Hémisphère son, la fin d’une utopie

Edito 28.03.2024

Hémisphère son est né d’une envie, d’une utopie, celle de construire un espace éditorialisé, en ligne, gratuit et simple, pour réunir les artistes du sonore et celles et ceux qui les écoutent. Un espace numérique où l’on écrit, interroge, réfléchit, analyse, propose, encourage la vie musicale avec pour seule boussole le goût, l’expérience et la passion.

« La critique musicale est une composante essentielle de l’écosystème de la création musicale. Mais si nécessaire qu’elle soit, elle est aussi utopique puisqu’elle s’attache à mettre des mots sur l’indicible. Écrire sur la musique ou faire parler les musicien.nes, c’est tenter de dire, autrement, ce que la musique seule peut exprimer… C’est comme avoir une boussole dans le désert, on peut faire sans mais c’est mieux avec. » Didier Aschour, musicien et directeur du Gmea-CNCM Albi.

Lancé en mars 2021, après trois ans d’une existence juvénile, enthousiaste, dense et fébrile aussi, après trois ans où le défi de l’audience, de la reconnaissance et de l’estime fut, je crois, récompensé par un lectorat nombreux, j’ai pris la décision difficile de devoir mettre un point final à l’aventure éditoriale d’Hémisphère son pour des raisons personnelles. 
Nos forces physiques ne sont pas toujours mesurables et proportionnées aux enjeux que nous souhaitons relever et les difficultés de maintenir l’indépendance et la bonne marche financière de cette machine de haute qualité, par des fonds propres, ont aussi alourdi une tâche quotidienne trop tendue et rendu son développement futur incertain.

« Je me souviens de l’enthousiasme de Sandrine lorsqu’elle m’a convaincu de rejoindre l’aventure Hémisphère son (qui n’avait pas encore de nom) alors que je m’étais pourtant jurer de ne pas replonger. Pour le journaliste repenti et l’observateur attentif (sinon exhaustif) des évolutions du monde musical que je suis, Hémisphère son aura constitué à la fois une bulle d’air et une zone d’utopie. Cette aventure m’a rappelé l’époque d’Octopus (puis de Mouvement), où il n’y avait guère d’autres supports – sinon Revue & corrigée – faisant autant de cas des musiques « libres et inventives » en faisant aussi fi des chapelles et des étiquettes. Le temps de son existence, Hémisphère son sera lui aussi resté singulièrement seul sur son « segment » : celui, pourtant passionnant, de toutes les formes d’expérimentations musicales, qu’elles soient écrites ou non, improvisées ou ambient, traditionnelles ou technologiques, abordées en l’occurrence plutôt depuis les musiques « savantes » (là où Octopus venait plutôt de la « pop » – des musiques improvisées et expérimentales). Au moins est-il heureux de constater que dans les CNCM comme dans certains festivals de musique « contemporaine » (ils se reconnaîtront), cette mise à bas des frontières semble enfin être traduite en actes – là où des festivals de musiques expérimentales tels que Sonic Protest‌, qui vient malheureusement d’annoncer que sa 20e édition (à vivre jusqu’au 30 mars) serait aussi la dernière, l’avaient depuis longtemps intégrée. Mais c’est un autre sujet. Je me souviendrai des réunions du comité éditorial, des visages amis et enthousiastes, heureux de participer à cette aventure, en étant en plus rémunérés pour le faire. Grâce soit rendue à Sandrine d’avoir permis de donner chair à tout cela, et longue vie à elle ! ». David Sanson, auteur, programmateur, musicien, journaliste.

Il est vrai, comme le souligne David, que nous sommes souvent laissés seuls face aux enjeux de la qualité, la régularité, l’audience, la rentabilité, la pérennité, les concurrences (inappropriées souvent) qui pèsent sur des équipes réduites. Je regrette vivement que le festival Sonic Protest déroule sa dernière édition. Creuset des musiques expérimentales pointues autant que vagabondes, il fut pendant 20 ans source de milliers de concerts et de rencontres entre des artistes qui voient leur terrain de jeux de en plus réduit, et un public aventureux orphelin.

« La musique m’aide à vivre. Elle ouvre des paysages imaginaires inouïs, elle vient toucher des zones subtiles de l’inconscient. Écouter. Vient du latin auscultare. Qui donnera ausculter. Écouter avec attention, avec soin. J’aime penser que nous entrons dans l’ère du son, l’ère qui nous relie aux puissances du sonore. L’ère de l’écoute. Merci à Hémisphère son pour ses liens d’écoute. » Laëtitia Pitz, metteuse en scène.

En effet, le seul bémol est et reste bien sûr le sujet du modèle économique ou plutôt de l’impossible modèle économique des revues musicales en ligne, un modèle qui puisse à la fois préserver l’indépendance tout en assurant une rentabilité suffisante pour rémunérer ses membres alors que nous sommes coincés entre le consumérisme exacerbé, l’ultra spécialisation ou l’institutionnalisation déguisée. Je parle ici de projets modestes qui ont dû fermer après de louables efforts comme Syntone, créé par Juliette Volcler ou L’oreille absolue, le fanzine lancé par Richard Robert.
Si Hémisphère son a pu se développer pendant trois années grâce à l’apport financier personnel que j’ai pu maintenir, nous aurions cependant gagné en visibilité et surtout cela aurait soulagé ma charge de travail, si j’avais trouvé un soutien complémentaire auprès de certains pourvoyeurs de financements publics. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Hors du champ concurrentiel, Hémisphère son aurait pu être un outil au service du … service public. Il n’en a rien été et cela reste mon seul regret.

« Hémisphère son a su se tenir à l’écart du didactisme infantilisant de la critique musicale, échapper aux faux semblants des storytellings simplificateurs et défier l’obsession à ranger tout ce qui paraît hors-norme dans des cases. Hémisphère son a réussi à conjuguer le goût du rassemblement de vitalités sonores disparates dans une hospitalité ouverte aux troubles fêtes du son. Puissions-nous rester connectés et garder bien branchés tous les radars allumés par Hémisphère son qui reste et restera pour les communautés des sons affranchis un point de ralliement unique en son genre.» David Christoffel, poète, homme de radio, compositeur.

Point de ralliement, nous l’avons été pour mon plus grand plaisir. Rencontrer des artistes a toujours été une grande joie et une source de connaissances infinies depuis mes débuts comme productrice, agente, programmatrice, il y a maintenant 30 ans.
Avec Hémisphère son, le métier de rédactrice en chef a été un nouvel apprentissage que j’ai pu aborder et développer grâce et avec une équipe de journalistes et de musicologues bien plus savants dans leur domaine que je ne pourrais l’être et leur accompagnement a été formidablement formateur. Si le projet et la vision de ce que pouvait et devait être une revue musicale accueillante, diversifiée et exigeante était mienne, leurs talents, leurs éruditions et leurs expériences de la presse, de la production et de la création a été une valeur absolue à cette aventure éditoriale.
Je vais donc les citer toutes et tous : Anne-Laure Chamboissier, Bastien Gallet, Suzanne Gervais, Guillaume Kosmicki, Jean-Yves Leloup, François Mardirossian, Anne Montaron, David Sanson, Txema Segler, Michèle Tosi.
Ainsi que celles et ceux qui ont participé ponctuellement : Tristan Bera, Pascale Cassagnau, David Christoffel, Thea Dercks, Camille Domange, Lambert Dousson, Ludovic Florin, Vincent Lhermet, Franck Marguin, Céline Pierre, Elmer Schönberger, Makis Solomos, Joep Stapel, Kasper T. Toeplitz, Mark van de Voort, Mirjam Zegers.

Retrospective en images et en musique :

« Hémisphère son, dans ces deux mots déjà, tout un programme ; d’abord et surtout une ouverture de champ plutôt rare dans un pays qui cultive la spécialisation. Grâce à Hémisphère son, j’ai pu écrire sur toutes les musiques qui me tiennent à cœur, qu’elles soient écrites ou improvisées. Et luxe suprême, j’ai eu la possibilité de passer d’un exercice à un autre : la chronique de concert, l’interview, la carte-postale autour d’un festival ou d’un événement, des textes plus personnels (dans les fameux dossiers), des playlists… Un grand merci à Sandrine, d’avoir laissé souffler ce vent de liberté sur toutes nos collaborations, avec une douceur et une passion constantes. Bravo surtout pour ce boulot colossal et magnifique ! » Anne Montaron, femme de radio, musicologue.

Il est aussi bon de souligner que ce ne fut pas seulement un espace de libre circulation de la créativité artistique en tout genre mais aussi un espace de liberté pour l’expression des journalistes, musicologues, auteur.trices qui ont pu exercer avec autant de rigueur que de sensibilité leurs plumes dans des registres allant de la chronique de concerts ou de disques, en passant par l’oralité des portraits sonores, la philosophie de sons, l’éclairage, l’interview, les brèves connectées etc. Et comme la préparation, l’illustration et la mise en ligne des articles étaient aussi entre mes mains, nous inventions ensemble autant de rubriques et de formats dont nous avions besoin pour exprimer cette diversité par le fond comme par la forme.

« Hémisphère son est arrivé à un moment-clé de mon parcours de musicologue, de journaliste et de mélomane. Ce média a immédiatement et parfaitement coïncidé avec ce que j’avançais dans mes écrits d’alors, tout particulièrement dans les trois tomes de Musiques savantes, publiés entre 2012 et 2017, où je plaçais Arnold Schoenberg, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Iannis Xenakis, Helmut Lachenman, Gérard Grisey, Kaija Saariaho ou Xu Yi au même plan que Louis Armstrong, Thelonious Monk, The Beatles, Pink Floyd, Meredith Monk, Naked City, Aphex Twin ou Björk. J’avais de mon côté, depuis l’université, déjà opéré un important cheminement fondé sur mes convictions, en opposition avec un enseignement où les styles et les écoles étaient encore très segmentés et où l’élitisme était toujours de mise, malgré tous les beaux discours et toutes les bonnes volontés. J’en savais quelque chose, moi qui avais axé mes recherches sur les musiques techno, les raves et les free parties et qui avais finalement renoncé à trouver un poste dans cette institution. Chacun·e à sa manière, au fil de leur parcours, les membres de l’équipe d’Hémisphère son en avaient fait de même. Je me souviens que nos premières réunions avaient pour objectif de trouver un nom pour qualifier les musiques dont nous parlions et que nous avions à cœur de continuer à mettre en lumière. Évidemment, c’étaient bien plus les débats et leur échec qui étaient passionnants que leurs résultats concrets, car aucune définition satisfaisante ne pouvait en sortir, ni « musique contemporaine », ni « musiques savantes », ni « musiques expérimentales », ni même « musique de création »… Sandrine Maricot Despretz, notre rédactrice en chef, fondatrice et directrice du projet, a eu tout le flair et toute la confiance nécessaires pour réunir une équipe de joyeux·ses auditeur·ice·s, rédacteur·ice·s engagé·e·s, qui finalement s’en sont tenus à se fonder sur une intuition unique : croire en ce qu’ils et elles écoutaient et le partager en toute sincérité. Qui plus est, Sandrine a constitué une équipe paritaire, dans un monde encore bien loin de l’être ! C’est aussi un aspect qui m’a beaucoup parlé, et qui s’est révélé de nouveau en phase avec mes projets de recherche et d’écriture plus récents. La sauce a pris. La petite équipe s’est agrandie, les échanges sont devenus plus intenses, les dossiers toujours plus riches, conduits par notre cheffe d’orchestre qui savait laisser s’exprimer nos sensibilités individuelles pour les faire jouer de concert. Quelle équipe ! Nous nous sommes nourris l’une et l’un de l’autre. Dégagé des réseaux d’influences, des petites chapelles et des guerres stylistiques, Hémisphère son s’est révélé comme le reflet analytique de la musique de notre temps, en toute indépendance. En tout cas, c’est ce que je crois. Et j’y crois encore.» Guillaume Kosmicki, musicologue, auteur.

Les rencontres artistiques ont été poussées un cran plus loin à travers des commandes et co-commandes que j’ai souhaité réaliser directement et qui ont été des moments d’intensité joyeuse, où j’ai vu naître de la musique, du spectacle, du lien et de l’humanité rejouée.
Merci à Floy Krouchi, José Río-Pareja, Eve Risser, Raquel García-Tomás, Elsa Biston, Aurora Bauza et Pere Jou.
Et un merci particulier à Olivier Maurel et Ayako Okubo, de l’ensemble HANATSUmiroir, pour avoir créé une musique originale et parfaitement ajustée à la Rétrospective en image (voir plus haut). Ce diaporama, un poil mélancolique, a été réalisé avec Annabelle Oliveira, qui a assuré avec succès, depuis novembre 2021, la communication du site et l’animation des réseaux sociaux, sans lesquels il serait impossible d’élargir les audiences dans le monde du net.

« Curiosité, défi, motivation : Hémisphère son (HS) m’a permis de découvrir un monde sonore que je n’avais jusqu’à présent que très peu exploré : la musique contemporaine et ses différents visages. Et de le faire, surtout, aux côtés de collègues qui, par leur professionnalisme, m’ont aidée à naviguer dans cet espace avec richesse et apprentissage. HS a été ce projet courageux et risqué, engagé dans une manière unique de sentir la musique. Une fenêtre sur le son. HS est comme cet ami que vous aimez et qui part, mais qui vous laisse tout. Même le sourire sur les lèvres. » Txema Seglers, auteur, journaliste, musicien.

Alors c’est en tissant tous ces mots et toutes ces émotions que nous vous disons au revoir, que nous vous disons combien nous avons aimé pendant ces trois années arpenter les ondes et les scènes musicales avec vous et pour vous.
Hémisphère son cesse ses activités éditoriales mais ne disparaît pas du monde numérique. Le site reste en ligne et tout ce “boulot colossal” restera accessible encore de nombreuses années, archives vivantes et sonores, accueillis sur le nouveau site de Paysages Humains.

« Deux ou trois choses que je sais d’Hémisphère son (HS)
HS, c’est le plaisir des yeux et des oreilles : le jaune d’or qui nous accueille, le rouge orangé où s’inscrit le titre des rubriques ; et le texte toujours à fleur de son et d’images.
HS, c’est l’exigence : la clarté, la précision et la fluidité du propos.
HS, c’est l’engagement tous azimuts pour la création, la parité et les questions sociétales à travers les enjeux du sonore : dos tourné à la ringardise, à la frilosité et aux spécialistes, « vieux crabes qui n’ont qu’une pince fermée sur une vision immobilisante », comme s’amusait à le dire Claude Ballif.
HS, c’est enfin le sourire irradiant de Sandrine Maricot Despretz  lorsque le titre, court et bien aiguisé, est trouvé et que le nouvel article tourne sur le carrousel…
C’est la jeunesse, le rythme et la force du vivant.»
Michèle Tosi, musicologue, journaliste, autrice.

Je remercie aussi toutes celles et ceux qui ont pris part à cette aventure : Camille Domange (CDO Avocat), Frédéric Perrin (Le contact moderne avec Anthony Pho et Fabien Morvan, développeurs et Audrey Gance, SEO), Emilie Zawadzki (développeuse du site), l’Atelier Irradié (graphistes), Guillaume Ladvié, Gestuelle et Andrea Fernandez.

Sandrine Maricot Despretz
Directrice de la publication

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