Ce rite de passage d’une année à l’autre, symbole de continuité plus que de discontinuité, où nous aimerions tout changer sans que rien ne change vraiment, nous plonge parfois dans une douce mélancolie… avant que le cycle de nos vies ne nous jettent dans la marmite du quotidien. Alors, en attendant la prochaine boucle temporelle, laissons couler du miel dans nos oreilles.
De la part de Guillaume Kosmicki
« Consummation » de Nina Simone (Silk and Soul, 1967)
Silk and Soul de Nina Simone est devenu instantanément un album de chevet quand je l’ai découvert, il n’a jamais quitté ma platine. Ce disque est parfaitement équilibré dans ses thèmes, entre chansons politiques et chansons d’amour, comme dans ses esthétiques. Nourri aux sources des musiques africaines-américaines autant qu’à celles de la musique classique, notamment les œuvres de Jean-Sébastien Bach, il regorge d’arrangements pop riches et délicats, écrits par Sammy Lowe. Ainsi se présente le morceau « Consummation », une chanson d’amour teintée de spirituel et d’aspiration à la joie et à la paix. La voix déchirante de Nina Simone évolue de la douceur jusqu’au cri sur un édifice orchestral contrapuntique, construit progressivement depuis la clarinette jusqu’aux timbales qui achèvent l’album en apothéose. Au moment où elle écrit cette chanson, Nina Simone est au plus fort de son combat pour la cause des droits civiques des Noirs. Elle va s’y brûler les ailes.
De la part de Michèle Tosi
Jardin Zen (1999) d’Allain Gaussin.
Œuvre mixte pour clarinette et sons fixés, Jardin Zen d’Allain Gaussin, est une méditation sur le vide, entre ce qui est fixe et ce qui est changeant, pour rechercher l’essence même de la vie et tenter d’atteindre le Satori (l’illumination suprême). L’œuvre tente de capter l’atmosphère singulière que dégage le célèbre jardin du temple Ryoan-ji de Kyoto à travers le vécu du compositeur très attaché à la spiritualité de la culture japonaise. Jardin Zen est dédié à Gérard Grisey décédé en 1998.
De la part de François Mardirossian
Hayi Achqer (Yeux arméniens) de Robert Amirkhanyan
Cette chanson du compositeur et chanteur Robert Amirkhanyan est un tube en Arménie au même titre qu’Avec le temps de Léo Ferré. Elle raconte poétiquement le sentiment arménien, fait de souffrance et de piété. Une actualité en chassant une autre, cette magnifique chanson est là pour ne pas faire une nouvelle fois sombrer l’Arménie dans l’anonymat.
Les yeux des Arméniens sont des flambeaux d’espoir
Ton ciel ne s’assombrira plus
La porte de l’aube s’est ouverte
Remplissez notre terre de lumière
De la part de Sandrine Maricot Despretz
“Vapours” (Of Shadow and Substance) de Lea Bertucci, pour quatuor et électronique.
C’est grâce à l’excellent Quartetto Maurice, qui m’a enchanté pendant le festival Mixtur en 2023 à Barcelone, que je découvre presque en même temps que vous le travail d’orfèvre de la compositrice et artiste sonore, Lea Bertucci. Installée à New York, Bertucci n’aime rien tant que d’explorer en musique, improvisée ou écrite, avec son saxophone ou sur bandes, des lieux atypiques en y créant de longues lignes musicales fluides et mouvantes. « Vapours », ce sont justement, ces notes contemplatives, semi-improvisées, mêlant les quatre instruments à cordes en un flot bourdonnant, dérivant de la consonance à la discordance dans des grappes harmoniques, qui nous transmet cet état de passage d’un tumulte volatile à une langoureuse transe brumeuse…
De la part de Txema Seglers
Arrebato de Luis Eduardo Aute
Aute, homme de la renaissance, est une figure incontournable pour comprendre comment la musique et les paroles s’unissent en un organisme solide, profond et sincère. Sa longue discographie témoigne d’une recherche constante de la beauté, du mystère de l’âme humaine et de l’érotisme, refusant toujours de se répéter et misant, à chaque nouveau pas, sur l’imagination et l’art. J’ai choisi cette chanson pour une raison précise : non seulement elle me semble être l’une de ses meilleures créations, mais aussi parce que ce morceau nous transmet le plaisir et le désir de vivre, en tâchant de laisser derrière soi les vieilles rancunes et les vieilles misères. Dans un monde de plus en plus violent et cru, plongé dans l’aveuglement de la guerre, je retiens ce qu’Aute exprime dans cette belle chanson en crescendo : “Avec toi je retrouverai le sens du duel entre contraires et je perdrai ce que je ressentais/ aimer l’adversaire…”.