Claire Frachebourg : trouver la voix des lieux 3/3

Interviews 07.10.2023

Claire Frachebourg est une artiste interdisciplinaire. Jeune lauréate de l’EDHEA, l’École de Design et Haute École d’Art de Sierre qui organise cette première Biennale son, Claire Frachebourg s’est formée à la performance et à l’improvisation en Allemagne. Curieuse d’expérimenter, elle poursuit ses recherches en résidences au GRM-INA à Paris, au Palp Festival à Bruson, au QQM de Monthey. Elle forme et perfome des installations sonores et oscille entre pratique personnelle et collective. Elle présente Life Boat à la Centrale, au coeur du Valais, et Sorcièrexs avec le collectif ALS au Spot à Sion.

Claire Frachebourg, la question du lieu tient une place centrale dans votre travail.  Avez-vous des typologies de lieux de prédilection ?
J’aime explorer des espaces qui m’appellent sans que je ne sache à l’avance pourquoi. Ces lieux sont souvent chargés telluriquement. Lors de mon travail de recherche effectué l’année passée sur la voix de la montagne, je me suis intéressée aux grottes et à ses poches d’air sous la surface. La croûte terrestre est une membrane sensible qui bouge et vibre tel un tympan à l’écoute des flux magnétiques. Ces lieux qui m’intéressent appartiennent souvent à des zones d’ombre qui ne sont pas encore cartographiées ou sont cachées, tels les sous-sols. Ce que je nomme des failles géographiques, des entre-deux, sont des lieux de liberté pour mes oreilles.
Mettre en vibration ces différentes zones, c’est dévoiler les petites voix de ces espaces en rentrant en contact avec elles. C’est faire communiquer le dedans et le dehors, l’inaudible et l’audible. Ces espaces sensibles sont des espaces-cocons, des matrices de potentiels encore invisibles. 

Claire Frachebourg, de quelle manière procédez-vous par le son pour révéler ces lieux?
Révéler, c’est être à l’écoute d’un lieu et trouver “la voix” qui l’habite. C’est commencer par prendre conscience de la signature acoustique de ces espaces. J’aime m’y immiscer en amplifiant un élément déjà existant comme, par exemple, les canalisations, les bouches d’aérations. Pour un lieu-dit, une installation-performance que j’ai réalisée pour mon diplôme à l’EDHEA en 2021, j’ai prolongé la bouche d’égout de l’ancienne usine Usego par un tube contenant une membrane de haut-parleur. L’architecture devient par ses sons un grand instrument de musique lequel va résonner dans les sous-sols de la ville autant que dans l’espace condensé de la vallée du Rhône. Je reste très connectée à la flûte traversière que j’ai étudiée jusqu’à mes 20 ans. Je garde une grande affinité avec les tubes, leur circulation d’air et la couleur sonore spécifique que le métal renvoie.

Révéler c’est être aussi un amplificateur par l’écoute du vivant à d’autres échelles. J’ai découvert et approfondi cela dans un travail que j’ai fait en contact avec les fourmis. Elles sont pour moi les vraies reines de la planète terre qui survivront bien après l’espèce humaine. Dans leur fourmillement électrique, phénoménal et phéromonal, elles possèdent un langage souterrain connecté avec le reste du vivant. Ce travail de terrain, de field recording et d’écriture m’a amené à composer Exosquelette en 2021 au GRM de l’INA, une pièce en octophonie (on peut l’ écouter actuellement à la Galerie C de Neuchâtel jusqu’au 4 novembre). Dans cette pièce, la flûte tente de répondre aux fourmis en décodant leurs rythmiques, quant aux synthétiseurs modulaires, ils essaient de ressentir les courants électriques de leurs phéromones.

À quelle expérience de l’écoute invitez-vous le spectateur.rice ?
J’aime les installations sensorielles, sensuelles où les corps sont impliqués, demandant l’écoute et la participation des visiteur.euse.s. Le son est pour moi la prolongation du toucher. L’expérience de l’écoute, c’est comme nager en mer et être caresser par l’eau. Cela nous place dans un espace réel et pourtant autre. En 2022, j’ai présenté au festival Archipel de Genève, l’installation Ce que le jour pèle. Cette installation capte les sonorités du festival et les restitue dans le ventre feutré du bâtiment. En entrant dans la salle des veillées de la maison communale de Plainpalais au sous-sol, le visiteur.euse devient partie prenante de la composition en activant par le bout de ses doigts les membranes sonores et tactiles de l’espace organique de l’architecture. 

Vous faîtes partie de plusieurs collectifs telle que le collectif A la Source : en quoi cela vient-il nourrir votre travail ?
Partager des idées et performer à plusieurs, engendre une multitude de potentialités qui me permettent de dépasser celui de l’unique champ de l’installation sonore et de développer ma pratique de “l’instant-composition”. Cela a toujours été un creuset exploratoire m’obligeant à sortir de “mes grottes”. Je joue actuellement dans la pièce SorcyèreXs, au théâtre de Sion avec le collectif A la Source. C’est une œuvre performative, immersive et déambulatoire: le public part à la rencontre de personnages qui font écho à ceux et celles qui furent condamné.e.s aux bûchers en incarnant leur propre marginalité. Chaque espace visité est une installation sonore en soi, dont je mixe en live les sources chaque soir. Le son tisse les liens entre les performeur.euse.s. Le thème de la matrice qui m’est cher prend une forme incarnée sur scène par le son qui rassemble, condense les corps. La dimension performative et collective me permet d’inscrire mon rapport au son dans une démarche plus large et transdisciplinaire. Néanmoins ces deux approches de mon travail, que cela soit celle de l’installation sonore ou de la performance, viennent se nourrir mutuellement. 

Pour conclure ces entretiens, je vous pose la même question : Que représente pour vous cette première Biennale du son en Suisse ?
Écouter est un acte politique pour moi, c’est une recherche constante de nouveaux liens, de nouvelles manières d’être en résonance avec le paysage en mutation, les êtres humains et non-humains qui le peuplent. Cette biennale peut ouvrir un territoire d’écoute hors des frontières humaines et cela me plaît.

Propos recueillis par Anne-Laure Chamboissier 

Photos © Pierre Daendiker
Photos © Jean-Baptiste Garcia
Photos © Julien Robyr
Photos © Gaspard Cretton

En lien

buy twitter accounts
betoffice