Voilà plus de 20 ans que, chaque année, des centaines de lycéens découvrent, un peu partout en France, les œuvres de plusieurs compositeurs et compositrices d’aujourd’hui ; chaque classe les rencontre et vote pour son favori. Désormais incontournable, le Grand Prix lycéen des compositeurs (GPLC) se décline au collège.
Explications avec Estelle Lowry, à la tête de la Maison de la Musique contemporaine, qui pilote le Grand Prix lycéen, et Simon Bernard, chef du pôle médiation et responsable des publics.
Rappelez-nous l’enjeu du Grand Prix Lycéen des Compositeurs…
Estelle Lowry : Éveiller la sensibilité et le libre-arbitre esthétique de nos chers lycéens. L’adolescence est une période cruciale dans la formation des goûts musicaux. C’est plus que jamais le moment de s’ouvrir aux musiques contemporaines et de découvrir ce qui se passe dans le monde de la création. Il faut qu’ils puissent avoir conscience de ce qui se passe dans le monde dans lequel ils habitent. C’est aussi un âge où l’on développe son esprit critique : on découvre ce qu’on aime, ce qu’on aime pas, ce qu’on croyait ne pas aimer… Nous ne sommes pas dogmatiques : les objectifs sont plus qualitatifs que quantitatifs. Il s’agit surtout d’une sensibilisation!
Simon Bernard : Nous essayons de leur faire vivre et de leur faire comprendre ce qu’est aujourd’hui la création musicale dans toute sa diversité. L’expérience du Grand Prix leur permet aussi de prendre conscience que les créateurs, les compositeurs, appartiennent à la même société qu’eux, qu’ils existent, qu’ils travaillent, même si leur musique n’est pas nécessairement diffusée par les labels ou les plateformes que les lycéens utilisent. Les rencontres avec les compositeurs et compositrices leur permettent de démythifier la figure du créateur écrasant ! Ils parlent de leur musique aux élèves, bien sûr, mais pas que : de leur vie, de leurs centres d’intérêt, de leurs spleens, de leurs joies…
Estelle Lowry : Les lycéens doivent prendre conscience de la réalité matérielle, économique d’un compositeur en 2021. Ils baignent dans une musique mainstream, plus commerciale, et n’ont pas réellement conscience de la réalité du métier de musicien, loin des paillettes.
Pourquoi ne pas commencer une telle sensibilisation plus tôt ?
S.B : C’est justement ce à quoi nous travaillons ! Nous avons été sollicités par certains enseignants, mais aussi par nos partenaires, dont la Sacem et la fondation Daniel et Nina Carasso. Cette année, nous avons testé un premier dispositif pour le collège. Nous avons eu 28 profs volontaires, qui ont formé un groupe de travail pour construire une déclinaison collégienne du Grand Prix. Il ne s’agissait bien sûr pas de calquer le dispositif tel qu’il est, ne serait-ce que parce que les professeurs de musique en collège n’ont qu’une heure d’enseignement. Et puis l’engagement des élèves n’est pas le même. Nous sommes partis sur l’étude de trois œuvres sélectionnées dans la liste du Grand prix lycéen, avec les élèves de troisième. A cause de cette année de pandémie, seulement 19 établissements ont pu aller au bout de l’aventure pour cette édition pilote du prix des collégiens. Le compositeur Vincent David a donc reçu le prix des collégiens et des lycéens ! Pour les prochaines éditions, nous aimerions proposer une petite commande, pour instrument seul, par exemple, au lauréat ou à la lauréate du prix collège. Les inscriptions pour l’année prochaine ont ouvert mi-juin !
E.L : Les collégiens sont plus souples, ils ont un comportement différent des lycéens. C’est un public très intéressant pour la découverte des musiques contemporaines.
Comment prépare-t-on le terrain avec les enseignants, au lycée comme, bientôt, au collège ?
S.B : Sur le terrain, les profs sont majoritairement des enseignants de musique, tous ne sont pas familiarisés avec esthétiques contemporaines. Nous proposons désormais un dossier pédagogique qui va au-delà de la présentation des compositeurs et des œuvres sélectionnées. Les compositeurs en lice écrivent une notice pour expliquer le contexte, les conditions d’écriture de leur pièce, donner des clés d’écoute : des anecdotes, l’histoire du genre musical, de la forme, de l’instrument, mais aussi des informations plus générales… On ajoute des vidéos ! Aujourd’hui, les élèves qui sont en option musique au lycée lisent peu voire pas du tout la musique. On ne peut pas se reposer uniquement sur l’envoi des partitions. Il faut faire un gros travail de médiation.
E.L : Majoritairement les enseignants qui participent au GPLC sont des professeurs de musique. Mais, depuis quelques années, des professeurs d’autres disciplines sont intéressés et ont demandé à participer : depuis trois ans, un professeur d’italien d’un lycée difficile de Marseille a rejoint l’aventure. Puis une professeure d’arts plastiques, un autre de lettres… Nous sommes clairement dans une optique d’ouverture.
Justement, ces actions de médiation vont-elles s’amplifier avec l’intégration du Grand prix à la Maison de la musique contemporaine (MMC) ?
E.L : Assurément, le projet de transposition du dispositif au collège en est l’un des axes. D’autres actions de sensibilisation sont prévues, mais il est trop tôt pour en parler. Le but de cette maison est d’accompagner des porteurs de projet et des artistes dans des projets de sensibilisation, d’aider les compositeurs à prendre la parole et à se faire entendre.
Propos recueillis par Suzanne Gervais