Le Petit Miracle de Malguénac

Concerts 25.08.2023

Le festival de Malguénac, « Arts des villes, Arts des champs » est ce petit miracle qui se reproduit chaque année depuis 26 ans, dans une commune du Morbihan de 1800 habitants, juste à côté de la petite ville de Pontivy. Un public festif, joyeux et de tous les âges, des plus jeunes aux plus anciens, se presse pour explorer le « jazz et alentours » dans cet écrin campagnard. Cette faune bigarrée découvre des artistes de pointure internationale comme des groupes locaux, du jazz de tradition comme des formes plus modernes, hybrides, parfois expérimentales, ou des musiques cousines, rock, blues, electro… Chacun y trouve en bonne intelligence son style, ainsi que sa façon d’écouter : debout, en dansant ou assis. Hémisphère son, présent les trois soirs du festival, a choisi de chroniquer quatre groupes. Cet article revient sur la première soirée avec Horla et Ishkero.

Horla ouvre le festival de Malguénac, le jeudi 17 août à 19h30, un choix qui pouvait sembler étonnant de prime abord, vu l’intimité de la formation, mais le groupe bénéficie de la belle écoute concentrée d’un public parfaitement réceptif à leur proposition. Horla, c’est la rencontre étonnante entre deux artistes aux parcours singuliers. Pauline Willerval, après des études de violoncelle classique à Lille, se plonge dans l’apprentissage de la gadulka, ce violon traditionnel bulgare qu’elle apprend sur le terrain, dans les balkans. Elle s’initie aux musiques orientales et aux musiques traditionnelles auvergnates et bretonnes. Jack Titley a quant à lui été nourri au biberon du bluegrass, qu’il maîtrise comme une langue naturelle et infuse dans toute sa musique, notamment au banjo cinq cordes et à la guitare.

Après leur premier projet en 2019, Look down the road, qui reposait sur le bluesman Skip James, Horla revient à Malguénac pour défendre sa lecture intense de Brigitte Fontaine, cette artiste fascinante aux mille facettes et aux mille esthétiques, autant punk que hippie, autant irrévérencieuse qu’amoureuse de la vie et de l’art. Le répertoire choisi repose surtout sur la période Jacques Higelin et Areski Belcacem, même si une grande partie de la carrière de l’artiste est couverte. Les arrangements sont tous d’une grande sensibilité, très élaborés, suscitant une émotion intense en reposant souvent sur la fragilité la plus essentielle d’une simple corde vibrant au contact d’une corde vocale, la substantifique moëlle de la musique, la chaire nue du langage sonore. Les voix de Pauline Willerval et Jacques Tilsey, le banjo, la guitare, le violoncelle ou la gadulka, tout est vibration, une vibration qui touche au plus profond et qui fait du bien, sur les paroles pourtant souvent sombres de la chanteuse, ou tout au moins sarcastiques, mais tellement justes pour parler du monde, ce monde où il fait froid.

C’est cette maîtrise dans la fragilité ainsi que la construction très réussie du programme, le choix des morceaux (des tubes attendus, « L’Auberge », « Conne », « Cet enfant que je t’avais fait », « Comme à la radio », comme des morceaux moins connus, « Le Grand-Père », « Matriarcat », etc.), les petits intermèdes bien pensés, parfois des petits bouts de chanson évoqués (« C’est normal »), les citations d’interviews et l’humour des deux musicien·ne·s qui ajoute encore à l’irrévérence et au décalage de Brigitte Fontaine et qui font que, finalement, le moment choisi pour le concert d’Horla est idéal.

La musique d’Ishkero exalte un parfum de fusion porté par le naturel et la simplicité d’une génération de musiciens qui a oublié depuis fort longtemps toutes les frontières opaques et sclérosantes entre les genres musicaux, et qui revendique un jazz progressif. Elle est mâtinée d’électronique et d’effets multiples et transpire, il faut dire, la joie de vivre, la joie du live et de l’improvisation débridée sur des rythmiques groove. Elle ne se refuse jamais les séductions d’un lyrisme entraînant et léger, comme si tout coulait de source, dans le souffle d’un vent optimiste.

Cependant, et c’est principalement dans le live que cela se constate, Ishkero ne renie pas pour autant les longues montées orgiaques, les climax explosifs et la jubilation des improvisations débridées, pas plus que les longues plages ambient et atmosphériques. Il faut dire que ces musiciens, si jeunes soient-ils (moins de la trentaine) jouent depuis très longtemps ensemble : le groupe est né en 2014 (et oui !), et ses prémices remontent même à 2011 (un stage de musique à Barcelonnette). Au niveau personnel, ce type de mélodies fraîches et allègres n’est habituellement pas ma tasse de thé. Mais le corps qu’elles prennent en live, le plaisir à jouer ensemble que démontrent les musiciens, leur complicité, leur cohésion et l’évolution extatique des thèmes m’emportent complètement d’un bout à l’autre du concert.

Ce quintet est porté par Adrien Duterte à la flûte traversière et aux percussions, Victor Gasq à la guitare électrique, Arnaud Forestier au Fender Rhodes (largement agrémenté de multiples effets), Antoine Vidal, remplacé ce soir-là par Romain La Baye, à la basse électrique et Tao Ehrlich à la batterie. Ce batteur impressionne par son groove, son énergie, son efficacité, sa précision, associé à la basse souvent funky de Romain La Baye (avec une seule répétition, c’est une fort belle prestation !). Ce concert euphorisant repose sur le premier album d’Ishkero, sorti en février 2023, Shama, un mot indien qui s’utilise pour qualifier quelque chose « d’une grande beauté ». Bien vu !

Guillaume Kosmicki

Vous pouvez écouter les interviews de Guillaume Kosmicki sur RBG (Radio Bro Gwened) :
– Horla, Lecture amoureuse de Brigitte Fontaine
– Ishkero, La joie de vivre, la joie du live 

Photos © Ysa Gudule

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