Impact maximal SIMILAR de Maxim Shalygin

Eclairages 30.10.2023

Maxim Shalygin est l’un des compositeurs les plus inspirés des Pays-Bas. Son cycle SIMILAR, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, donne des ailes à l’imagination musicale.

Quatre claviers à l’unisson spirituel. Les pianistes se penchent sur leur instrument avec fougue. Une heure durant, le quatuor entraîne le public dans des montagnes russes enivrantes le long de pics émotionnels et de panoramas poétiques. La première de Delirium, du compositeur néerlando-ukrainien Maxim Shalygin, fit sensation au printemps dernier. Au Muziekgebouw d’Amsterdam, cette ambitieuse composition pour quatre pianos constitua la coda spectaculaire du Minimal Music Festival 2023. Pianistes et public se perdent dans les sonorités hallucinatoires.

Au début, c’est un léger son de cloches qui s’élève des touches. La tension monte, et bientôt, les sommets s’enchaînent. Les passages doux et mélodieux laissent place à une partie intermédiaire rythmée époustouflante, où le jeu des pianistes se déchaîne comme un ouragan. Des moments extatiques dont on voudrait qu’ils ne s’arrêtent jamais. Les extrêmes se touchent et se confondent dans l’œuvre de Maxim Shalygin. Alors que la guerre continue de faire rage dans sa patrie, l’Ukraine, cette musique bienfaisante semble mettre du baume au cœur. Un compositeur téméraire et plein de bravoure qui s’est fait une place à part dans le paysage musical néerlandais.

La vision musicale de Maxim Shalygin prend racine dans sa terre d’origine, dans sa ville natale de Kamjanske, où il se révèle de bonne heure comme un accordéoniste virtuose. Cependant, ses professeurs de musique découvrent son don pour les compositions originales. L’horizon créatif du jeune Maxim se situe plus loin encore.
En 2010, il trouve l’inspiration aux Pays-Bas. Au Conservatoire Royal de La Haye, il suit les cours des compositeurs Diderik Wagenaar et Cornelis de Bondt. Aujourd’hui, Shalygin vit et travaille toujours à La Haye, où il développe son oeuvre avec énergie, assisté par sa femme. En peu de temps, il s’est constitué une base de fans fidèles.

Maximaliste

Le cycle de compositions SIMILAR, qui s’élargit continuellement, occupe une place centrale dans cette œuvre. Delirium, un morceau écrit pour quatre pianos à queue, constitue le quatrième chapitre de ce cycle, qui démarra en 2017 avec Lacrimosa or 13 Magic Songs pour sept violonistes.
Dans chaque chapitre de SIMILAR, Shalygin relève le défi de composer une œuvre pour un groupe d’instruments identiques. 

Dans le passé, d’autres compositeurs contemporains se sont risqués à écrire des œuvres de grande envergure pour un même groupe d’instruments. Parmi eux, Steve Reich, Lois V. Vierk et Michael Gordon. Le compositeur néerlandais Simeon ten Holt se fit également connaître par ses œuvres excentriques pour plusieurs instruments à clavier. Dans la plupart des cas, ces compositions conçues comme des structures sont fortement influencées par les techniques répétitives de la musique minimaliste et post-minimaliste. 

L’approche de Shalygin mériterait plutôt d’être qualifiée de maximaliste, dans la mesure où il pousse à leurs extrémités les possibilités d’expression, les timbres et la virtuosité, ce qui confère à sa musique un caractère ouvert et indépendant.

Les compositions de SIMILAR ne dégénèrent jamais en exercices conceptuels fastidieux. Shalygin embrasse la riche tradition de la musique classique, et l’ouïe décèle des influences allant de la musique polyphonique ancienne au romantisme et de la grandeur symphonique mahlerienne à l’apaisement de l’impressionnisme. La rythmique hallucinatoire propre à la musique minimaliste surgit elle aussi de temps à autre dans les œuvres de SIMILAR, notamment dans Delirium. « SIMILAR est mon univers. Quand je compose, je ne me refuse rien, et je veux explorer autant d’émotions et d’options compositionnelles que possible. Si à la fin, le résultat fonctionne pour moi, il fonctionnera aussi pour autrui », constate le compositeur. 

Dans SIMILAR, Shalygin opte à dessein pour un large canevas d’une heure ou plus, ce qui permet à l’auditeur de s’immerger dans ce nouvel univers sonore. « Ma musique doit offrir le temps et l’espace pour l’exploration. C’est comme la plongée sous-marine », compare Shalygin. La limitation instrumentale de son cycle SIMILAR agit comme un déclencheur de son imagination musicale. L’écriture de chaque chapitre lui prend entre un an et demi et deux ans. C’est un macrocycle auquel il a l’intention de se consacrer durant toute sa carrière.

Lacrimosa or 13 Magic Songs pour sept violonistes marqua d’emblée le démarrage ambitieux du cycle SIMILAR. Le compositeur a fondé, spécialement pour cette pièce, l’ensemble de violons Shapeshift. Shalygin était tombé sous le charme du son d’un violon unique quand il composait ses Letters to Anna, une œuvre intense pour violon solo, en 2010. Dans son esprit mûrit l’idée d’écrire un jour une grande composition pour plusieurs violons. En même temps, il découvrit le travail de l’écrivain américain Mark Danielewski, qui accéda à une célébrité mondiale avec son livre House of Leaves et son long cycle The Familiar. Sur les vingt-sept tomes initialement prévus, l’auteur parvint finalement à en achever cinq. L’idée audacieuse d’un tel cycle créatif réalisé au fil d’une vie entière s’enracina dans l’esprit de Shalygin, et conduisit à la naissance de SIMILAR.

Odyssée émotionnelle

On peut voir le cycle SIMILAR comme une odyssée émotionnelle par laquelle le compositeur cherche à canaliser ses sentiments tumultueux dans des structures musicales toujours plus inventives. « J’aspire à une expérience de la beauté à travers tous les sens. Y compris si besoin les émotions laides, à condition qu’on soit franc et sincère en tant que compositeur », résume Shalygin.

Son Lacrimosa est un paysage sonore épisodique qui nous entraîne d’une émotion brute et condensée à l’autre. « Lacrimosa est rempli de douleur, et il n’y a pas de distance entre la musique et le public », analyse Shalygin aujourd’hui. Dans la suite, Todos los fuegos el fuego (2018-2019), écrite pour les quatuors Amstel et Keuris, ce sont huit saxophones qui s’exaltent. Leur palette sonore riche et sensible passant ingénieusement d’une nuance à l’autre laisse l’auditeur ravi et émerveillé.

La troisième partie de SIMILAR, Severade (2021), destinée à être jouée par neuf violoncelles, est conçue de manière plus théâtrale. Le rôle de premier plan est attribué à la soliste Maya Fridman, accompagnée en direct par le Cello Octet Amsterdam. Aux neuf violoncelles s’ajoutent les sons de cordes rythmiques des installations sonores construites par Rob Van den Broek. L’exécution de la composition se révèle comme un rituel sonore aux allures de transe. Une touchante mélodie interprétée par les violoncelles déclenche une réaction d’émotions en cascade. « L’œuvre est structurée presque comme une sonate, avec des thèmes. Les émotions qu’elle suscite changent sans cesse », constate Shalygin. Chaque nouveau chapitre de SIMILAR marque une grande avancée pour Shalygin en tant que compositeur. « Dans le quatrième chapitre, Delirium, je suis parvenu à structurer la composition de façon à créer la distance parfaite entre le public et la musique. L’auditeur n’est pas contraint d’écouter, mais gentiment invité et incité à entrer dans ce nouvel espace sonore unique. Ce n’est pas tous les jours qu’on réussit à réaliser ainsi ses intentions. »

Avenir

SIMILAR représente un processus d’apprentissage permanent pour le compositeur Shalygin. Grâce à l’impulsion créative de ce cycle, l’inspiration jaillit continuellement, et il lui tarde de relever de nouveaux défis. Ainsi, Shalygin travaille en ce moment d’arrache-pied à son premier opéra, basé sur Le Banquet de Platon. On le retrouve également derrière la caméra pour réaliser un film qu’il a conçu autour de sa composition pour violons Letters to Anna. « Comme dans ma musique, mes prises de vue permettent d’entrapercevoir un secret, quelque chose de magique et d’inconnu. »

Pour l’avenir, quelques nouveaux chapitres de SIMILAR sont déjà en préparation. En septembre 2024 devrait avoir lieu la première de Brick (titre provisoire), composition pour seize cuivres, à savoir des trompettes, des cors, des trombones et des tubas. « Ce sera d’une grande puissance», nous promet-il. Il songe en outre à ajouter à SIMILAR une composition pour six percussionnistes qui serait exécutée par Slagwerk Den Haag, ainsi qu’une pièce pour cinq flûtes à bec destinée à l’ensemble spécialisé Seldom Sene. Shalygin n’a pas non plus abandonné son rêve d’une composition pour orchestre symphonique. « J’ai l’intention de réaliser des versions orchestrales de Lacrimosa et de Severade. Reste à trouver l’orchestre, » sourit-il.

Mark van de Voort, Den Bosch

Avec le soutien du Performing Arts Fund (NL)

Photos © Anna-Reshetniak
Photos © Eduardus Lee

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