Kebyart, une synchronisation extrême

Interviews 02.03.2022

Jeune, prometteur et ambitieux. C’est Kebyart, le quatuor catalan de saxophones formé par Pere Méndez, Víctor Serra, Robert Seara et Daniel Miguel. Formé à l’ESMUC, Kebyart récolte les fruits du travail semé depuis 2014, l’année de sa création. Depuis, il n’a cessé d’émerveiller le public et les critiques. Jörg Widmann a déclaré que le quatuor de saxophones lui était étranger, jusqu’à ce qu’il rencontre Kebyart. Ce n’est pas rien. Comme si l’instrument était une extension de leur corps, ces musiciens révèlent leur talent, leur virtuosité et leur synchronisme. Lauréats de plusieurs prix, leur brillante carrière se consolide pas à pas, dans les meilleures salles européénnes, comme à la Philharmonie de Paris le 7 mars prochain.
Kebyart, c’est la passion de la musique de chambre. 

 

Expliquez-moi comment Kebyart, ce quatuor de saxophones, est né. Je suis intrigué.
Il est né au cœur de l’Ecole Supérieure de Musique de Catalogne (ESMUC). Nous étudiions tous avec le même professeur, Nacho Gascón, même si chacun d’entre nous avait son propre groupe de musique de chambre. Nous étions amis et nous voulions jouer ensemble. Kebyart est né en 2014 de notre intérêt pour la musique de chambre et de l’envie de passer plus de temps ensemble. Depuis, même so beaucoup de choses ont changé, l’amitié et le plaisir du jeu restent intactes. Nous gardons toujours certains piliers.

Et quels sont ces piliers ?
La curiosité de découvrir un nouveau répertoire, l’envie de se transcender. Nous sommes un quatuor de saxophones, ce qui est peut être encore une formation un peu atypique aujourd’hui, même si elle remonte au XIXe siècle. Notre intention est de faire du quatuor un ensemble de musique de chambre pionnier au XXIe siècle, en élargissant le répertoire par des commandes et des projets nationaux et internationaux.

Ce qui vous intéresse avant tout, c’est l’excellence musicale?
Oui, nous la cherchons en partant de la tradition, car depuis nos années, à l’ESMUC justement, nous nous sommes formés avec des professeurs qui n’étaient pas spécialistes de notre instrument. L’exercice d’enracinement dans la tradition s’est fait petit à petit. Je fais référence à l’époque où nous avons étudié à l’Académie européenne de musique de chambre (ECMA) et rencontré le Quatuor Hagen.

Que voulez-vous dire quand vous parlez de transcendance ?
Nous essayons de faire en sorte que nos spectacles contiennent un message, qu’ils ne soient pas seulement une collection de sons agréables ou désagréables, mais des sons qui peuvent expliquer et raconter des histoires. Et, en outre, que le quatuor  devienne une formation de premier plan de notre époque.

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Nous jouons de la musique de grande qualité, dont les histoires sont déjà écrites. Au final, nous évoquons un discours musical qui passe de moments de grande intensité à des moments de grande sérénité, créant un contraste, un espace pour un récit qui n’a pas besoin d’être traduit en images ou en histoires musicales, mais qui est soutenu par une force.  

Vous êtes un quatuor hautement synchronisé. Il y a beaucoup de force là-dedans.
Oui, il y en a! Même si, bien sûr, la perfection technique ne connaît pas de limite. Nous avons commencé à jouer à l’âge de huit ans et, après tant de temps passé à nous entraîner avec l’instrument, nous finissons par nous fondre en lui, en essayant d’atteindre cette perfection qui, bien qu’elle ne soit jamais atteinte, est recherchée, car plus on en sait, plus on veut en savoir. 

Quel est la situation actuelle du quatuor ?
Nous récoltons les efforts que nous avons semés depuis sept ans maintenant. Nous sommes dans un moment agréable d’internationalisation, et en même temps très intense: nous avons été sélectionnés dans l’Organisation européenne des salles de concert (ECHO), un soutien qui nous a permis de jouer dans certaines des salles les plus importantes de la scène européenne, comme la Philharmonie de Paris ou l’Elbphilharmonie de Hambourg.

Vous êtes, sans aucun doute, dans un moment de consolidation. Et en Catalogne ?
D’une certaine manière, nous sommes déjà plus établis. Nous avons remporté des prix comme le Prix Palau 2016 ou le XII Prix de Musique de Chambre Monsterrat Alavedra-BBVA, qui nous ont aidés. 

Comment voyez-vous la scène musicale actuelle ?
Nous jouons de la musique contemporaine, mais pas seulement. Nous évoluons dans ces circuits, comme le festival MIXTUR à Barcelone ou d’autres programmes contemporains, mais nous traversons un large éventail de styles, où tous dialoguent et sont compatibles. Lorsque nous jouons dans des cycles ou des festivals consacrés exclusivement à la musique contemporaine, nous avons toujours le sentiment que cette musique peut être plus difficile à comprendre, car le public a des préjugés ; mais nous croyons que si nous travaillons bien et que les musiciens font l’effort d’offrir les clés de compréhension des œuvres, la musique contemporaine finit par être une musique de grande qualité qui peut émouvoir tout le monde.

Comment définiriez-vous le style de Kebyart ?
Éclectique. Nous jouons tout, du baroque au néo-classicisme en passant par la musique d’aujourd’hui. Ce en quoi nous croyons, c’est en l’excellence, tout ce qui se communique et apporte de la qualité.
Nous faisons confiance à des pièces qui, bien qu’apparemment sans rapport les unes avec les autres, finissent par se nouer sur la base d’une idée qui les relie toutes. Et en plus que cette idée serve de guide à l’auditeur, lui permettant de faire des ponts musicaux supplémentaires. Un peu comme lorsque vous allez dans un musée et que vous contemplez une collection de peintures ou de sculptures qui tournent autour d’un thème ou d’une esthétique. Peut-être n’évoquent-elles rien prises isolément, mais elles le font si vous les reliez entre elles dans un discours commun.

Quelles sont vos références musicales?
L’une de nos références est le Quatuor Casals, à Barcelone. Et Jörg Widmann, un musicien que nous admirons et respectons toutes les facettes artistiques. Il n’est pas seulement un musicien, mais aussi un compositeur, un chef d’orchestre et un clarinettiste. Il essaie d’être un musicien total, se distinguant dans toutes les disciplines avec un grand talent.

Et vous êtes inspiré par la même idée ?
Oui, nous sommes saxophonistes, mais nous faisons nos propres arrangements. Nous croyons en une vision plus complète du musicien, qui ne se limite pas à être un interprète. Le XIXe siècle a été le siècle de la spécialisation, mais bien avant cela, de nombreux musiciens de la stature de Mozart, Bach ou Mendelssohn étaient déjà improvisateurs, compositeurs ou musicologues, des artistes liés à la musique en tant qu’art et non simplement en tant que spécialisation. 

Comment abordez-vous les concerts importants qui vous attendent dans ces fameuses salles que vous avez mentionnées précédemment ?
Ce sont des salles impressionnantes, avec beaucoup de caractère, et vous vous sentez certainement un peu petit. Mais lorsque la musique joue et vous donne de la force, l’environnement vous aide. Ce premier frisson reste anecdotique.
Ce que nous voulons, c’est créer de la musique dans les plus belles salles et nous sommes enthousiastes! Nous essayons de le vivre avec un naturel absolu.  

Et à Barcelone ?
Nous sommes actuellement dans un programme de musique de chambre. Ensuite, nous jouerons à Gérone, dans un programme de musique contemporaine. Nous collaborons également sur une pièce pour quatuor de saxophones et orchestre de Philip Glass, qui, je pense, sera jouée pour la première fois en Catalogne. Un programme très excitant.

Une dernière question : où votre ambition vous mène-t-elle ?
Nous aimerions assimiler autant de styles que possible et approfondir tous ces langages. Nous sommes un quatuor de saxophones, mais nous essayons de nous rapprocher de la tradition; par exemple que si nous jouons Mozart (même s’il n’a pas écrit pour un saxophone), nous pourrions jouer Mozart dans le style où il jouait  lui-même. Cela, oui, demande du temps et de l’ambition. 

Vous jouez aussi du Bach.
Oui, et nous essayons d’aborder son style avec le plus grand respect, en essayant d’apporter une nouvelle lumière ou une sonorité authentique, en comprenant son harmonie. 

Propos recueillis par Txema Seglers

Prochains concerts :
* Philharmonie de Paris, le 7/03  
* Palau de la Musica, Barcelone le 21/03

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