Zoë Mc Pherson: les polyrythmes dans la peau

Disques 22.09.2023

Loin de la dance-music convenue, Zoë Mc Pherson invente avec Pitch Blender, son nouvel et troisième album, une musique électronique à la fois intense et virevoltante, portée par de complexes et saisissantes programmations rythmiques.

« Séparer le plus possible les membres de mon corps, afin de jouer librement avec chacun d’eux ». Zoë Mc Pherson utilise parfois cette image poétique pour décrire son approche du jeu, et en particulier du rythme. Car ce qui frappe au premier chef lorsque l’on découvre sa musique électronique, et notamment Pitch Blender, c’est une forme de dynamique dégingandée, de liberté polyrythmique, qui génère une pure jouissance, un pur vertige, à l’écoute de sa construction labyrinthique. Chargée de détails et de trouvailles sonores, construite sur une savante science des percussions qui rejette le rythme à quatre temps (le « four-to-the-floor » qui depuis l’époque du disco, règne sur la dance-music), l’électro selon Mc Pherson s’adresse métaphoriquement au corps de danseurs et de danseuses que l’on imaginerait libérés des rituels, des gestes et des routines de la culture dont ils sont issus. Sa musique, riche, novatrice, expérimentale, doit en effet beaucoup à l’univers des raves et des free-parties, aux valeurs de la techno berlinoise, à qui l’artiste emprunte son énergie, ses motifs et ses textures, sans jamais toutefois se plier à ses codes et à ses conventions.

Lorsque Mc Pherson évoque son instrument fétiche, iel* cite spontanément les notions de sound-design et de processing pour décrire la genèse de ses sons, ainsi que la fragmentation des samples et les multiples variations de pitch (hauteur) qu’elle opère. À l’aide de nombreux traitements numériques, l’artiste manipule des sessions de percussions (effectuées sur de multiples surfaces et matières), des séquences et motifs de synthétiseurs, des sons captés dans son environnement au fil de ses voyages, sans oublier sa voix, parlée, chantée, fragmentée, lointaine ou modifiée.

On sait peu de choses sur sa biographie, sa vie personnelle et son éducation musicale, si ce n’est que Mc Pherson est née en Angleterre, d’une mère irlandaise, élevée entre Londres, la Drôme et Lyon, qu’iel a suivi ses parents lors de nombreuses tournées qui l’ont initié très tôt au monde et aux techniques de la musique, avant d’étudier les percussions et de s’inspirer du jazz, en particulier du compositeur, improvisateur et saxophoniste Steve Coleman, pour son approche du rythme.

Depuis ses débuts en 2014 avec le projet plus pop et downtempo, Empty Taxi, Mc Pherson a composé trois autres albums, de String Figures (2018) jusqu’à ce récent Pitch Blender (2023), certainement le plus maîtrisé de sa courte carrière.

Désormais installée à Berlin, Mc Pherson a co-fondé en 2020, aux côtés de la vidéaste Alessandra Leone, SFX, un label et une structure de production musicale et audiovisuelle qui favorise la transdisciplinarité, sous la forme d’installations sonores, de concerts audiovisuels, de DJ sets ou enfin de vidéos qui accordent une large part au travail chorégraphique.Dopé par la créativité et l’énergie de la scène queer, stimulée par l’élan féministe qui accompagne la scène électro actuelle, l’artiste déclare aussi privilégier les collaborations (avec Ciarra Black, Jay Mitta, DJ Diaki), et plus particulièrement avec la compositrice et artiste sonore française, Jessica Ekomane, dont témoigne un récent concert filmé par Arte dans l’antre du prestigieux club Berghain de Berlin.

La clé du travail de Zoë Mac Pherson se trouve d’ailleurs peut-être dans ses très nombreuses vidéos (souvent réalisées par Alessandra Leone), dans lesquelles le corps de l’artiste se retrouve souvent confronté à un environnement, parfois sauvage, parfois modelé par l’homme, qui fait écho à son approche du rythme et des sons.

Musique, corps et mouvements semblent toujours dialoguer, ou faire écho, aux lignes qui traversent les paysages, aux rythmes naturels ou urbains qui les modèlent, comme s’il s’agissait pour Mc Pherson d’explorer une certaine musicalité des formes présentes dans nos environnements. À moins qu’il ne faille faire référence, comme a parfois pu le faire l’artiste, à la notion de liminalité, qui désigne des espaces ou des temporalités de passage, entre un état, un lieu, et un autre. Dans son jeu avec le genre, mais plus encore dans le traitement, à la confusion maîtrisée, des sons et des rythmes, la musique de Mc Pherson semble ainsi toujours en transition, volontiers instable, dans un équilibre précaire, qui se révèle plus source de jouissance, que d’incertitude.

Jean-Yves Leloup

L’album Pitch Blender et le EP Pitch Blender Remixes sont publiés chez SFX.

Retrouvez Zoë Mc Pherson en live le 30 septembre 2023 à Césaré (Reims), le 7 octobre au festival In.Outsider (Bruxelles), le 14 octobre au festival Mutek (Mexico), le 21 octobre à Trømso (Norvège), le 4 novembre au festival Ekko (Bergen) et le 11 novembre pour un live audiovisuel Alessandra Leone au Mira Festival (Barcelone).

Retrouvez Jessica Ekomane en concert le 7 octobre à l’Athanor (Albi) dans le festival riverrun et le 1er novembre au festival Ekko (Bergen)

*L’artiste encourage l’usage d’un pronom indéfini afin d’évoquer son genre.

Photo © Suzanne-Caroline De Carrasco

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