Le pianiste, compositeur et improvisateur Roberto Negro a offert à la Filature de Mulhouse, puis au Théâtre de Vanves une création enchanteresse baptisée Newborn, qui n’est rien d’autre que la rencontre inédite entre le trio d’improvisateurs qu’il forme avec Michele Rabbia (électronique, percussions) et Nicolas Crosse (contrebasse) et une formation chambriste composée de musiciens de l’Ensemble intercontemporain.
C’est sur un fond ocre de cartons d’emballages, mis en valeur par les jeux de lumières, que se dessinent les corps d’une dizaine de musiciens réunis autour du pianiste Roberto Negro au Théâtre de Vanves le 15 décembre, pour cette nouvelle représentation de Newborn. Newborn est une forme d’une petite heure de musique, mise en lumière et en espace par Caty Olive (scénographie lumières), avec un sens poétique certain, qui enchante dès les premières minutes. La lumière nous met sur la voie : elle entoure avec douceur le musicien qui ouvre la composition, le corniste de l’Ensemble intercontemporain, rejoint très vite par Michele Rabbia à l’électronique. Tout au long de Newborn, la lumière dessine les prises de parole des musiciens, leurs conversations. La lumière “compose”, accompagne le discours musical, et devient elle-même langage et parole.
Or justement, la conversation est sans doute ce qui définit le mieux à mes oreilles la musique de ce Newborn. Dialogue à deux ou plusieurs voix, mais toujours dans l’intimité, car c’est un univers de musique de chambre que nous propose le compositeur, et cela même si Newborn offre plusieurs superbes moments en tutti.
Dialogue entre un trio constitué – celui formé depuis quatre ans par le pianiste Roberto Negro avec le batteur, percussionniste Michele Rabbia et le contrebassiste Nicolas Crosse (de l’EIC) – et l’Ensemble intercomporain, qui rassemble deux trompettes, un cor, une flûte, une clarinette, un violoncelle, une harpe chromatique, un vibraphone.
Dialogue entre l’acoustique et l’électronique – les musiciens du trio sont augmentés par l’électronique. Enfin et surtout, dialogue entre l’improvisation et la composition.
Newborn est une écriture : les partitions sont bien là, mais les musiciens de l’EIC jouent un texte d’une nature particulière, qui a peu de choses à voir avec les partitions complexes auxquelles, bien souvent, ils sont confrontés. On imagine le plaisir qu’ont ces musiciens à jouer la musique de Roberto Negro, avant tout lyrique, instinctive et sensuelle.
Le jeu sur la complexité n’est pas situé à l’endroit habituel. Si complexité il y a, elle est plutôt dans l’aller-retour entre écriture (partition) et improvisation (expression spontanée). Car ce jeu-là demande beaucoup de fluidité, de précision, et d’écoute mutuelle !
A cet endroit, c’est évident, Roberto Negro s’est mis à l’écoute des musiciens de l’ensemble, et a sollicité les improvisations de celles et ceux pour qui cette pratique est familière, quand bien même elle reste marginale. Le plus expérimenté des musiciens de l’Ensemble intercontemporain (hormis Nicolas Crosse), est sans aucun doute le violoncelliste Eric-Maria Couturier qui s’est lancé dans une magnifique improvisation, âpre et sauvage.
Le trio n’est pas en reste : les improvisations déroulées par Roberto Negro et Michele Rabbia sont d’autres moments forts de ce Newborn : liberté et imagination poétique sont à l’œuvre, véritables points de jaillissement qui électrisent le discours, le font “renaître” (Newborn). On regrette juste que le contrebassiste Nicolas Crosse ne prenne pas davantage la parole, lui dont les improvisations ont été saisies autrefois par les micros d’A l’Improviste lors des Intersessions de l’Ensemble intercontemporain. Sa contrebasse sait chanter et crier librement !
Ce qui frappe dans la musique de Newborn, c’est le relief, le goût pour les contrastes et les ruptures : les belles mélodies sont souvent interrompues par des sons saturés, écrasés, de l’électronique sauvage et rêche, le tout saisi dans la fluidité de l’écriture : un jeu de clair-obscur, superbement mis en lumière par Caty Olive.
L’autre grande qualité de ce Newborn singulier tient au fait que c’est une musique qui ne se trahit pas, ne cherche pas à “faire contemporain”. On retrouve ici, intactes, les qualités propres de l’univers de Roberto Negro : son goût pour le lyrisme – une douceur mélodique proche de celle de Ravel – et son antidote : cassures, sonorités de piano-jouet, de boîte à musique, sons saturés, bruités. Une musique hybride et organique, qu’on aurait bien du mal à ranger dans le jazz (les jazz), et c’est très bien ainsi ! Une musique des sortilèges (encore Ravel… ), qui joue au caméléon, et nous laisse rêveurs, dans le bon sens du terme. Car Newborn enchante !
On ne peut que souhaiter à la musique si prometteuse de ce Newborn d’autres développements, encore plus hybrides et libres.
Anne Montaron
Photos © EIC