Playlist #8

Playlists 26.12.2023

On peut gloser sur les playlists, les playlists clé-en-main, fourre-tout, à-la-mode, pour-penser et même pour-philosopher, passer-le-bac, méditer-courir, entre-ami.es, la playlist est incontournable! Le numérique a mondialisé et l’écoute et la méthode. Alors ne boudons pas notre plaisir à concocter la nôtre, la playlist pas-comme-autres !

De la part de David Sanson

Exils d’Alain Kremski – (CD Divox, 2008)
En cette fin d’année 2023, mes pensées se portent vers Alain Kremski, disparu il y a 5 ans, le 28 décembre 2018. Irremplaçable interprète de la  non moins irremplaçable musique pour piano de Gurdjieff/De Hartmann, c’était surtout l’un de nos “compositeurs” les plus singuliers, qui, quoique très tôt bardé de distinctions académiques, préféra partir explorer la musique suivant des voies qui l’étaient moins. J’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises, et je ne me consolerai jamais qu’il ne soit plus là pour répondre à toutes les questions que j’aimerais encore lui poser. Quelques CD confidentiels documentent son travail de composition, le plus souvent pour piano et bols tibétains. Sur Exils, il s’affirme comme le plus affranchi de nos minimalistes – une musique du dépouillement idéale pour se nettoyer l’esprit avant la nouvelle année – cousine habitée de celles de Morton Feldman ou Laraaji.

De la part de Sandrine Maricot Despretz

Matana Robert, Coin Coin Four (2019)
C’est l’étonnant projet au long cours de Matana Roberts, musicienne de jazz (saxophone alto, clarinette, chant), auteure et compositrice expérimentale américaine, Coin Coin, qui m’a retenu tout un dimanche d’automne au fond d’un fauteuil, un casque sur les oreilles. Coin Coin, drôle de nom pour une série d’albums d’avant garde dont la féroce originalité esthétique et la puissance narrative n’ont d’égal que l’imagination sans borne d’une artiste iconoclaste qui parcours en sextuor ou en solo, les héritages de la traite négrière et l’identité américaine. Outre le saxophone dont elle est virtuose, Matana Robert use de la voix : parlé-chanté, récitation glossolalique, hurlement cathartique, voix d’opéra, douce berceuse, chant de groupe, et récupération de diverses traditions folkloriques et spirituelles américaines. Elle tisse en 45 mn, un fascinant parcours musical et narratif.

De la part de Bastien Gallet

« Lick the light out (feat. Madonna) » dans Paranoïa, Angels, True love de Christine and the Queens (2023)
Station 17 des 20 que comprend le triple album Paranoïa, Angels, True love de Christine and the Queens, « Lick the light out » est la chanson du passage et de la coalescence. Constituée de deux morceaux assemblés par un interlude où l’on entend Madonna s’adresser à celle-celui qui n’est plus humain·e et pas encore ange, « Lick the light out » dessine le lieu impossible, donc pop, d’une métamorphose. Le premier moment, produit par Mike Dean (producteur de l’album), au son ici très synth-pop, est celui d’une voix qui se cherche, vocalise, s’interrompt, devient enfant. Le second, produit par A.G. Cook, fondateur de PC Music et l’un des producteurs majeurs de l’hyper-pop, est celui de la flamboyance et de l’effusion, où la voix affirme la plénitude de sa puissance. Par l’intercession de Madonna – « Where do you think I stand ? / I stand in your heart / Just next to your lungs » lui dit-elle – Christine and the Queens devient autre. La pop n’est-elle pas cette surface paradoxale où la chair peut muter?

De la part de Jean-Yves Leloup

Anamnesis – The Lake de Hélène Vogelsinger (2023)
En seulement quatre petites années, la compositrice et chanteuse française Hélène Vogelsinger s’est taillée une place de choix parmi la nouvelle génération d’artistes adeptes des synthétiseurs modulaires, des instruments qui ont apporté de nouveaux timbres à la musique électronique. Son travail se déploie bien sûr sous la forme de concerts, d’albums (Contemplation et Reminiscence, publiés entre 2020 et 2023) et plus encore sous la forme de magnifiques vidéos tournées en pleine nature ou dans des lieux abandonnés, où elle interprète, en solitaire, ses compositions teintées d’élans spiritualistes.

De la part d’Anne Montaron

The Lichtenberg Figures,  Eva Reiter  (2014 -2015), pour voix, ensemble et électronique
En écho à l’entretien que la musicienne autrichienne a offert récemment à Hémisphère Son, je voudrais recommander cette vidéo de 2020 réalisée au moment d’une reprise de The Lichtenberg Figures de la compositrice sur des poèmes éponymes de l’Américain Ben Lerner.
On y retrouve tous les éléments de l’univers de la compositrice : la fascination pour la noirceur (la “bile noire”), le jeu entre l’ancien et le moderne (la pièce met en musique les sonnets d’un auteur contemporain dans l’idée du Book of Ayres des anciens), la couleur dominante électronique de l’orchestre et de la voix, l’atmosphère psychédélique de l’oeuvre, entre rêve et hallucination, le beau travail sur l’aspect parlé des poèmes ou spoken word, l’engagement du corps et l’expression d’une forme évidente de violence, en lien direct avec les fameuses Figures de Lichtenberg : physiquement, les figures découvertes par Lichtenberg – produites par des décharges électriques extrêmement élevées qui prennent des formes caractéristiques de fougères – apparaissent sur des corps isolants, ou même sur la peau humaine, lorsqu’ils sont frappés par la foudre.
The Lichtenberg Figures, une immersion garantie dans “l’Intranquillité” d’Eva Reiter …

En lien

buy twitter accounts
betoffice