Paysages de la création en Grand Est

Concerts 28.11.2023

La deuxième édition des Journées de la création musicale en région Grand-Est (du 22 au 24 novembre) organisée par la PfMC (Plateforme des Musiques de Création) et la Cité musicale-Metz en partenariat avec le Centre Pompidou Metz, investit les espaces de l’Arsenal durant trois jours où rencontres, tables-rondes et concerts ouverts à tous mettent la création au centre du débat et en décryptent les enjeux et les réalisations. Retour sur les concerts du 23 novembre en compagnie de son président, et compositeur, Hervé Birolini.

Hervé Birolini, vous avez pris la présidence de l’association PfMC. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots cet organisme?
Il rassemble aujourd’hui plus de 70 membres, compositeurs, improvisateurs, instrumentistes attachés à divers lieux, ensembles ou festivals de la région Grand Est. Parmi les membres actifs du bureau, nous avons Emmanuelle Pellegrini, directrice du festival Densités, Raoul Binot, ex-directeur du Conservatoire de Bar-le -Duc, François Bousch, ex-directeur / fondateur du Cefedem de Lorraine (2000-2011) et Michèle Paradon, notre vice-présidente et directrice artistique de l’Arsenal. La plateforme est un lieu de réflexion, d’échange et de partage d’expériences en lien avec les professionnels afin de diffuser les œuvres nouvelles et d’élargir le public de ces musiques. 

Comment avez-vous envisagé cette deuxième édition des journées de la création musicale en Grand Est?
Nous n’avons pas cette année de thématique mais plutôt l’envie de rendre compte du foisonnement de la création dans le Grand-Est ; nous vivons une époque de synthèse où les courants, les supports, les disciplines se croisent et convergent. Nous avons voulu montrer cette effervescence et cette diversité des approches : comment l’instrument traditionnel qu’est le cymbalum peut rencontrer la source électronique ; comment une plasticienne peut se préoccuper du sonore et développer sa pratique à partir de ce matériau, comment la musique s’associe au corps, au geste et à la danse…

Journées de la création musicale #2 – Jour 1 from Plateforme des musiques on Vimeo.

Comme l’année dernière, l’accent est mis sur la jeune génération et les lieux de formation.
Nous nous sommes intéressés cette année à la place des musiques de création dans les établissements supérieurs d’enseignement artistique. Professeurs et étudiants des CRR (Conservatoire à Rayonnement Régional) et pôles supérieurs de Metz Métropole, Reims, Strasbourg (HEAR) ainsi que celui de Paris Boulogne-Billancourt (PSPBB) étaient invités à s’exprimer et à débattre avec le public sur les modalités de cet enseignement et la diversité de ses approches, un état des lieux prolongé par les mini-concerts des étudiants qui font entendre leurs travaux. 

D’actualité également, ce dispositif de présentation de projet
En effet en collaboration avec l’Agence Culturelle Grand Est et Anaïs Roesz, nous avons monté un EDA (Espace de Découverte Artistique) pour lequel, nous avons fait un appel à projet durant l’année. Sur une trentaine de propositions artistiques reçues, six ont été retenues par un comité de sélection et ont été présentées à une vingtaine de professionnels du grand Est présents sur place. Chaque artiste ou compagnie sélectionnée pouvait présenter oralement, sous forme de vidéo mais aussi jouer un extrait du projet en cours, donnant plus d’impact à sa présentation.

Est-ce que d’autres pistes sont encore à creuser qui pourraient faire l’objet des éditions prochaines ?
Dans l’immédiat, c’est la question de l’internationale qui nous anime ; nous avons dans un premier temps réuni les forces du Grand Est en constituant un réseau que l’on stimule pour que les choses circulent à l’intérieur. Nous aimerions, aujourd’hui, dépasser ces limites et profiter de l’aspect transfrontalier du Grand Est (Allemagne, Luxembourg, Suisse et Belgique) pour agrandir notre champ d’action ; une chose que les élus et les politiques commencent, semble-t-il, à voir d’un bon œil. 

Journées de la création musicale #2 – Jour 3 from Plateforme des musiques on Vimeo.

En journée 

Après une matinée consacrée à la place de la création dans l’enseignement supérieur, les jeunes créateur.trice.s présentent leurs œuvres et les interprètent durant l’après-midi. S’il n’est pas possible de rendre compte de toutes les propositions musicales des étudiant.e.s, soulignons d’abord, s’agissant du CRR de Reims, la présence de l’Ensemble Alquimia. Fondé au sein de l’établissement, il regroupe compositeurs, interprètes (qui composent également) et chefs d’orchestre (qui dirigent leur partition et celles de leurs camarades). Parmi les cinq pièces à l’affiche, Le chemin du sensible de Noémie Szczur, pour voix, quatuor à cordes, électronique et vidéo retient toute notre attention au vu de l’originalité de sa trajectoire. La pièce est dirigée par Maxime Maffre qui présente sa propre pièce mixte, Errance, mâtinée de jazz, mettant les voix des instrumentistes à contribution. Parmi les étudiants du CRR de Metz Métropole, Jan Ulbrich (compositeur et violoniste) au côté de la soprano Louise Decreux et le clarinettiste Rémi Toussaint se distingue avec Three Poems of Emily Dickinson dont il communique l’étrangeté de l’univers. Avec son saxophone baryton et l’énergie du souffle qu’elle déploie, Noa Mick donne sa pleine envergure à la pièce de Giovanni Montiani (CRR de Strasbourg), Ta beauté, exigée par le monde futur (dédiée à Marilyn Monroe).

Dans la salle de l’Orangerie, les flûtes d’Ayako Okubo et le set de percussions d’Olivier Maurel (ensemble HANATSUmiroir) côtoient l’Organous de Léo Maurel (le frère), un orgue tentaculaire, piloté par ordinateur, spatialisé et transportable, pour lequel ont composé deux des trois doctorants de l’HEAR de Strasbourg dont on entend le travail en fin d’après-midi : mixité des sources dans Infra-tempus, une pièce du chilien Matias Rosales dont l’écriture instrumentale très colorée et microtonale est nappée par le flux quasi continu de l’organous. Memento Mori de Daphné Hejebri met sur scène la monumentale flûte contrebasse et les sonorités inouïes qu’en tire Ayako Okubo. La pièce toute en finesse sculpte une matière très plastique dans l’intersection du souffle et de la percussion. Le brésilien Sergio Rodrigo met davantage en relief la diversité des tuyaux de l’Organous dans Abre Caminos, une pièce encore en chantier entretenant une complexité rythmique entre les trois sources sonores en présence. 

Florent Caron Darras, né en 1986 au Japon, est compositeur en résidence à l’Arsenal. Il présente son installation Mersion dans l’espace de Saint-Pierre-aux-Nonnains, un lieu de culte désacralisé adossé à l’Arsenal où le public est convié à 18h30. Utilisant la technologie ambisonique (microphone 3D), le compositeur a posé ses micros dans le Parc du Marquenterre, dans la forêt de Brissac et sur le littoral atlantique ; autant de field recordings retravaillés voire réinterprétés par synthèse sonore pour modeler un flux qui joue sur l’ambiguïté du réel et du virtuel : « Entre concret et abstrait, entre vivant et machine […], Mersion ouvre une infinités de lieux dans le lieu », écrit-il dans sa note d’intention. L’expérience d’écoute immersive, à la faveur des huit enceintes disposées sur le pourtour de la nef, est magnifiée par l’espace de déambulation.

En soirée

En entrée libre, deux spectacles à l’Arsenal clôturent cette deuxième journée de la création musicale : dans le studio du Gouverneur d’abord, NOOR (la lumière en arabe et en persan) consacre la rencontre de la musique et de la danse, du son et de la lumière. La performance s’inscrit dans le cadre de la résidence de la compagnie marocaine Col’Jam au festival Densités d’Emmanuelle Pellegrini.
À cour, la percussionniste Elisabeth Flunger manipule à mains nues un set essentiellement métallique : ça ferraille et ça remue, de la friction au chaos… Dissimulée par un drap blanc, la danseuse (Ahlam El morsli) n’apparaît que progressivement sous une lumière qui joue avec le personnage et les éléments du décor, entre apparitions, surimpressions, diffractions et illusions : un travail très fin de mapping du vidéaste Thierry Vallino qui créé l’aura d’étrangeté de cette proposition pensée autour de la lumière.
La lumière, celle de Raphaël Siefert, est elle aussi convoquée dans Shades, sept états entre l’ombre et la lumière, réunissant la compositrice japonaise Malika Kishino, la danseuse et chorégraphe Noëllie Poulain, le danseur Yon Costes et le duo Ayako Okubo / Olivier Maurel (HANATSUmiroir).

« Nous trouvons la beauté non pas dans la chose elle-même mais dans le motif de ses ombres, de la lumière et des ténèbres ; sans les ombres il n’y aurait pas de beauté », écrit Jun’ichirō Tanizaki dans son ouvrage Éloge de l’ombre (1933). Ainsi les sept tableaux de Shades (Nuances) nous font-ils accéder à cet univers de l’ombre et de la beauté, installant à cour et à jardin les deux instrumentistes qui émergent de l’obscurité comme au sortir d’une grotte. La riche partition de Malika Kishino découvre un large spectre de sonorités, atmosphères, couleurs que les deux instrumentistes déploient avec une virtuosité et un raffinement du timbre qui ravissent : du piccolo au solo de flûte contrebasse pour Ayako Okubo dont la performance est hors norme. Celle d’Olivier Maurel ne l’est pas moins, dont l’instrumentarium imposant intègre des sonorités spécifiques comme cette cymbale chinoise et ses glissades exotiques. La lumière joue avec les ombres des deux danseurs dans une chorégraphie qui balance entre contorsion (la plastique du corps de Noëllie Poulain) et danse au sol butō. On se laisse embarquer dans ce voyage aux multiples visages où opère la synergie des sons, des gestes et de la lumière.

Journées de la création musicale #2 – Jour 2 from Plateforme des musiques on Vimeo.

Reportage de Michèle Tosi

L’Arsenal, Cité musicale-Metz, le  23-11-2023 (Jour 2)
Journées de la création musicale en Grand Est organisée par la PfMC (Plateforme des musiques de création) : Filippo Zapponi, André Serre-Milan, Tom Mays et Ivan Solano ; Paul Ramage : professeurs ; Antoine Alcaraz, Éloi Pétillon, étudiants du PSPBB : musique électronique live.
*14h-16h : œuvres d’Emmanuel Cavallo, Camille Hypach, Pio Terreaux, Noémie Szczur, Maxime Maffre (CRR de Reims) ; Jan Ulbrich, Rémi Toussaint, Pascal Lorenzini, Junyoung Kim (CRR Metz Métropole) ; Simon Louche et Ulysse Gohin ; Abla Alaoui ; Giovanni Montiani (CRR de Strasbourg et Hear).
*16h-18h : œuvres de Matias Rosales, Daphné Hejebri, Sergio Rodrigo. HANATSUmiroir : Olivier Maurel et Ayako Okubo.
*20h : Studio du Gouverneur : NOOR par la Compagnie Col’Jam : Elisabeth Flunger, percussions ; Ahlam El morsli, danse ; Thierry Vallino, mapping vidéo.
*21h : Salle de l’Esplanade : HANATSUmiroir : Shades, sept états entre l’ombre et la lumière ; Malika Kishino, composition ; Noëllie Poulain, chorégraphie et danse ; Yon Costes, danse ; Ayako Okubo, flûtes ; Olivier Maurel, percussions ; Raphaël Siefert, lumière et vidéo ; Julien Meyer, son.

Photos © Fabien Darley
Photos © Raoul Binot

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