique, au cycle « Moment ». L’écriture réalise la convergence fertile entre richesse spectrale et énergie du geste, jeu de coloration et mouvance de l’espace (son tribut à la musique de Beat Furrer) au sein d’une pièce qui ne va pas sans quelques longueurs. On est moins convaincu par la pièce du Grec Stylianos Dimou dont on peine à déchiffrer, et le projet et la dimension théâtrale, dans un concert qui la revendique. Arc aux six couleurs de Manon Lepauvre dessine, d’une couleur à l’autre, une trajectoire « dal niente all niente » qui fonctionne bien sans toutefois éviter quelques clichés. À la source du projet de Florent Caron Darras pour Territoires (dirigé par Jean Deroyer) réside un travail de field-recording qu’il soumet à son analyse perceptive et à partir duquel il remodèle un paysage sonore, entre imitation et transformation : matière vibratile, oscillations et éclats multiples invitent à l’écoute intimiste d’une musique dont l’intensité croit ou décroit selon le degré d’éloignement du phénomène sonore.
L’espace s’ouvre dans une seconde partie beaucoup plus frontale trop courte à notre goût. Argos Panoptes du jeune argentin Demian Rudel Rey nous impressionne sous le geste investi, autant qu’élégant, de Gonzalo Bustos à la tête de son ensemble Sillages ; l’énergie du son et du geste y est exercée ainsi qu’une autorité formelle et des subtilités acoustiques obtenues grâce aux techniques de jeu étendues et à l’investissement sans compter des musiciens. Le texte plein d’humour de la poétesse américaine Hailey Leithauser a inspiré la Coréenne Dahae Boo dans O, she says, véritable « théâtre de l’étonnement » qui met en scène la lumineuse soprano Shigeto Hata tour à tour ingénue, joviale, langoureuse ou encore effrayée : autant d’états psychologiques traversés et réfléchis par une écriture instrumentale aussi inventive qu’épurée. 

Nos coups de cœur

Ils concernent d’abord les pièces courtes qui préludent aux différentes soirées. Telles ces deux miniatures pour flûtes, deux perles de Claire-Mélanie Sinnhuber (Bec) et Juan Arroyo (Étude pour un air brisé) écrites pour Anatole (1er cycle) et Lina (second cycle), deux élèves du Conservatoire d’Ivry-sur-scène invités dans la cour des grands. En prélude toujours, D’une étincelle, pour alto et saxophone, de Maël Bailly, divinement jouée par les deux interprètes du DAI répertoire contemporain, Violaine Willem et Simona Castria, combine délicatesse du timbre, fraîcheur et invention de l’écriture, finesse du trait et économie de moyens.
Leur camarade et guitariste Omar Nicho créé l’événement avec JH, Tribute to Jimmy Hendrix du Péruvien Juan Arroyo qui restitue à travers l’instrument acoustique l’univers de la guitare électrique et ses pédales de distorsion : bruitage, résonance, saturation et autres effets spectaculaires témoignent de la puissance du geste et de l’imaginaire de notre compositeur mettant au défi son interprète.

Invention et séduction opèrent dans Fragments d’opale pour piccolo (Jérémy Fèvre) et tambour du jeune Adrien Trybucki qui puise à la tradition coréenne du Sanjo (musique chamanique) pour ce duo où les deux partenaires sont tout à la fois autonomes et complémentaires. Théâtrale et facétieuse, la pièce d’Ondrej Adámek Imademo convoque une chanteuse (Shigeto Hata), un alto (Claire Merlet) et un échantillonneur (Véronique Briel). Dans une pièce proche des Récitations de Georges Aperghis (bien qu’en japonais!), s’invente une langue imaginaire, drôle autant qu’ambiguë, où l’alto prolonge les accents de la voix et parfois la remplace.

Un hommage à Paul Méfano, décédé il y a tout juste un an, est rendu le dimanche en la présence de son épouse Jacqueline et à travers les mots chaleureux de Laurent Martin et Bernard Cavanna, deux compositeurs très proches de celui qui fonda en 1972 l’ensemble 2e2m. Les musiciens des cinq ensembles sont sous la conduite de Léo Margue dans Ondes, espaces mouvants, une pièce de 1974 stipulant une répartition des instruments en trois groupes et selon trois principes : absence, introversion et violence. L’arrivée des cordes amplifiées et spatialisées  dans l’aigu de leur tessiture donne l’illusion d’une source électronique ; Méfano s’ingénie à effacer les nervures formelles au profit d’une libre distribution des morphologies sonores dans un espace qui se construit à mesure, superbe autant qu’étrange.

Au terme d’une deuxième édition dont il faut saluer l’organisation et la qualité de diffusion, une réflexion s’impose sur les formats de concert : présence de pièces longues évitant les changements de plateau, présence de l’image et de la lumière, liens avec le théâtre, esquissés cette année mais non finalisés, échanges avec d’autres ensembles hors hexagone sont autant de points qui devraient animer la discussion de nos cinq directeurs regardant « ensemble » vers une troisième édition. 

Michèle Tosi

* Tous les propos recueillis ont été retranscrits et sont disponibles sur le site du festival Ensemble(s)

En lien

buy twitter accounts
betoffice