Quand on a vu sur scène la gambiste, flûtiste et compositrice Eva Reiter, on s’en souvient, tant l’engagement dans le geste et la pensée musicale est fort et entier. Or cet électrochoc de la perception est en lien direct avec sa façon de vivre la musique, intensément.
Quand je pense à toi Eva, j’ai tout de suite à l’esprit une incroyable diversité d’univers.
D’un côté la viole de gambe et la flûte à bec, que tu as d’abord explorées dans la musique ancienne, de l’autre côté l’expérimentation, à l’intérieur d’ensembles de création tels que Ictus ou Klangforum. D’un côté aussi, une Eva Reiter interprète des œuvres, de l’autre une Eva Reiter compositrice. Le programme “Darker than black” que tu as proposé au festival de Royaumont en 2022 avec deux autres musiciens de l’Ensemble Ictus Theresa Dlouhy et Tom Pauwels, programme où tu jouais de la musique ancienne anglaise, mais aussi des oeuvres contemporaines et ta propre musique, ce concert donc est une belle illustration de ton travail en rhizome.
Comment trouves tu ton chemin au milieu de toute cette diversité ? Où se situe le point d’équilibre ?
Je ne sais pas si l’on peut parler d’équilibre mais c’est devenu au fil des années une forme de mouvement de balancier ou de spirale, qui me permet – justement à travers cette diversité – de modifier ma perspective artistique sur des périodes longues et bien distinctes.
J’ai compris aussi avec le temps que les domaines de mon activité artistique ne s’opposent pas, ne s’annulent pas l’un l’autre, mais au contraire se répondent et se stimulent réciproquement. Mon contact avec les stratégies de la composition m’offre un regard différent sur des œuvres nouvelles quand je suis interprète. D’ailleurs, cela vaut aussi pour mon activité d’interprétation de la musique ancienne (Renaissance et baroque): l’étude des stratégies compositionnelles de cette époque et les formes de notations de l’époque ont été très enrichissantes.
De la même manière quand je compose, je prends toujours en considération les logiques de technique instrumentale, l’aspect performatif, dans le sens d’une pratique de l’exécution (ou d’interprétation) ; ce qui veut dire que j’essaie moi-même sur l’instrument chaque geste musical introduit par l’idée compositionnelle, et cela pour être sûre qu’il soit réalisable.
J’ai été formée dans mes jeunes années comme gambiste et flûtiste, c’est vrai, mais parallèlement à cet apprentissage, j’ai aussi étudié le piano, le clavecin, la basse continue, la direction et le chant. Le bagage technique que j’ai acquis comme soufflante et instrumentiste à cordes, ajouté à mes connaissances dans les autres domaines, s’est avéré d’une grande aide pour approcher d’autres instruments, au moment où l’on m’a commandé l’écriture de pièces pour des formations les plus diverses.
Aujourd’hui je me réjouis beaucoup de n’avoir pas choisi une activité au détriment d’une autre. J’adopte pour des périodes bien définies différentes perspectives, je vais à chaque fois au cœur des choses, et peut-être même plus qu’autrefois. La composition est un travail si solitaire ! Je ressens très vite l’urgence de me retrouver avec d’autres dans des formations très différentes pour faire de la musique, précisément pour compenser cette solitude.
Pendant mes études, cette diversité d’activités m’a parfois pesé. J’avais le sentiment qu’il fallait me décider pour une voie, par manque de temps tout simplement. En même temps, je me sentais incapable de prendre une telle décision.
Aujourd’hui, il est devenu beaucoup plus naturel d’évoluer parallèlement dans différentes disciplines de la musique. Dans la jeune génération, on ne compte plus les musicien.nes qui sont à la fois compositeurs/compositrices et interprètes. Je pense que c’est très juste et bien ainsi ! Mais à l’époque de mes études à Vienne et Amsterdam, il y en avait peu qui essayaient de suivre les deux voix en parallèle.
Cette envie d’accumuler les savoirs et les techniques m’est venue naturellement : c’était une façon de me libérer d’une certaine forme d’impuissance et de dépendance. Il m’est apparu de plus en plus vital en tant qu’artiste non seulement d’acquérir des connaissances en tant qu’interprète, improvisatrice (car j’ai beaucoup pratiqué l’improvisation) et compositrice, mais aussi dans le domaine des techniques du son, de la performance… Tous ces rôles sont importants, si l’on veut comprendre ce qu’est vraiment la musique.
Comment t’est venue l’envie de composer ta propre musique ? Tu te souviens de l’impulsion première ?
Avant de choisir la composition, j’avais passé beaucoup de temps avec un certain nombre de collectifs d’improvisation de Vienne, Berlin, Amsterdam et Londres. Ces collaborations m’ont offert la possibilité de travailler très jeune – je n’avais pas 20 ans ! – avec des musicien.nes d’univers très différents.
J’ai joué avec des musiciens tels que Franz Hautzinger, Burkhard Stangl, le Groupe Wandelweiser, Koen Nutters, Matthias Engler et Morton J. Olsen à Amsterdam, Christoph Kurzmann, Ken Vandermark, Martin Brandlmayer et Clayton Thomas, John Butcher, Chris Burn et quelques autres.
C’était une période formidable de ma vie ! J’étais réellement fascinée par les processus cognitifs de décision collective, et aussi par la précision, la rapidité, la virtuosité du travail instantané dans la “composition en temps réel” proposée à plusieurs. Cela donnait parfois des concerts ennuyeux, d’autres carrément horribles, mais il y avait aussi des moments de grâce dans cette façon de créer de la musique collectivement dans l’instant.
À un moment donné, j’ai ressenti le besoin de réellement formuler les processus musicaux et de prendre à l’avance les décisions d’ordre artistique. Je voulais changer l’angle de vue et explorer un monde nouveau que nous n’arrivions pas à atteindre – me semblait-il – par l’improvisation.
Les idées compositionnelles sont devenues alors de plus en plus concrètes, si bien que j’ai commencé à écrire des esquisses, que j’ai enrichies de toutes les recherches de matériaux accumulées lors de ma longue pratique d’improvisatrice.
Je voulais explorer plus avant et plus diversement les processus fascinants de rapidité et virtuosité, les phénomènes formels de compression et d’augmentation que j’avais approchés de façon toujours renouvelée dans le contexte de l’improvisation. Très longtemps, j’ai mis en arrière-plan ces travaux, car je ne me faisais pas suffisamment confiance. Mais un jour, j’osai montrer à mon professeur de flûte à bec de l’époque Walter van Hauwe quelques-unes de ces partitions. Non seulement il m’encouragea à poursuivre dans cette voie, mais il mit tout de suite l’une de mes compositions au programme d’un concert du conservatoire. C’est comme cela que tout a commencé.
Lorsque j’écoute ta musique, je suis toujours frappée par les qualités de contraste, de puissance de ton univers de compositrice, un monde où les sons électroniques ont aussi leur place, ainsi que la voix, la respiration, les mots. Je sens aussi une énergie qui dans mon esprit est plus reliée à la pop ou au rock qu’à la musique dite contemporaine. Est-ce que je me trompe ?
Les impressions personnelles ne sont jamais fausses…
Je fais partie de ce genre d’humains qu’on pourrait qualifier de toujours intranquilles, ou pour le formuler plus positivement, de ces humains mus par une énergie constante, un “drive”. C’est sans doute lié à une relative incapacité à me protéger des excitations du monde extérieur, une forme d’hypersensibilité si l’on veut. Cet état fondamental de perception aiguë du monde proche peut être stressant, mais il a aussi de grands avantages.
Enfant déjà, j’étais très active : je créais tous azimuts, peintures, sculptures et musiques, car j’avais réalisé très tôt que je n’arrivais à trouver une certaine paix intérieure que dans le processus créatif.
Quand j’étais adolescente, je trouvais mes frères d’âme dans des groupes comme les Pink Floyd, Aphex Twin, Metallica ou Iron Maiden. J’étais de façon tout à fait consciente à la recherche des faces obscures de ces groupes et du monde en général, comme beaucoup d’enfants de mon âge, qui au fond avaient une vie confortable et heureuse. J’étais fascinée par la pression, l’intranquillité, l’ivresse et la violence qu’exerçaient ces sons sur moi.
C’est de là que vient l’énergie, l’intranquillité, la force qui imprègnent mes compositions.
Les outils électroniques ont joué dès le début un rôle important. Quand j’ai commencé dans la composition, mon idée première était avant tout de produire grâce à des préparations sur les instruments des sons caractérisés par une structure brute et binaire, finalement des sons dont on aurait pu imaginer qu’ils avaient été produits par l’électronique. À ce moment-là, je travaillais surtout sur des sons du quotidien, des sons de ville ; une citerne, le bruissement d’un conduit de ventilation, des bruits de moteur, d’imprimantes, de photocopieurs, d’ascenseurs, et d’escaliers mécaniques. Rien à voir avec mon travail actuel, beaucoup plus épuré et concentré, néanmoins la pression est toujours là !
Dans mon évolution artistique, au fil des années, des lignes de force esthétiques se sont peu à peu dessinées : à travers elles, j’observe le monde et tente d’en proposer un reflet artistique. Mais ce faisant, je suis toujours guidée par une forme de résistance intérieure sur laquelle je dois travailler.
Je suis insatiable : j’ai envie de découvrir chaque jour de nouveaux territoires totalement inconnus et pour lesquels je n’ai pas le mode opératoire. J’essaie de créer des espaces qui sont exploratoires et dans lesquels il est peut-être possible – en tout cas je l’espère – de rencontrer de l’imprévisible.
Comment es-tu venue à la musique contemporaine ? Tu as commencé en jouant de la musique ancienne pourtant…
Oui, mon identité sociale comme musicienne-instrumentiste, s’est construite principalement dans le champ de la musique ancienne. Mes tout premiers contacts avec l’univers des sons se sont faits à travers la musique de la Renaissance et la musique baroque, bien avant d’entrer en relation avec l’univers de la musique contemporaine. Mes années d’apprentissage à Vienne et Amsterdam – où j’ai étudié la flûte à bec et la viole de gambe dans le département de musique ancienne – ont néanmoins toujours été imprégnés par un intérêt brûlant pour le langage de la musique contemporaine. À cette époque, je suis tombée sur un certain nombre de compositions contemporaines pour flûte à bec – et beaucoup moins malheureusement pour viole de gambe – qui à mes yeux malheureusement n’avaient pas une valeur impérissable. Par ailleurs j’avais du mal à trouver le lien entre elles. J’ai donc commencé à intensifier mes recherches, à travailler avec des compositeurs/trices et à composer moi-même. J’explorais de façon intensive les riches possibilités sonores de la flûte Paetzold, un instrument qui n’a pas grand chose à voir avec ce qu’on imagine, quand on pense à la famille des flûtes à bec.
Et comme il n’y avait pas de catalogue de techniques de jeu contemporaines pour la viole de gambe – en Autriche, j’étais vraiment la seule à m’y intéresser, et à Amsterdam je partageais cet intérêt avec seulement une collègue – j’ai commencé à collaborer avec des violoncellistes, de façon à transposer les techniques existantes pour cet instrument à la viole de gambe, tout en les adaptant et les développant.
Je crois savoir que l’univers sonore de Fausto Romitelli a eu une influence sur ta musique. Quelles autres grandes influences as-tu reçues ?
Quand j’ai commencé à explorer les richesses de la flûte Paetzold contrebasse, bien entendu je suis tombée directement sur la pièce de Fausto Seascape composée en 1994. Aujourd’hui encore, elle représente à mes yeux la pièce la plus intéressante et innovante pour cet instrument. Elle m’a ouvert beaucoup de chemins. J’ai passé des heures, des semaines, des mois à explorer cette composition. J’étais littéralement envoûtée et fascinée par sa richesse et sa diversité sonore, par la précision compositionnelle et le geste musical entêtant qui habitait la partition. Je me suis enregistrée jouant cette pièce, et ai envoyé la prise à Romitelli, qui a répondu par courrier avec beaucoup d’enthousiasme et d’encouragements. Cette lettre, d’une certaine façon, a changé ma vie !
Après cela, sa musique a été de plus en plus présente dans mes activités de musicienne car j’ai découvert, et c’était une sacrée expérience, à quel point il avait trouvé son propre chemin au sein des univers sonores bruissants et dystopiques et comment il s’en était détaché à sa façon. Le penchant pour la face sombre, ténébreuse de notre identité m’était familier à cause de la quête qui m’animait, donc son univers sonore m’a captivée d’emblée. On est restés en contact, je lui ai envoyé une série d’enregistrements de sons de viole de gambe. En 2004 Fausto Romitelli a reçu une commande de Wien Modern ; une création pour guitare électrique, viole de gambe et électroniques, grâce à laquelle nous sommes restés en contact quelques temps encore, avant qu’il ne soit tragiquement arraché à la vie, bien trop jeune.
Dans mon évolution de musicienne, il y a eu peu d’expériences sonores qui m’aient à ce point galvanisée, rendue euphorique de sons, et autant influencée. J’en évoquerai malgré tout quelques-unes : dans mes années d’études une interprétation live des Fantaisies pour consort de violes de Purcell, la collaboration avec le collectif Wandelweiser, quelques pièces de Georges Aperghis, qui m’ont beaucoup fascinée, et justement la musique de Fausto Romitelli, en particulier An Index of Metalls, dont je me sens très proche.
D’une certaine façon, ces expériences d’écoute m’ont encouragée à suivre ma voie.
La composition a toujours été pour moi un moyen de proposer une utopie, une forme de réalité imaginaire, un scénario alternatif, que l’auditeur peut recevoir et laisser travailler en lui. Quand, au cours du travail, je me heurte à une situation inconnue, cela me stimule plus que cela me déroute : je sais alors que je suis sur la bonne voie.
Parfois tu chantes, tu utilises ta voix. Est-ce que tu considères cette pratique comme un prolongement de tes instruments ? Est-ce une façon d’introduire le langage, le sens, ou plutôt juste une respiration, un souffle ?
Le monde de l’expression vocale est de tous les moyens formels à notre disposition pour donner forme aux idées musicales, celui qui exerce sur moi la plus grande fascination, aujourd’hui encore. C’est dû sans doute à mes premiers points de contact avec la musique, à savoir le langage polyphonique de la renaissance anglaise et italienne, et l’esthétique unique en son genre de la musique baroque, monde dans lequel je suis entrée très jeune et qui a imprégné fondamentalement toute ma compréhension de la musique. Cette musique a marqué de son empreinte toute mon évolution, notamment dans le domaine de la rhétorique musicale et de l’articulation détaillée du geste instrumental. Très tôt aussi, on m’a appris à joindre ma voix à la flûte à bec et à la viole de gambe, de façon à ce qu’elle soutienne l’intelligibilité textuelle des voix que j’accompagnais. Et même lorsque la pièce que je jouais n’était pas vocale, je devais articuler mon jeu comme si je disais un texte moi-même.
J’ai toujours trouvé cela très juste. Aujourd’hui encore cette idée joue un rôle fondamental dans ma compréhension des langages musicaux contemporains. Le matériau vocal n’est pas seulement là comme extension de l’instrument; il offre aussi la possibilité de transposer l’articulation instrumentale directement dans la parole, et vise versa.
C’est ce que j’ai fait par exemple dans Konter, en rapprochant au plus près la flûte du mégaphone et en développant des règles “orthographiques”, de sorte que toute la partie de flûte prend la forme de mots, de syllabes sonores. Quoi que je fasse, j’arrive toujours à une manière de phraser qui s’inspire de la parole humaine, de ses sonorités et de sa forme mélodique.
Dans Noch sind wir ein Wort… und Wächter, les musiciens sont équipés de tuyaux harmoniques accordés chromatiquement qu’ils peuvent agiter dans l’air mais dans lesquels ils peuvent aussi souffler, parler, crier et chanter.
Dans les Lichtenberg Figuren, j’investis la voix dans de multiples variations et déclinaisons, comme vecteur de narration, mais aussi de façon instrumentale sans intervention de signifié. De plus, grâce à l’ajout d’effets, la voix est sans cesse modifiée : à certains moments, elle est si haute que cela devient cocasse, à d’autres moments au contraire elle est beaucoup trop grave, et vient s’opposer à l’image de la chanteuse. Cela permet de jouer sur une large palette d’identités possibles.
En ce moment, je travaille avec le chorégraphe belge Michiel Vandevelde sur la création d’une pièce de théâtre musical expérimental The Rise. L’un des protagonistes de la pièce incarne un jeune sourd, Ruben Grandits, qui est le seul humain à pouvoir communiquer l’histoire au public, malgré son handicap. Il nous “parle” avec le langage des signes international, et ses signes sont le point de jaillissement du monde des sons et des mouvements. Ses mouvements sont traduits en langage, et sont le point de départ pour la ligne instrumentale. Grâce à la traduction et la recontextualisation des gestes, symboles, signes et sons, de nouveaux langages sont créés, qui finissent par modifier notre compréhension d’un monde donné. Car aussitôt que surgit un message qui se situe entre langage des signes, son, mélodie ou mouvement, il agit comme un écho retardé (ralenti) avec une distorsion de sens inévitable.
Pendant deux ans, grâce au projet de recherche artistique Transforming Instrumental Gestures soutenu par la ville de Vienne, j’ai pu développer et faire construire une série d’instruments nouveaux dont le but premier est de transposer le mouvement en son.
Comme la plupart de ces instruments supposent un travail collectif au niveau de la production des sons, ils amènent aussi de nouvelles formes de faire-ensemble. Il y a par exemple un monocorde de tuyaux de 7 mètres, un “Inside piano” sur des roues, une pompe pneumatique géante, 300 tubes résonants chromatiques, un tuba-octopus géant, qui se prolonge jusque dans les rangs du public, un sol sonorisé réactif, qui sert aussi de mur et de table, des plaques de métal suspendues, des trompettes artisanales, et quantité de boîtes à sons.
Peux -tu me dire en quelques mots en quoi consiste ton travail au quotidien, toi qui passes ton temps à expérimenter sur différents plans : techniques de jeu, préparation, combinaison avec dispositifs électroniques, conception de nouveaux instruments ?
Je citerai volontiers le sociologue Antoine Hennion : “ Pour arriver au cœur des choses, il faut rester à leur surface”. Cette maxime est au centre de mon travail artistique.
Lorsque je commence à travailler sur une nouvelle pièce, toute mon attention se porte pendant des semaines, des mois même, sur l’instrumentarium, que parfois je construis moi-même. J’expérimente les sons, je retiens certaines trouvailles, j’en abandonne d’autres : de plus en plus, je m’aperçois que cette lente prise de contact directe avec les sources sonores par l’improvisation m’ouvre des voies nouvelles. Ma double formation de “soufflante” et instrumentiste à cordes me vient en aide naturellement, car j’ai accumulé beaucoup de réflexes physiques sur de nombreux instruments. L’apprentissage technique d’un instrument, la prise en main de sa surface, permet ensuite d’entrer dans la matière du son.
Tu joues au sein de l’ensemble Ictus depuis 2015. Que représente pour toi cet ensemble ? Je crois savoir que tu as aussi une responsabilité artistique dans l’ensemble ?
Ma collaboration avec le guitariste Tom Pauwells de l’ensemble Ictus date du moment où Wien Modern a fait cette commande à Fausto Romitelli que j’évoquais tout à l’heure (2004) et qui malheureusement n’a jamais pu se concrétiser. Néanmoins, cela m’a permis de rencontrer Tom car nous avons pris part tous les deux au concert-hommage pour Fausto organisé au Konzerthaus de Vienne : nous avons créé ensemble un duo de Paolo Pacchini et joué Trash TV Trance et Seascape. Ce concert d’hommage à la mémoire de Romitelli a été le point de départ d’une longue collaboration avec Tom, en duo, en trio et avec Ictus. Depuis presque vingt ans, la collaboration avec Tom est devenue une constante de ma vie de musicienne. Il y a dans notre histoire commune une forme d’évidence et de profonde connivence.
L’ensemble Ictus, dont Tom fait partie depuis de longues années, m’a d’abord invitée à participer à plusieurs concerts, parmi lesquels les soirées Liquid-Room. Ensuite, j’ai composé deux pièces pour eux. Finalement, ils m’ont proposé de faire partie de l’ensemble, et d’être conseillère artistique sur leurs projets. Depuis, j’ai été à l’initiative de plusieurs programmes de l’ensemble tels que : Darker than black, The Lichtenberg Figures, Eupepsia-Dyspepsia et Le Retour. En ce moment je travaille avec eux sur The Rise, qui sera créé par Ictus au festival Manifeste au Centre Pompidou en juin 2024.
Ictus est ma famille musicale. On travaille ensemble depuis si longtemps ! Collaborer avec Ictus c’est partager nos visions et nos fulgurances avec beaucoup d’enthousiasme, de plaisir et de joie. C’est aussi beaucoup de confiance dans l’avenir, sur le plan artistique, sans parler de l’amitié et de la confiance profonde qui nous lie les uns aux autres.
Est-ce que tu es née dans une famille de musiciens ?
Comment est venu cet amour premier pour la musique ancienne, la viole et la flûte à bec ?
Je suis née dans une famille qui attachait une grande importance à la musique sans que personne n’en joue. Rétrospectivement je crois que c’était un avantage pour moi car la musique était mon territoire, même si pendant très longtemps j’ai cru que je serais plutôt plasticienne. Mais mes parents ont été alertés sur mes dons par ma professeure de musique et m’ont soutenue dans cette voie. Ma professeure de flûte à bec m’a ouverte au monde fascinant de la musique ancienne, ce qui m’a amenée à pratiquer aussi la viole de gambe et la polyphonie vocale. Mon goût pour l’exploration est né à ce moment-là. Par chance, mes parents ne m’ont jamais forcée à quoi que ce soit, sinon peut-être que j’aurais perdu le goût de la musique. La musique s’est épanouie lentement en moi, sans pression ni exigence.
Propos receuillis par Anne Montaron
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