L’ensemble HANATSUmiroir créé à Strasbourg en 2010 par Ayako Okubo et Olivier Maurel développe une certaine conception du spectacle de musique contemporaine, associant à la création musicale, la scénographie, la vidéo, la danse, les arts plastiques, la création lumière, le théâtre ou encore la poésie. Depuis, HANATSUmiroir est à l’initiative de nombreuses commandes d’oeuvres dans un souci d’expérimenter de nouveaux formats de représentation et d’écoute de la musique.
Qu’est ce que la musique contemporaine? Que sont les musiques expérimentales ? Comment nommer clairement les écritures singulières, sans créer les frontières qui les opposent artificiellement? Musiques savantes, académiques ? Musiques expérimentales, ouvertes?
Les questions qu’énoncent Ayako Okubo et Olivier Maurel ne pouvaient que croiser celles qui nous animent dans Hémisphère son : ré-interroger les écritures musicales (à la table, au plateau, improvisée …) autant que les formats de représentations de la musique (en salle, au dehors, collective, interactive, virtuelle …).
Toutes pistes que l’ensemble HANATSUmiroir, accompagné du contrebassiste Louis Siracusa Schneider et entouré de Maxime Kurvers explore avec la compositrice Elsa Biston à travers une nouvelle création : Attentifs, ensemble
Attentifs, ensemble est une expérience d’écoute et de mise en situation de concert, qui tente de mettre en cohérence l’attention des auditeur.rice.s, afin d’expérimenter la force d’une perception commune. C‘est une réflexion sur la musique en tant que créatrice de liens qui se vit lors d’une expérience collective ; qui intensifie le rapport au présent, qui construit une histoire commune en nous invitant à être exigeant, ensemble, à la qualité de notre attention au monde.
En effet comment ressentir le concert comme un lieu inclusif et accueillant, où nous « musiquons » ensemble selon la belle expression de Christopher Small ? Un espace où l’écoute partagée est créatrice de liens, de relations – relations entre les musiciens, entre les musiciens et les auditeurs, entre les musiciens et le son.
Où « musiquer traite des relations entre des personnes, entre ces dernières et le reste du cosmos, et peut‐être aussi avec nous-mêmes, notre corps et parfois même le monde surnaturel – pour peu que nous y croyions. »
L’attention est un enjeu politique et collectif. C’est ce qui nous relie au réel, c’est ce qui nous permet de construire une réalité commune, partageable. Or, elle est en même temps un objet commercial et le terrain d’une guerre permanente. Il est urgent de prendre conscience que cette attention est un bien commun qui se cultive, se défend, se préserve, et qu’elle est le fondement de notre puissance d’agir sur le monde qui nous entoure.
Le son nous renseigne sur l’état des choses et des êtres.
Il crée une relation entre deux personnes ou groupes de personnes ; il est le vecteur d’une attention au monde – aux riens, aux petits riens, aux détails, à la complexité, à l’épaisseur d’une situation – aux mobiles, aux intentions, aux sensibilités ; il est le vecteur d’une attention qui rime avec une forme de disponibilité au réel, d’empathie.
Le dispositif qui articule le spectacle est donc celui d’une écoute guidée : des phrases sont projetées sur un écran, qui proposent aux participant.e.s différentes manières d’écouter. L’écriture de la pièce est un tressage entre ces phrases et la musique ou les actions des interprètes. Ainsi les musicien.ne.s et les spectateur.ice.s, via leurs écoutes, activées par les propositions de cette « voix » silencieuse, sont relié.e.s dans une même forme dont il.elle.s deviennent les acteur.rice.s à part égale.
La “voix” empruntera aux compositeur.rice.s, penseur.euse.s, musicien.ne.s ayant réfléchi à l’écoute, sous forme de phrases théoriques ou de propositions concrètes et imagées : des citations de John Cage, Pauline Oliveros, John Corbett, Alexander Baumgarten ou Hildegard Westerkamp qui nous dit que « l’esthétique occidentale sépare l’expérience musicale de son contexte. Quand quelqu’un est ému dans ce sens, il est ému à l’intérieur, intimement, de manière privée, en tant qu’individu ».
Cette conception de la musique comme entité objective s’accompagne ainsi d’une individualisation de l’écoute – ainsi même au concert, l’émotion ne se partage pas entre les membres du public, elle ne passe pas par le ressenti du collectif; du côté des musicien.ne.s, que le public soit là ou pas, c’est à peu près pareil. Mais pour Makis Solomos « cette conception de la musique tend à dépolitiser l’écoute au sens premier du terme, c’est-à-dire à la sortir de la sphère de la polis ».
En effet, avec la reproduction phonographique, l’œuvre est détachable du contexte de son audition, et il est possible de l’écouter dans un contexte domestique ; puis de l’emporter avec soi dans ses déplacements, partout, afin de s’en construire une bulle, un territoire qui nous sépare du monde extérieur. L’usage du téléphone portable a transformé la musique en un outil pour s’isoler dans les espaces publics et nous perdons l’habitude de lire ce qui nous entoure et notre contact avec le monde.
A contrario, dans Attentifs, ensemble, se pose la question d’une musique qui développerait, permettrait une attention au monde et la conscience de partager un espace commun. Cette musique ne pourra être réduite à un objet – enregistrable et transportable par exemple. Nous écouterons ensemble, musicien.ne.s et public s’observeront dans cette expérience collective où nous tenterons de mieux percevoir ce qui se joue dans l’attention et dans l’écoute.
Attentifs ensemble est une expérience collective de l’attention.
Une invitation à synchroniser nos écoutes, par le biais d’une projection de phrases, de suggestions, de citations qui proposent différentes manières d’écouter.
Avec :
Elsa Biston : électronique, Ayako Okubo : flûte contrebasse, Olivier Maurel : percussions, Louis Siracusa-Schneider : contrebasse, Maxime Kurvers : collaboration au dispositif scénique, Raphaël Siefert, Léa Kreutzer : lumières
Coproductions : Hémisphère son-Paysages Humains, La Pop-Incubateur artistique et citoyen Paris, le Centre Culturel André Malraux, Vandœuvre-lès-Nancy, le GMEM – Centre national de création musicale, Marseille.
Rendez-vous :
– les 5 et 6 avril 2023 à 19h30 à La Pop – 61 Quai de la Seine, 75019 Paris
– le 20 mai 2023 à 17h au Festival Musique Action – Centre Culture André Malraux – Esplanade Jack Ralite, 3 Rue de Parme, 54500 Vandœuvre-lès-Nancy.
L’ensemble HANATSUmiroir est lauréat du Prix Régional 2022 pour l’égalité femmes-hommes attribué par la Région Grand-Est.