Pour les interprètes audacieux, les musiques traditionnelles sont, plutôt qu’une célébration du passé, un bouillonnant vivier d’expérimentations sonores et chorégraphiques. Démonstration avec le jeune collectif basque Bilaka, implanté à Bayonne.
« Kolektiboa » veut dire « collectif » en basque. Et « Bilaka » : la recherche. Le collectif de ceux qui cherchent : des explorateurs, en somme. « Nous faisons vivre, mais aussi explorons et ré-interprétons le répertoire traditionnel basque », explique Xabi Etcheverry, l’un des fondateurs de Bilaka. Xabi est violoniste, ou plutôt « violoneux ». La distinction, il y tient. « Dans les musiques trad’, ce terme est important. On retrouve cette nuance chez les Irlandais, entre les « violonists » et les « fidlers ». Même distinction dans la culture basque, où on peut appeler le violon « biolin » ou « arrabita », quand il s’agit du violon jouant dans un répertoire traditionnel. »
Le projet d’un collectif dédié aux musiques et danses traditionnelles basques a germé dans la tête de Xabi et de quelques amis musiciens et danseurs, formés, comme lui, au conservatoire de Bayonne et dans les groupes de musique populaire des villages de la région, il y a dix ans. « Bilaka est réellement né en 2019. Nous rassembler des interprètes professionnels, qui vivent de leur pratique. Aujourd’hui, nous sommes quinze musiciens et une dizaine de danseurs. »
Leur credo : une lecture contemporaine et expérimentale de ces musiques et de ses danses pluri-centenaires. Le manifeste est annoncé dès la page d’accueil du site internet : « Bilaka œuvre à l’activation contemporaine de la culture traditionnelle du pays basque. » Autrement dit, « On ne fait pas simplement revivre des musiques et des danses qui auraient disparu comme si elles étaient dans un musée, précise Xabi Etcheverry. Nous enrichissons et activons ces répertoires des influences actuelles ! Nos danseurs s’inspirent beaucoup de la corporalité de la danse contemporaine et, en musique et prolonge le mouvement de la danse traditionnelle vers un nouveau langage, en musique, on ajoute volontiers de nouvelles sonorités, de nouveaux instruments. » Leurs derniers spectacles rassemblent ainsi un instrumentarium étonnant : violon, percussions, basse, accordéon chromatique et diatonique, guitare, txitsu et xirula – les flûtes basques à trois trous -, mais aussi orgue, piano, harmonium indien, vielle à roue…
Chez Bilaka, les musiciens vont à contre-courant du grand mouvement d’harmonisation de la musique basque amorcé au 20e siècle. « Nous recherchons un son originel : ces musiques s’exprimaient, à l’origine, avec un chant monodique et un simple bourdon. Nous voulons retrouver cette expression singulière, minimaliste et répétitive, qui a une puissante dimension de transe. » Des caractéristiques qui évoquent certains répertoires contemporains ! Même recherche du côté de la danse : « On respecte l’ADN de chaque danse tout en essayant de retrouver une diversité qui a pu se perdre. Le potentiel créatif et expérimental de ces musiques est énorme… »
Bilaka a désormais six spectacles à son actif, « bientôt sept », précise Xabi. L’un des derniers, Gernika (de Martin Harriague) s’inspire de la catastrophe de 1937 avec un fort message antimilitariste. « J’écris les bases de la musique, mais on travaille surtout à plusieurs mains. Et, sur scène, la part d’improvisation est importante. Danse et musique étant inextricablement liées dans les musiques traditionnelles, sur scène, ensemble, on s’adapte continuellement, au plus juste du mouvement des danseurs. »
Musiciens et danseurs peaufinent en ce moment l’écriture d’un nouveau spectacle : Ilauna. « Ce mot est difficilement traduisible ; il évoque un ensemble de croyances ancestrales sur l’au-delà, l’apaisement des âmes et véhicule surtout l’idée que tout est éphémère. » Sur scène, quatre danseurs et deux musiciens. L’occasion de découvrir le timbre de l’alboka, corne basque, et de la cornemuse gascone. Première le 5 octobre au Théâtre Espaces pluriels de Pau.
Suzanne Gervais
Photo © Irantzu Pastor
Photo © Franck Mage