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Avec perte de contrôle, ou non, EnTrance est le titre du concert/sortie de disque de 2e2m à la Scala Paris, dernier rendez-vous festif autour de cet ensemble fondé par Paul Méfano en 1972 qui célèbre son demi-siècle d’existence.
Au seuil de cinquante ans de création tous azimuts, une nouvelle ère se fait jour pour 2e2m avec son jeune directeur artistique, le trentenaire Léo Margue, chef d’orchestre mais aussi pianiste, saxophoniste et improvisateur, enjambant avec enthousiasme les genres et les styles, l’écrit et le non écrit, pour ouvrir toutes grandes les vannes du son : en témoigne le programme de la soirée – et celui du disque sorti sous le label Scala Musique – invitant le guitariste, compositeur et improvisateur Richard Comte.
C’est la jeune pianiste coréenne Chae-Um Kim, nouvelle au sein de l’ensemble, qui débute le concert avec la pièce pour piano et électronique Entr’ouvert de la Romaine Giulia Lorusso. « Le piano est mon instrument […] ; j’ai avec lui un rapport intime, physique », confie la compositrice, qui n’a pourtant pas choisi d’interpréter elle-même sa pièce, comme le fait sa compatriote Lara Morciano. L’enjeu est d’entraîner l’écoute au cœur de l’instrument et ses résonances profondes que vient hybrider et transformer l’électronique : « C’est une recherche d’intégration et de synthèse des différentes expériences d’écoute du monde dans lequel je suis intégrée et qui résonnent en moi », dit encore Giulia. Les premières minutes « fonctionnent », sous le jeu très investi de l’interprète et l’embrasement progressif du clavier mais la pièce ne tient pas toutes ses promesses, quant au rôle de l’électronique notamment que l’on aurait souhaité plus actif et scrutateur.
On est, en revanche, émerveillé par l’art si délicat et inventif de faire vivre la matière sonore, par faisceaux de couleurs, éclats multiples, impacts et résonance, que développe Bastien David dans Instinct, une pièce de 2020 éminemment ciselée par le chef et ses musiciens. Comme un être vivant, sa musique respire, se déploie, se diffracte ou se rétracte : « Je considère le son comme une matière organique », aime à dire le compositeur qui est en résidence auprès de 2e2m cette année. Il a choisi un dispositif ad hoc, un sextuor instrumental incluant l’accordéon, l’harmonica (jouée par le bassoniste) et l’un des six modules de son Métallophone, cet instrument de percussion en 12ᵉ de ton sur trois octaves qu’il a imaginé et fait réaliser et que l’on a pu entendre dans sa pleine résonance le 8 mai dernier à Radio France. Introduit discrètement, il vient iriser la trame sonore d’Instinct, nappe flottante et musique impalpable d’une très grande finesse. Pour autant, la scène s’anime à mesure et le ton change à la fin, lorsqu’un des musiciens quitte le rang pour donner de la voix dans le tuyau du bassoniste : une dimension théâtrale qu’aime ménager notre compositeur au sein de la dramaturgie sonore.
Durant le long changement de plateau dû à la présence de l’électronique dans les deux pièces de Fausto Romitelli, Léo Margue prend le micro, invitant à ses côtés le président de 2e2m, et compositeur lui-même, Tomas Bordalejo. Tous deux reviennent sur l’esprit aventurier de Paul Méfano (disparu en septembre 2020), sur la longue liste des compositeurs joués par l’ensemble et le nombre insensé de créations auxquelles a activement participé l’épouse et éminente pianiste Jacqueline Méfano, présente dans les rangs du public… Avant de lancer la courte pièce radiophonique de Pierre Juillard, artiste polyvalent (compositeur, improvisateur, collecteur de sons microphoniques) mais aussi géographe qui immortalise la voix de Paul Méfano, vive, sonore et fantasque comme l’était tout son être. Dans ce montage finement réalisé sur un flux sonore intermittent, il tresse les mots des musiciens/techniciens recueillis au cours de l’enregistrement du disque avec ceux du compositeur dont certains résonnent plus que d’autres : « Lle silence, c’est la musique la plus efficace! », lance-t-il d’un ton inimitable.
Le guitariste Richard Comte est seul en scène dans Trash TV Trance (2002) de Fausto Romitelli. L’instrument du rock psychédélique y fait résonner une musique de la distorsion, du feedback et des ruptures abruptes dont s’empare, à sa manière, l’interprète, envoyant les décibels (Trash) et accusant le geste répétitif (Trance). Enchaînée dans l’élan, sa courte improvisation, some Echoes of A Trance, calme le jeu et transite avec la pièce suivante, permettant au chef et à l’orchestre de s’installer sur le plateau.
EnTranse (1995) est une action ritualisante pour voix, ensemble instrumental et électronique, rejoignant par bien des côtés la musique de Claude Vivier (Bouchara par exemple). La voix y accomplit certains gestes liés au rite, telles ces inspirations/expirations s’effectuant avec les balancements de la tête. C’est la chanteuse Angèle Chemin qui dit le mantra de 15 syllabes tiré du Livre des morts tibétain. Romitelli rompt avec la conduite linéaire, proposant une autre expérience d’écoute où l’attention doit se concentrer sur l’instant présent : une musique sans bords qui se déploie dans l’effervescence du sonore, frisant la perte de contrôle, et dont les musiciens de 2e2m, galvanisés par le geste de Léo Margue, nous communiquent l’urgence et l’énergie transcendantale.
Michèle Tosi
