Le chœur Les Métaboles se prête souvent, sous la direction de Léo Warynski, au jeu des croisements historiques entre les œuvres du répertoire et la musique contemporaine. C’est de nouveau le cas dans ce très beau disque, The Angels, qui confronte des œuvres chorales de William Byrd, Henry Purcell et Giovanni Pierluigi da Palestrina avec des compositions de Jonathan Harvey.
Qu’est-ce qui rend les associations entre les musiques des XVIe et XVIIe siècles et celles de notre temps si naturelles et si fructueuses ? Certes, les harmonies mouvantes et la liberté formelle déployées entre Renaissance et baroque, à la conquête d’un figuralisme maniéré et de dissonances expressives, rejoignent certaines recherches d’aujourd’hui. L’écriture chorale et la vocalité, quelles que soient l’époque et les grammaires adoptées, se chargent inévitablement d’une même humanité touchante aux oreilles des auditeurs. Enfin surtout, le sacré est intemporel par nature, et le choix d’œuvres du passé – Ave verum corpus de Byrd, Remember not, Lord, our offences de Purcell et Stabat mater de Palestrina – ne peut qu’entrer en résonance avec la profonde quête de spiritualité de Jonathan Harvey (1939-2012), avec laquelle il a renoué durant les années soixante-dix.
Après une enfance bercée par les polyphonies anglicanes de la Renaissance, le jeune homme s’était en effet un temps éloigné de la religion, prônant un athéisme rationaliste nourri de science et de philosophie. La rencontre avec Karlheinz Stockhausen, la lecture assidue de Rudolf Steiner, l’initiation au bouddhisme tibétain et à la méditation védique, associées à la redécouverte attentive des textes bibliques, lui font franchir ce nouveau cap, influençant grandement ses compositions à venir. Ainsi, le catalogue d’Harvey comporte de nombreuses œuvres chorales sacrées, centrées sur la quintessence vocale du chant a capella, alors qu’il use dans de nombreuses autres compositions des technologies informatiques les plus avancées. Certaines de ces pièces sont destinées au chœur de la cathédrale de Winchester, où chante son fils.
L’écriture des six œuvres sélectionnées dans cet album s’étale entre 1976 et 2012. Souvent simples d’apparence et entièrement au service du texte, comme la psalmodie initiale qui ouvre I Love the Lord, elles sont toutes d’une grande finesse d’écriture et témoignent d’une parfaite maîtrise des timbres et des équilibres, certainement due en partie à la pratique électroacoustique du compositeur. Ainsi, le début de Come, Holy Ghost, très proche du chant grégorien monodique, se peuple rapidement de bourdons résonants, évoquant des sonorités de cloches, puis se développe en une fascinante architecture polyphonique à double chœur. C’est également le cas des Plainsongs for Peace and Light pour seize voix solistes, probablement sa dernière œuvre achevée au seuil de la mort. The Angels, qui donne son titre à ce disque – enregistré le 7 septembre 2019 par Radio France lors d’un concert à l’Abbaye de Royaumont – le clôture avec des harmonies subtiles et mystérieuses, dans un doux balancement, reposant sur un double chœur. C’est d’un même élan expressif que Les Métaboles interprètent l’ensemble du programme, avec une clarté cristalline et un art de la résonance profonde, offrant un dialogue fusionnel entre passé et présent.
Guillaume Kosmicki